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(Corben... ou "
quand les rèves s'entrechoquent "...)
Pourquoi vouloir écrire un article sur
Corben ?... Qui connaît (encore)
Corben?... Qui cela va-t-il intéresser ? m'a-t-on rétorqué d'un air étonné
lorsque j'en ai évoqué l'idée à mon entourage.
Tout d'abord la première raison en est toute simple : l'autre
soir, je parcourais les rayonnages de ma bibliothèque à la recherche de
quelque chose qui m'emmènerait au-delà de l'insipide train-train
quotidien, et là, tapi sur une planche poussiéreuse, je suis tombé sur un
album que je n'avais plus ouvert depuis des années... Il s'est imposé à
moi et je n'ai pu résister à l'envie incompressible de le feuilleter...
Et... Je suis reparti autre part, outre part, nulle part
ailleurs qu'à " Neverwhere "... Sous la couverture brochée au
pelliculage fatigué d'un album mythique des années 70, vibrait toute la
magie sulfureuse de Richard Corben. J'avais sous les yeux "Den", et
pourtant aucune image que je redécouvrais avec passion ne m'avais quitté
depuis le jour lointain où je l'avais refermé. Rien dans ma mémoire
n'avait réussi à s'imprimer par dessus... Le même émerveillement, les
mêmes frissons, la même peur m'emporta... Je me suis, alors sans trop
m'en rendre compte, replongé, dans un état second, dans tous ces albums
que j'avais collectionné fiévreusement des années durant.
Pas une seule ride, le même choc dévastateur, la même force
créatrice... Rien ni personne n'avait marché sur ses pas, rien ni personne
n'avait égalé, n'avait réussi à effriter son sombre pouvoir de
fascination...
La seconde raison en est encore plus simple, il
m'a suffi de consulter le BDM pour constater que je ne devais pas être
seul à éprouver de l'admiration pour cet auteur... La plupart de ses
ouvrages ont des cotes suffisamment importantes pour être sûr que de
nombreuses personnes les recherchaient dans une quête sans fin... Et
aussitôt, quand j'ai désiré en savoir plus, une cruelle déception
m'attendait au tournant : peu ou pas de matériel critique, seuls quelques
rares articles et notices existaient pour présenter un artiste des plus
personnels et des plus étonnants du Neuvième Art...
Discret, Corben
était de ces auteurs majeurs que le grand public feint d'ignorer... Bien
qu'on ne puisse pas lui donner tort à ce grand public car Corben est dur,
d'une rare violence, volontiers érotique et maniant, par dessus tout, un
humour noir qui ferait passer le vitriol pour une vulgaire limonade(*1). De plus, ses
couleurs hallucinatoires et son dessin vigoureux sont aux antipodes des "
petits mickeys " habituels...
Déjà en 1975, Jean-Pierre Dionnet remarquera fort justement dans un
article pour la revue française Zoom (livraison n°31) : " (...)
Comme(Neal)Adams, Corben fait partie de l'histoire de la bande dessinée -
et plus particulièrement de la BD américaine d'aventures, auprès de
Foster, Crane, Sikles, Eisner, Kirby, Wood, Jim, Kurtzman. Autour de
chacun d'eux la bande dessinée a changé, évolué, bougé. (...)"
Dionnet avait eu le nez creux, à cette époque Corben n'était qu'au début
d'une formidable carrière, le meilleur restait encore à venir... La
richesse de Corben ne se situe pas souvent dans ses scénario musclés mais
dans son incomparable impact graphique... Il demande, pour l'apprécier
vraiment, une culture rock, une culture SF et fantastique fort
approfondie...
Une phrase de l'écrivain Phillip José Farmer résumera parfaitement tout
mon propos : "(...) Une illustration de Corben est unique. Quand
vous en avez vu une, votre première, vous reconnaîtrez immédiatement la
suivante, quand bien même elle n'est pas signée.(...)" (extrait de
l'introduction de "Den", Humanoïdes Associés, 1978, page 9)
Richard Vance Corben est né en 1940 à Anderson
Missouri. Après avoir fréquenté l'Institut d'Art de Kansas City, il se
destine à une carrière dans l'animation. Il travaille à partir de 1963
jusqu'en 1972 au service d'animation de la Calvin Communications Inc(*2). Ce département
est une section prestige de la Calvin et s'occupe entre autres de
publicité. Mais dés 1967, profitant de son temps libre, il fournit
copieusement des Fanzines en illustrations(*3) puis à partir de
1968 en histoires dessinées (*4). Il considère cette
occupation plus comme un hobby que comme un véritable travail.
Cette période, comme la suivante, est prolifique, mais travaillant
gratuitement, ne lui rapporte rien. Malgré un succès retentissant, il
hésite fort d'abandonner son job chez Calvin. Son style et ses aspirations
n'ont pas leurs places dans le courant commercial des comics de l'époque
détenus par les deux géants qui se sont partagé le marché : La National
Periodical(qui deviendra DC) et la Marvel, éditant l'un et l'autre des
récits mettant essentiellement en scène des Super-héros. Cependant, la
fin des années soixante voit naître, sur la côte ouest des États-Unis, un
mouvement contestataire de contre-culture prônant une liberté totale
d'expression : l'Underground. Dans le raz de marée que l'Underground va
déclencher, certains fanzines basculent corps et âme dans cette mouvance,
d'autres sont englobés et réédités par les nouveaux éditeurs alternatifs.
C'est donc tout naturellement que Corben se tournera vers les comix(*5). Or, si le fanzinat
reste le domaine de l'amateurisme, il en est tout autre de l'underground
et c'est donc un peu malgré lui que Corben passera professionnel. Il
travaillera principalement et abondamment pour deux maisons d'édition
underground : Ripp off Press et Last Gasp (*6)
Après avoir fait des économies, il se lance en 1970 dans
l'aventure de l'édition et édite son propre magazine: Fantagor(*7). Mais celui-ci
arrive trop tôt. Il bien trop luxueux et surtout trop cher. Le premier
numéro est un désastre commercial. Il finira par le céder dans un premier
temps à la Ripp off Press, puis par la suite à Last Gasp. Chez Ripp
off Press en 1971, dans la publication "Up from the Deep"(*8), Corben fournit sa
première histoire en couleur directe : Cidopey. Un coup d'essai qui se
transforme en coup de maître... La maestria déployée par la maîtrise et la
nouveauté de sa technique va fortement impressionner lecteurs et milieu
professionnel(*9).
La même année est aussi à marquer d'une pierre blanche car il réalise
" Rowlf "(*10)
dans les deux derniers numéros de " Voice of Comicdom ".
En 1972, il finit par abandonner sa place chez Calvin et se consacre à
plein temps à une carrière de dessinateur. Le succès commercial n'est
pas long à venir, les publications qui renferment sa signature(*11), voient leurs
tirages et leurs ventes monter en flèches. Sur les quelques années où il
sévira dans l'Underground, Corben sera sans doute le dessinateur le plus
publié du mouvement... Les grandes compagnies du réseau officiel ne
peuvent manquer de le remarquer et le contactent. Il décline leurs offres,
les concessions que cela impliquerait lui semblent un prix bien trop
exorbitant à payer(*12). Pendant son
passage dans le milieu alternatif, Corben a remarqué un auteur qui partage
parfaitement ses visions artistiques : Jan Strnad (*13) qui par ailleurs
édite, à son propre compte, la revue Anomaly (E° Bud Plant). Il le
rencontrera quelques temps plus tard lors d'une convention de
Science-Fiction. Il va naître une amitié et collaboration des plus
fructueuses entre les deux hommes. Celle-ci perdura jusqu'à ce jour. Leur
premier travail en commun " A Brief Encounter at War "date de 1971 (*14) et sera publié
dans la troisième livraison d'Anomaly. Les lecteurs furent enthousiasmés
par le graphisme de Corben mais restèrent tout à fait imperméable au texte
de Strnad. L'histoire fut donc l'objet d'une seconde version publiée en
1972 dans le numéro suivant de la revue (*15). L'accueil fut
toujours aussi mitigé et il fallut attendre 1976 et sa réédition dans les
pages de la revue "Unknown World of Science-Fiction", une publication
ésotérique de la Marvel, pour que tous s'accordent à trouver l'histoire
géniale.
On peut considérer que fort apprécié des lecteurs de fanzines tout
comme ceux de l'Underground, Corben est cependant un des rares
dessinateurs américain de tout premier plan à en être issu... Il reste
néanmoins à constater que bien qu'ayant été publié dans des revues
alternatives, Corben n'en épouse pas particulièrement les caractéristiques
profondes. Pratiquant l'anti-utopie par le biais d'une science-fiction
"écologique", ses thèmes sont beaucoup plus proches du travail officiel
qu'il n'en parait (si toutefois, on fait abstraction de la nudité, de la
sexualité ainsi que l'hypertrophie mammaire de ses pulpeuses héroïnes). Si
au début des années septante, son travail peut y être apparenté, il est en
regard des productions récentes(même franco-belge!)bien soft. Le classer
d'emblée dans ce courant de pensée serait à mon sens erroné, car cela
tiendrait plus au support de publication qu'au contenu des histoires. Il
suffit pour se faire une idée de le comparer aux travaux d'un
Crumb... Mais déjà à cette époque, l'Underground est sur une voie
descendante. Son rayonnement ne dura que le temps d'un feu de paille(*16). La censure
alliée à une gestion et une distribution chaotique en sonnent lentement le
glas... Sentant rapidement le vent tourner, Richard Corben,
conjointement à des livraisons diverses pour l'underground, fournira, dés
1971, plusieurs autres récits et couvertures à la Warren Publishing(*17). James
Warren(*17), sans avoir la liberté de ton de l'Underground, est néanmoins
un éditeur indépendant. Il respecte les auteurs qu'il emploie et ne les
oblige nullement à se fondre dans un moule préfabriqué(*18).
Pour un temps, cet esprit conviendra à la forte individualité
d'un Corben. Il profitera de cette période pour encore affiner son style.
Les trois revues font directement référence aux mythiques EC Comics
torpillés par l'instauration du Comic's Code Authority. La concurrence
des comics étant impitoyable, J. Warren décide d'adjoindre des pages
couleurs à ses magazines afin d'en dynamiser les ventes, Richard Corben va
tirer profit de cette innovation. Il perfectionnera à partir de cette
époque une technique révolutionnaire de mise en couleur qui va faire en
grande partie sa gloire. En quatre années, il produira environ 400
planches en noir & blanc et en couleur pour les trois magazines de
James Warren. Celles-ci renferment de purs joyaux, l'histoire courte ou la
nouvelle est un des exercices des plus difficiles qu'il soit, Corben et
ses scénaristes s'en sortent avec les honneurs(*19).
Conjointement à cette production considérable, c'est dans une
publication très éphémère, Grim Wit n°2(1973) que Corben va créer le
premier chapitre de "Den". Sa parution est un événement qui va
profondément marquer l'inconscient collectif des lecteurs de l'époque.
Cette fantastique histoire verra sa suite publiée dans une revue
d'expression française "Métal Hurlant" (puis dans "Heavy Metal" - la
transposition de "Métal" aux États-Unis)(*20). Pour la première
fois, la qualité du papier du support de publication va faire éclater au
grand jour toute la subtilité du travail de coloriste de Richard Corben.
Il est amusant de constater que Corben devient l'objet d'un véritable
culte de la part de fans européens et cela avant sa pleine et entière
reconnaissance dans son pays d'origine.
A partir de 1973, se succéderont chefs-d'oeuvre après chef-d'oeuvre :
"Bloodstar" en 1976, "Monde Mutant" en 1978 (prépublié en VO. dans la
revue 1984/94 de Warren, en VF. dans "Ere Comprimée" n°1 à 4 en 1980/81),
"Les Mille et une Nuits" en 1979, "Jeremy Brood" en 1982, "La Chute de la
Maison Usher" en 1985, "les Enfants du Feu" en 1987, la reprise de "Den"
en 1988 et... J'en passe et des meilleures... Anticonformiste jusqu'au
bout des ongles, en guise de pied de nez, il réalisera même une aventure
des "Tortues Ninja"en 1990(*21).
Dans le début des années 90, Corben est revenu à son oeuvre de
toujours, et continue à fournir à nos yeux ébahis, la suite des aventures
de "Den". Depuis peu, encore, il se consacre, avec l'aide de sa fille,
à la mise en couleur d'anciennes histoires. Il a apparemment découvert un
nouveau jouet, la palette chromatique d'un ordinateur. Les résultats sont
plus que surprenants...
Corben réalisera plus de 2400
planches de comics en 30 ans... Gageons, pour notre plus grand
plaisir, que se soit loin d'être fini...
Ses influences graphiques
du début sont tour à tour Will Eisner, Harvey Kurtzman, Wallace Wood et
l'équipe des EC comics(ceux-là même qui firent, à leurs corps défendant,
naître aux États-Unis, la censure et le Comic's Code Autorithy dans le
courant des années cinquante)(*22) Ses influences
littéraires sont HP Lovecraft (*23), Edgar A Poe (*24), Robert Howard
(Bloodstar), Burroughs (*25)... Il existe
une constance chez la plupart des personnages de Corben, ils sont englués
par un destin qui souvent dépasse de loin leur compréhension. Tout comme
dans les textes d'Howard et de Burroughs, peu ou point d'intellectuels
dans leurs rangs, la force et l'instinct le plus primaire répondent à la
tourmente de leurs vies...
Ses thèmes de prédilection sont
l'Horreur et la Science-Fiction. Les thèmes SF les plus
récurrents sont l'Après-Holocauste (ex : "Monde Mutant" - Campus E° 1982,
"Bloodstar"...) Les Mondes parallèles ("Den") les voyages spatiaux
("Jeremy Brood" - Albin Michel 1984) Très souvent, sa science-fiction a
tendance à ce fondre dans l'Héroïc-Fantasy quand ce thème n'est pas le
centre même de l'histoire.
Les thèmes liés à l'horreur et au fantastique, quant à eux, sont fort
proches de Lovecraft et des bandes des EC comics (histoires courtes dont
la fin constitue un point d'orgue tout à fait inattendu). Corben recrée
le plus souvent le mythe traditionnel de base : l'Éternelle lutte entre le
Bien et le Mal. Dans la plupart des récits, la femme y est à la fois objet
de désir et source d'un mal possible. Notons néanmoins que les
frontières sont loin d'être aussi marquées et il n'est pas rare que
influences et thèmes se télescopent pour former un tout indissociable.
Corben est inclassable. Il serait le chef de file et Maître à penser
d'une école où il trônerait seul, ses élèves et émules resteraient
confinés à la porte de sa classe. Les techniques oscillent avec un même
bonheur entre le noir & blanc et la couleur. Le noir & blanc
est tout à fait étonnant. Dans beaucoup d'histoires, il le traite comme
s'il en faisait une couleur, multipliant les nuances de gris pour
accentuer les impressions de relief. Cette technique demande
impérativement un grand soin à l'impression et une qualité supérieure de
papier pour sa publication, faute de quoi des grandes pertes dans la
subtilité de son travail sont à déplorer. Nous ne pouvons que constater
qu'à ce propos, les différents éditeurs ont souvent lamentablement loupé
leur coup... C'est donc dans son emploi de la couleur qu'éclatera tout
son génie... Chez Corben, la couleur n'est pas un plus commercial
surajouté sur sa planche. Comme tous les artistes pratiquant la couleur
directe, elle est pensée dans les toutes premières esquisses. Dans son
oeuvre, on pourrait pratiquement la qualifier de "consensuelle". Une
technique à ce point aboutie, que la page pourtant bi-dimentionnelle par
définition acquiert un relief quasi holographique. La lumière, les
couchers de soleil de lointaines planètes, les ciels nuageux et torturés,
autant d'atmosphères très particulières obtenues par un véritable magicien
de la couleur (*26)...
Notons encore que Corben doit être le seul dessinateur au monde
à avoir mis au point une technique excessivement sophistiquée pour la mise
en couleur de son oeuvre. Ce moyen complexe qui n'appartient qu'à
lui doit être une des raisons qui rendent son travail aussi personnel(*27).
Son style est unique et inimitable, passant d'un réalisme quasi
photographique appuyé par un emploi aérien de l'aérographe, à un style
plus proche du semi-réaliste, et cela parfois même au sein d'une même
planche. Il hypertrophie volontiers les anatomies, sublimant la force
primitive des corps, accentue les expressions parfois au-delà de la
bouffonnerie, offrant à ses lecteurs la richesse d'une oeuvre graphique
singulière. Ne s'arrêtant pas au dessin, l'artiste se fait volontiers
sculpteur et prend la peine de façonner en trois dimensions les têtes de
ses principaux personnages. Ces figurines lui permettent d'étudier
l'action des ombres et de la lumière sur les traits de ses protagonistes.
Il expérimente dés lors plusieurs éclairages, pour choisir celui qui aura
le plus d'impact sur l'ambiance de la case qu'il va reproduire sur le
papier.
Un dessin très achevé et excessivement fouillé au service d'une
anatomie et d'un univers volontiers irréel, tout en restant sur le fil du
rasoir de la frontière de l'humoristique pour servir des sujets
volontairement graves. Ajoutons que grâce à son background d'animateur,
l'utilisation, au niveau du découpage, d'un langage cinématographique est
omniprésent dans l'oeuvre de Corben. Il utilise d'ailleurs les techniques
du story-board pour l'écriture de ses histoires. Chaque case pourrait sans
peine correspondre à un moment clé d'une séquence animée. De ce fait,
résulte une impression inégalée de mouvement, gageure pour un art pourtant
réputé statique. Bien qu'il soit un artiste indépendant son influence
sera considérable sur tout le mainstream ainsi que pour bon nombre de
dessinateurs de par le monde. Corben est également un illustrateur et
un peintre de tout premier ordre. Ses toiles sont, sans nul doute, à
mettre sur le pied d'égalité que celles de Frazetta. (*28)
Y'a-t-il un album de Corben a conseiller ? Un album qui
éclipserait tous les autres ... Très difficile à dire... Corben est un
artiste, un expérimentateur. Chaque traitement d'histoire est différent,
chaque technique a sa saveur propre... Pour un début, le mieux serait
de choisir un concept album contenant une histoire complète plutôt qu'un
recueil d'histoires courtes qui souvent réunit des récits souvent fort
éloignés dans la chronologie de leurs créations. "Den" est considéré
par beaucoup comme la quintessence de Corben, la première époque lui
demandera 5 années de travail(1973 à 1978). Avec cette série totalement
novatrice, Corben rentre de plein pied dans la Bande Dessinée Adulte, en
pulvérisant les cadres étroits de la morale bien pensante. Il y
expérimente à fond la technique de l'aéographe, et se positionne non
seulement comme un des premiers dessinateurs à utiliser ce procédé mais
comme le maître incontesté et, encore aujourd'hui, indétrôné de cette
technique. Cet album correspond pour bien des amateurs de Corben comme
celui de la découverte de cet auteur dans les pages de Métal Hurlant. Ce
fait, allié au choc d'une sexualité débordante dans un monde BD jusque-là
relativement sage, pourrait expliquer leur affection...(*29)
C'est dans la seconde époque de "Den" que sa virtuosité graphique va
prendre le plus d'ampleur. Dans le tome 1, les premiers chapitres
témoignent d'une recherche vers la perfection de sa technique et plusieurs
styles y cohabitent. Le second volume resplendit d'une unité qui par après
ne lui fera plus jamais défaut. Pour ma part, sans vouloir en placer un
avant un autre ni sans vouloir dénigrer d'autres albums que j'apprécie
fortement, "les Mille et une nuits", "Monde Mutant" et "Bloodstar" restent
mes préférés...
Pour tout ceux qui voudraient découvrir Richard
Corben à un moindre prix, et qui par bonheur connaîtraient quelques
rudiments dans la langue de Shakespeare sachez que vous pouvez toujours
commander dans toute bonne librairie qui se respecte les rééditions de ses
oeuvres chez Fantagor Press (la propre maison d'édition de l'auteur, on
n'est jamais aussi bien servi que par soi-même...) Il ne vous en coûtera
que quelques malheureux dollars, fort bien investis
d'ailleurs... Corben Studios/Fantagor Press P.O. Box 8632 Kansas
City, MO 64114.
Et pour terminer, nous ne remercierons jamais assez
J-P Dionnet et surtout l'infatigable Fershid Bharucha qui, de maisons
d'édition en maisons d'édition, de collections en collections, a offert,
contre vents et marées, Corben aux lecteurs francophones...
Ouvrages et articles consultés (avec fruit)
pour la rédaction de cet article :
-
Richard Corben - Vols Fantastiques - Fershid Bharucha - E° Neptune
1981. - Masters of Comic Book Art - P. R. Garriock - Images
Graphiques/New York 1978 pages 42 à 53. - La Bande Dessinée depuis 1975
- Thierry Groensteen - MA E°, Albin Michel 1985, pages 53, 55. - La
Bande Dessinée de Science-Fiction Américaine - D. Riche/ B. Eizykman -
Albin Michel, coll. Graffiti 1976, chap. 15 underground science-fiction
inconscient électricité, pages 111 à 116. - Scarce N°38 (hivers 93)-
article de Frédéric George et Georges Simonian + bibliographie -
Association Saga 1993, pages 40 à 46. (*30) - BDM - Trésors de la Bande Dessinée
- Catalogue Encyclopédique - 1997/98 - Bera, Denni et Mellot - Éditions de
l'Amateur 1996. - The Overstreet Comic Book Price Guide - 26 th Edition
- Robert M. Overstreet - The Confident Collector, Avon Books, New York
1996.
Pour être tout à fait complet, signalons également
l'existence de : - RTP n° 26 & 27 (1972/73) - références : BDM
1997/98 et Scarce N°38 -
- Je remercie mon ami David, grand
collectionneur de comics et de mangas devant l'Éternel, qui, pour
consulter les pièces manquantes à ma collection, m'a ouvert les portes de
sa caverne d'Ali Baba et qui m'a apporté, sans compter, son aide
précieuse...-
Notes: *1 - Un de ses pseudonymes du
début de carrière est "Gore" qui signifie en anglais : sang (coagulé). Ce
terme désigne également un certain cinéma où les effets sanglants (entre
autres...) sont particulièrement appuyés. *2 - L'animation avait toujours fasciné
Corben, et c'est d'ailleurs sur base d'un petit film amateur de 8 minutes
qu'il fut engagé (titre : "Les travaux d'Hercule"). Cette formation lui
apportera des techniques qu'il retransposera par la suite dans ses bandes
dessinées: un sens du découpage, des éclairages et bon nombre de trucs
visuels qui s'apparentent plus au dessin animé et au cinéma qu'à la bande
dessinée. *3 -
ex: Aquarelle en 1967 pour The Magazine of Science Fiction & Fantasy-
Titre : Prospecting in the Asteroids - republication in trading Cards en
nov. 93 aux E° Comics Images - Richard Corben carte N° 25. *4 - ex: Voice of Comicdom -
première publication BD de Corben par épisode d'une page par numéro :
Titre Monsters rule - histoire en 8 planches in Voice of Comicdom du n°4
au n°15 juin 68/mai 69 - pour mémoire republication intégrale en anglais
dans Weirdom Comix 15 en 1972, publication en français dans Vols
Fantastiques E° Neptune 1981. Dans Voice of Comicdom nous trouverons
également dans les numéros 16 (1970) et 17 (1971) la publication de
Rowlf. *5 - Aux
USA, on désigne par le terme générique Comix les bandes underground. Cette
appellation fut prise par dérision envers les Comics du
mainstream. *6 -
Dans la revue "Slow Death" à partir du n°2 (Last Gasp 1970) il développera
une science-fiction basée sur l'écologie, alors que dans "Skull" (n° 2, 3,
5, 6 - Last Gasp 1970), il réservera une verve plus grand-guignolesque et
souvent teintée d'inspirations Lovecraftiennes (ex : Skull 2 - The rats in
the walls d'après une nouvelle d'HP Lovecraft. Notons également que
Last Gasp publiera également les derniers numéros de Fantagor, à savoir
les n°3 & 4. *7 - Fantagor : premier numéro: 1000 exemplaires publiés à compte
d'auteur en 1970, n°2 sera publié par Rip off Press en 1972 en même temps
que la réédition du premier numéro, la suite 3 & 4 sortiront chez Last
Gasp en 72/73. *8 - "Up from the deep" (Ripp off Press) n'eut pas de second numéro,
on n'en retiendra que la bande de Corben. Celle-ci eut un fort
retentissement quasi mondial. Pour la petite histoire, elle reçut même un
prix en Belgique! Cidopey est un réquisitoire contre les drogues et
curieusement cette histoire apparaît dans une publication qui pourtant
s'applique à présenter sous un jour favorable l'utilisation des
stupéfiants. Cidopey narre une étrange et émouvante histoire d'amour entre
deux petit humanoïdes qui seront tragiquement séparés par la mort. Le
lecteur découvre qu'ils ne sont en réalité que fantasmes dans l'esprit
torturé d'un couple de drogués qui agonisent d'overdose. Cidopey paraîtra
en français dans le premier n° de Métal Hurlant. NB: Ripp off Press
est dirigée par Gilbert Shelton et publie, sans interruption depuis 1971,
son oeuvre maîtresse: les "Faboulous Freak Brothers". *9 - En 1972, il remporte le
"Comics Fan Award" et, conjointement avec Mike Kaluta, il obtient la
mention de " Meilleur Nouveau Talent " décernée par l'Academy of Comic
Book Art. Signalons qu'il avait déjà reçu, l'année précédente, un " Cine
Golden Eagle Award " pour son court métrage d'animation "Neverwhere" (ce
petit film tourné en 16mm mélangeait des séquences jouées par des acteurs
avec d'autres d'animation pure. Son synopsis sera le prémisse de ce qui
deviendra en 1973 : Den.) "Neverwhere" sera aussi récompensé par une
Société Culturelle japonaise. *10 - Première prépublication en français
sous le titre "Histoire de Rowlf" dans la revue Actuel n°15(deuxième série
-1972) , en album "Rolf" aux Humanoïdes Associés (1979) - NB : une
imprécision s'est glissée dans le BDM. Entre l'édition de 1975 et la rée°
de 1979 ainsi que celle de 1980, la seconde histoire qui accompagne "Rolf"
a été changée. Dans la première E° : "The Story of Oteg ", dans les Rée°
exit "Oteg", à la place nous trouvons : "La Bête de Wolferton". Cette
histoire était déjà apparue en noir & blanc (avec une autre
traduction, bien meilleure à mon sens...) sous le titre "La Bête de la
Lande aux Loups" dans le recueil "Razar le lâche" (Universal Press 1976).
De plus les rée° bénéficient, outre d'une réduction de format, d'une
refonte et d'une mise en couleur par Corben datant elle de
1979. *11 -
Dans les publications underground Corben utilisera bon nombre de
pseudonymes (Corb, Corbou...) et signera rarement de son nom. Le plus
fréquent est Gore. Signalons que curieusement le scénario de Rowlf est
attribué à un certain Harvey Sea qui n'est autre que l'auteur lui même (
Harvey Sea = R.V.C, la transposition phonétique de ses initiales). La
signature Corb réapparaîtra de temps à autre sur ses peintures et
couvertures (voir par ex. couverture Aliens Alchemy n°3- Dark Horse
97) *12 - Ce
n'est que très récemment que Corben sort du courant indépendant pour faire
de rares incursions dans le mainstream: Voir, par exemple, sa magistrale
interprétation de Batman (texte Strnad) dans " Batman - Black & White
" n°2 paru chez DC en juillet 96. Plus proche encore, une histoire en
trois comics : Aliens Alchemy(texte Arcudi) chez Dark Horse Comics en 1997
(oct./nov.). (Si on fait exception de trois pages mettant en scène les
X-Men dans " Heroes for Hope - starring X-Men " - (Marvel 1985) - une
publication de 48 pages de BD dont les bénéfices de la vente servirent à
la lutte contre la famine en Afrique - je ne résiste pas à dire que ce n°
est intéressant à plus d'un titre : outre les pages dévolues à Corben qui
sont dialoguées par Alan Moore et colorisées par Michelle Wrightson, on y
retrouve, pêle-mêle, les signatures de Harlan Ellison, Stephen King,
Bernie Wrightson, Frank Miller, Bill Sienkiewicz, Howard Chaykin, John
Bolton, Jeff Jones, Klaus Janson, Mike Kaluta, John Buscema... en d'autres
termes, rien que du beau monde!) *13 - La collaboration entre Corben et Jan
Strnad sera cyclique. Ce sera le scénariste avec lequel il collaborera le
plus souvent. Jan Strnad est surtout connu dans le milieu BD par ses
scénario illustrés par Corben, écrivain, il passe le plus clair de son
temps à écrire pour la télévision américaine. *14 - Titre générique Survivors of the
Suicide World episode three, les épisodes 1 & 2 avaient été publiés
dans les deux premiers numéro et consistaient en deux livraison d'une
nouvelle non illustrée BD de Strnad. *15 - version 1 en français dans Vols
Fantastique/ version 2 publiée en français dans l'album Sueurs Froides -
Neptune 1983. *16 - Qu'on ne se méprenne pas : la brièveté de la gloire de
l'Underground ne retire en rien au retentissement et à la durabilité de
son influence sur l'ensemble de la BD de part et d'autre de
l'Atlantique. *16 - Ils seront publiés dans Creepy, Eerie et Vampirella
- NB: E° américaines chez Warren, en français dans Creepy, Eerie et
Vampirella E° Publiness. *17 - James Warren est également l'éditeur
new-yorkais du " Spirit " de Will Eisner. *18 - Il faut préciser que Creepy, Eerie et
Vampirella sont des magazines et ne sont pas soumis aux règles strictes du
Comics Code Authority qui régissent les comics depuis 1955. Le Comics Code
Authority, à la grande différence à la loi française régissant les
publications destinée à la jeunesse (loi n°49956 - 16/07/49), fut établie
par les éditeurs eux-mêmes. Cette institution serait plutôt à rapprocher
d'une autocensure afin de devancer une censure de l'état. Notons que de
part et d'autre de l'atlantique, les deux systèmes subsistent encore de
nos jours, bien qu'avec l'évolution des moeurs un sensible et radical
affadissement de leurs applications se fasse sentir. *19 - Sa période Warren est
constituée essentiellement de récits courts d'horreur fidèles à l'esprit
du support de publication. Pour se rendre compte de la qualité de son
travail voir par exemple : "Carnaval des Monstres" E° Icare 1981, " Une
Femme Bafouée " E° Neptune 1982, ou l'album "Profondeurs"E° du Triton
1980. *20 - Dés
le début des années 70, Corben est traduit en français dans Actuel puis,
il fera les beaux jours de Métal Hurlant et de l'Écho des Savanes spécial
USA(à partir de 1976). *21 - Y' a aucune honte à aimer les Tortues
Ninja, s'pas ? Surtout que celles de Corben valent bien leur pesant de
Pizzas... L'édition originale est publiée sous le titre "T.M.N.T. take
Time" chez Mirage Studio dans le n°33 de Teenage Mutant Ninja Turtles(juin
1990). Le scénario est dû une fois de plus au génial Strnad. Il en existe
même une version française: "Les Tortues prennent le Temps" - USA Magazine
HS-N°5 (juin 1991), un n°, soit dit en passant, indispensable aux amateurs
de tortues puisque les 120 pages de la revue leurs sont consacrées. Les
amateurs de Corben devraient eux aussi y trouver leur compte car la revue
comporte en plus des 27 pages up-citées, on trouve 4 planches signée
Eastman/Corben, ainsi que la reproduction sur deux pleines pages d'une
peinture datant de 1986. *22 - Une curiosité, comparer les deux
versions d'une même histoire de Ray Bradbury. L'une fut réalisée par Al
Williamson pour Weird Science Fantasy en 1953, l'autre par Corben en 1993.
Voir pour cela "Ray Bradbury Comics" vol. 1 n°1, Topps Comics février
93. *23 -
cfr.:" Les Rats dans les murs" in " Horrilor " - Universal Press 1977.
Version couleur réalisée par Beth Corben, avec légères modifications in "
From the Pit " - Fantagor Press 1994. *24 - cfr. : " La Chute de la Maison Usher"
(1986) et l'album collectif " Edgar Poe" (1981) tout deux paru chez
Neptune E°. A noter que ces deux albums contiennent des histoires parues à
l'origine dans les publications Warren (à l'exception toutefois de la
nouvelle " La Chute de la maison Usher " qui date de 1986). Si l'album
collectif contient une histoire de Corben de plus ("Le Portrait ovale "),
l'autre a la particularité de nous offrir une interprétation couleur de
l'histoire "Ombre" qui était parue originalement en noir &
blanc. Une curiosité, Corben s'offre le plaisir d'un private-joke en
dessinant le personnage d'Edgar Arnold avec les traits de Poe (" La Chute
de la maison Usher ") *25 - Dans le cas d'Howard, à l'inverse de
Poe et Lovecraft, Corben ne suit pas la trame d'un texte particulier quand
il réalise " Bloodstar". Il s'inspire de plusieurs nouvelles et de
l'esprit d'Howard pour réaliser une sorte d'hommage à l'univers de cet
écrivain. L'influence de Burroughs est quant à elle distillée dans toute
son oeuvre tant d'illustrateur que de dessinateur. NB: Par Burroughs,
il faut bien sûr entendre Edgar Rice Burroughs l'auteur de Tarzan et John
Carter. *26 -
Perpétuel inventeur de techniques nouvelles, il n'hésite pas de tenter
l'alchimie de différents solvants. L'adjonction de ceux-ci avec des
couleurs choisies sur des films transparents offrent des visions de ciels
extraterrestres plus vrais que natures. *27 - voir pour plus de précisions
techniques les pages 184 à 187 de la monographie lui étant consacrée : "
Vols Fantastiques " E° Neptune 1981. *28 - cfr. entres autres : la pochette de
l'album de Meat Loaf - "Bat out from the Hell" (Columbia Records), ou de
celui de Jim Steinman - "Bad for Good" (CBS 1981), ou encore les multiples
couvertures de romans de SF édités par Doubleday, voir plus
particulièrement à ce sujet "Vols Fantastiques". *29 - Notons encore que
"Den" sera adapté en Dessin animé en 1981 dans un épisode du long métrage
d'animation - "Métal hurlant" ("Heavy Metal"). Pour la petite histoire,
Corben réalisera l'affiche du film qui servira à son exploitation
américaine, les distributeurs francophones, quant à eux, lui préféreront
une toile de Chris Achilleos. La peinture de Corben sera réutilisée en
1981 comme couverture pour la réédition de "Den" aux Humanoïdes Associés.
Pour être tout à fait complet, ajoutons que l'une et l'autre, (l'Achilleos
néanmoins tronquée)serviront d'illustrations à la pochette du double album
reproduisant l'excellente bande originale du film - Black Sabbath, Blue
Oyster Cult, Cheap Trick, Donald Fagen, Nazareth, Trust... *30 - NB: La bibliographie,
adossée à cet article très intéressant, a au moins le mérite d'exister et
pourrait être une bonne base pour un début de travail de recherche.
Quelques coquilles se sont glissées entre ses lignes, mais l'amateur
éclairé devrait sans trop de peine les déceler... Mais... Mais,
heureusement que dans la préface, les auteurs nous annoncent honnêtement
que leur biblio. n'est pas exhaustive bien qu'ils la présentent
pompeusement néanmoins, selon la formule consacrée, comme "la plus
complète possible " ! (Ah! Ah! Ah! c'te bonne blague...) Un exemple (et
non des moindres...), nos comiques nous répertorient royalement 6 pauvres
malheureux n° de " Métal Hurlant ", les 6 premiers... De qui se
moque-t-on ? Je vous le demande un peu... Une honte! quand on ne peut
ignorer que bien des grands récits en couleur ont transités par ses pages
et que "Métal" est une revue qui ne pose pas grands problèmes à retrouver
ne serait-ce que pour la consulter. A la lumière de ce fait, on peut se
poser la question de savoir si tout le reste n'est pas sujet à caution...
Je ne donnerais pas la réponse, à vous de chercher...
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