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BYZANCE ENTRE ANTIQUITE ET MOYEN-AGE.

 

LA NOUVELLE ROME

Constantinople à l'époque de Théodose
Constantinople à l'époque de Théodose
Constantinople à l'époque ottomane
Constantinople à l'époque de Théodose

Il y a plusieurs Byzance. Celle des byzantins d'abord (qui d'ailleurs s'appellent eux-mêmes romains, d'où l'appellation turque de Rumi, vivant dans une ville dont ils comprennent mal les monuments et les origines. Celle des voyageurs étrangers qui y voient la plus grande ville du monde chrétien et sont émerveillés par sa richesse. Celle des conquérants ottomans qui récupèrent son prestige et la convertissent sans la détruire. Celle des archéologues et des touristes, faite d'églises rhabillées en mosquées, de mosaïques, de rares vestiges de tout ce qui compose une ville (maisons, édifices civils, rues...). Cette diversité, dans laquelle les éléments objectifs de connaissance ne dominent pas toujours, interdit de livrer d'emblée l'image simplifiée d'une ville qui est d'ailleurs séduisante dans sa complexité et sa ruine même. Cette ville, qui n'existe apparemment plus qu'à travers quelques églises n'est donc pas seulement fascinante par les souvenirs historiques qu'elle rappelle à tout ancien écolier. La variété des images qu'elle a fait naître au cours de l'histoire interdit de se contenter d'évoquer Byzance à travers une sorte d'inventaire des vestiges archéologiques et des traces, matérielles ou non (tracés d'avenues, ancrages d'activités), conservées dans la topographie moderne.Il se trouve que par la rapidité de sa constitution (son extension et sa structure interne sont fixées au Ve s. ap. J.C.) et par le non moins rapide oubli de la signification de ses monuments (usages, dédicaces), dès les VIIIe et IXe s. Constantinople a une forte dimension imaginaire, construction mentale forgée par les Byzantins eux-mêmes.


Muraille terrestre près de la Corne d'or

Toute une littérature, celle des Patria (sortes de guides, à l'intention des Constantinopolitains, interprétant les monuments au lieu de les positionner et de les décrire), a tenté de déchiffrer les colonnes, les reliefs, les statues païennes qui jonchaient alors l'immensité de la ville. C'est à travers elle, ou par les témoignages des étrangers éblouis, que nous parviennent les seules images cohérentes, quoique irréelles. Les colonnes historiées d'Arcadius (sur le Xérolophos) et de Théodose par exemple, sont comprises par le croisé Robert de Clari (au début du XIIIe siècle) comme annonçant " par prophéties toutes les aventures et toutes les conquêtes qui sont arrivées à Constantinople ou qui doivent y arriver ". Le " Récit sur la construction du Temple de la Grande Eglise de Dieu, nommée Sainte-Sophie " (texte du IXe siècle) nous montre d'abord Constantin construisant la première Sainte-Sophie (édifiée en fait par Constance II, son fils), puis Justinien (constructeur de l'édifice actuel) recevant d'" un ange du Seigneur " le plan de l'église " en songe ", prenant " de ses propres mains le mélange de chaux et de tuileau " jeté " dans les fondations devant tout le monde ". A l'origine de toutes ces légendes, la naissance même de Constantinople s'est faite sous le signe de l'ambiguïté. La manière dont les historiens byzantins la présentent est significative : rien n'aurait existé avant la fondation par Constantin le ll mai 330, alors que l'histoire nous enseigne que Byzance a été fondée par des colons de Mégare (Grèce) au VIIe siècle av. J.C., qu'elle a été une cité fleurissante, que Septime-Sévère y a construit à la fin du IIe siècle après J.C. l'hippodrome, dont des vestiges et le tracé sont parfaitement visibles aujourd'hui, et les célèbres Bains de Zeuxippe en usage jusqu'au VIIIe siècle après J.C. Constantin décidant d'en faire sa capitale entreprend dès 325 de grands travaux :

- une enceinte (L'existence d'une muraille antérieure n'est ni certaine, ni datable),

- un centre : le forum implanté à la principale sortie de la ville romaine, la colonne de porphyre (actuelle Çemberlitas restaurée par Constantin Porphyrogénète qui lui a laissé son nom), deux avenues à portiques se croisant à angle droit sous un tétrapyle (l'avenue Est-Ouest est la Mésé située sous l'actuelle Divanyolu ; L'avenue Nord-Sud serait sous l'Uzunçarsi Caddesi),

- un palais impérial (situé sous la Mosquée Bleue).


Plan de Sainte Sophie

Plan de Constatntinople dit "Aux effigies" du XVième

Pour mener ces travaux Constantin mobilise de nombreux ouvriers sous la direction d'un architecte en chef, Euphratas.

C'est une nouvelle Rome qui est fondée, mais qui ne deviendra réellement capitale d'un empire qu'en 395, après la mort de Théodose Ier et l'éclatement de l'empire romain.

Son succès semble avoir été prodigieux. En 393,Théodose inaugure son forum (Forum Tauri), en 403 Arcadius le sien, plus à l'ouest, toujours sur la Mésé. Théodose II recule ensuite la muraille (c'est celle que l'on voit encore aujourd'hui, entre Fener et Yedikule, achevée au milieu du Ve siècle, restaurée à l'époque ottomane), mais l'espace compris entre les deux murailles (celle de Constantin est encore conservée) ne s'urbanise pas vraiment. II est d'ailleurs remarquable que l'extension imposée par les deux Théodose (poursuivie par Arcadius, et bien lisible dans la succession des deux enceintes et des trois forums de Constantin, de Théodose et d'Arcadius) n'ait jamais entamé un véritable déplacement du centre vers l'ouest. Quand la ville, aux XIXe et XXe s., s'étendra à nouveau, c'est significativement vers le Nord ou l'est, au-delà de la Corne d'or et du Bosphore, qu'elle le fera. Quant aux fondations religieuses byzantines antérieures à Justinien, elles sont de qualité mais peu nombreuses : les Saints-Apôtres (à l'emplacement de la future mosquée de Fatih) et Sainte-Irène, remarquable illustration du plan basilical paléochrétien déjà employé à Rome. La silhouette (au sens figuré comme au sens propre) de métropole religieuse n'arrivera que plus tard, avec Sainte-Sophie surtout, reconstruite par Anthémios de Tralles et Isidore de Millet pour Justinien (achevée en 548, la coupole effondrée par un tremblement de terre en 559, fut reconstruite par Isidore le Jeune).

Dès le Vie siècle donc, une fois achevée l'œuvre grandiose de Théodose et de ses premiers successeurs, la structure de la ville byzantine est en place. Les grandes avenues des crêtes sont tracées et bordées de monuments. Les églises suivront, puis les grandes mosquées impériales ottomanes sur leurs traces (Fatih, Selim, Bayezit, Süleymaniye, Nuruosmaniye, Sultan Ahmet) qui toutes marquent encore les lignes de force du site. Le site est définitivement investi. Le " Plan directeur de H. Prost, appliqué après la dernière Guerre, ne fera que traduire ces lignes de force en autoroutes urbaines.

Pendant les derniers siècles de l'Empire byzantin (jusqu'au XVe s.), la ville vivra dans ce schéma. Mais, sans qu'il y ait eu rupture politique (puisque l'Empire byzantin n'est que le prolongement du romain), donc malgré une continuité dont l'Occident ne bénéficia pas, il y a eu entre les VIe et VIIe siècles une rupture culturelle profonde qui s'exprima particulièrement au niveau de l'architecture publique. A l'instar de celle de la ville médiévale, la typologie architecturale byzantine s'est appauvrie. Les bains ou les théâtres ne sont plus au programme. Ceux qui existent tombent en ruine et perdent toute signification. Restent toujours les églises.


Intérieur de l'église Sainte Sophie

Intérieur de l'église Saint Serge et Bacchus

Avec celle de Sainte-Sophie est doublement posé le problème de la pérennité byzantine : pérennité des édifices, pérennité des idées.

Un certain nombre d'églises ont été transformées en mosquées ; Sainte-Sophie d'abord, dans laquelle Mehmet II Fatih fit sa prière le soir même de la prise de Constantinople, le 29 mai l453. Là, comme à Saint-Serge-et-Bacchus (Küçük Aya Sofya) ou à Saint-André (Koca Mustafa Pasa Camii),l'adjonction d'un minaret et d'un portique antérieur rend difficile l'identification immédiate. Pénétrant à l'intérieur, le trouble naît de la perception du désaxement entre l'architecture et le mobilier, minbar, mihrab, et surtout des tapis, orientés vers la Mecque.

Paradoxalement d'ailleurs, les seules églises byzantines parvenues jusqu'à nous sont celles qui ont été immédiatement transformées en mosquées donc entretenues, tandis que celles restées aux mains des Grecs ont été abattues et reconstruites par ceux-ci au XIXe s. quand, enfin (et souvent trop tard), ils obtinrent l'autorisation de restaurer des édifices qui s'étaient dégradés au cours des siècles.

Le voile recouvrant Byzance se découvre aussi pour quelques palais dont il reste de méchantes murailles dans des quartiers pittoresques(Palais des Blachernes, de Constantin Porphyrogénète, de Bucoléon) ou pour des citernes souterraines (Binbirdirek) ou à ciel ouvert, comme la Citerne d'Aspar récemment et malheureusement dégagée des jardins populaires et maisons de bois qui en occupaient poétiquement le fond.

Mais le legs de Byzance, c'est aussi le modèle proposé aux Ottomans pour l'architecture de leurs mosquées. Sans qu'il y ait eu imitation, les églises de Constantinople offrirent à la sagacité des Ottomans des objets auxquels se confronter. Sainte-Sophie, particulièrement, a été retenue explicitement par Soliman le Magnifique et son architecte Sinan, comme le modèle auquel la mosquée Süleymaniye devait se mesurer. La découverte de Sainte-Sophie par les Ottomans a inauguré une sorte de Renaissance de leur architecture, qui n'est pas sans rapport avec la redécouverte des monuments de la Rome antique par les architectes de la Renaissance italienne.

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