LA VALORISATION AU C.N.R.S.

Les Assises Nationales de 1981 ont produit dans le monde de la recherche l'effet d'un électrochoc. Un gouvernement de gauche a réussi l'exploit de réhabiliter l'industrie aux yeux tous neufs des chercheurs. Les slogans soixante-huitards : "ne pas se vendre à l'industrie" et "ne pas se prostituer avec le Grand Capital" ont été balayés. Bien sûr, certains n'avaient pas attendu le feu vert officiel, mais 1981 constitue néanmoins un tournant.

Dans la foulée, le décret du 24 novembre 1982, lance la politique de valorisation du CNRS. La Direction de la Valorisation et des Applications de la Recherche (DVAR) est créée. Des indicateurs sont élaborés qui permettent de mesurer les effets de la politique mise en place. La période qui suit est euphorique : les indicateurs sont quasiment tous en forte hausse jusqu'en 1986. La DVAR a les moyens de la politique voulue par le CNRS.

1986 : changement de gouvernement et de direction générale du CNRS. L'organisme entre dans une période de turbulences. La politique de valorisation s'en ressent. Certains indicateurs fléchissent. On semble réaliser soudain que si la valorisation n'a pas de prix, elle possède néanmoins un coût. Décision est prise d'arrêter la politique de création de filiales. Les moyens financiers refluent de la DVAR, une partie des crédits affectés à la valorisation tombent dans l'escarcelle des directions scientifiques. La dotation budgétaire de la DVAR qui était de 52,8 MF en 1986 passe à 39,1 MF en 1987. La soudaineté des événements a un effet fortement déstabilisateur. Bon nombre des chercheurs qui avaient misé sur la valorisation disent, mais un peu tard, qu'on ne les y prendra plus. Ceux qui s'en étaient méfiés en sortent valorisés – si l'on peut dire*.

* La diminution du nombre de consultants du CNRS en 1987 (ce fut la seule et unique fois dans l'histoire de cet indicateur) pourrait bien être un indice de la méfiance qui s'est emparée des chercheurs au cours de cette période troublée, en incitant certains à essayer de prendre un profil bas.

1988 : nouveau changement de gouvernement et de direction générale du CNRS. L'organisme retient son souffle et attend... attend... Encore un peu et il allait tomber d'anoxie ! Une épidémie de réunionite aiguë fait des ravages (cette maladie redoutable n'étant pas l'apanage du CNRS, je propose au lecteur de faire une petite pause avec l'annexe 4). Plusieurs audits sont lancés*.

* On subodore - et ceci mériterait un autre pamphlet - que certains audits ont fort bien pu servir d’alibi, de justification ou d’excuse servant à couvrir des dérives diverses. Pour preuve, cette remarque d’un inspecteur des finances dans un rapport sur la télévision publique : "Est-il tolérable qu’un PDG de chaîne [de télévision publique, note de l’auteur], toujours en poste, ait été rémunéré 150 000 francs par le CNRS pour la réalisation d’un audit dont la rédaction n’excéda pas les trois feuillets ?".

Celui sur la valorisation est intéressant à analyser. Ses conclusions ne provoquent pas de révolution. Ont-elles fait l'objet d'une présentation commentée au personnel et en a-t-on tiré des lignes d'action pour l'avenir ? J'avoue mon ignorance*.

* Il faut signaler la publication, en novembre 1990, par la Délégation aux études et audits du CNRS d'un cahier de 71 pages (dit "cahier gris") qui lui est consacré. Ayant fait partie des audités, je puis témoigner que le rapport initial était bien plus épais. On peut penser que l'on a affaire à une version condensée : légèrement expurgée... édulcorée ou... orientée ?

Mais les nombreux échanges que je peux avoir de toutes parts semblent indiquer un impact plutôt faible au niveau du chercheur lambda. Son comportement quotidien ne me semble pas avoir été très affecté par les retombées de l'audit "valorisation". On pourra évidemment objecter que le but était autre. Toujours est-il que la dotation budgétaire de la Mission des Relations avec les Entreprises (MREN) semble à peu près stabilisée (44 MF en 1990) et suffisante eu égard aux objectifs que l'on semble désormais viser. La MREN ? s'interrogera le lecteur. Eh oui ! C'est qu'entre temps, la DVAR avait changé de nom. Il n'est pas besoin d'être versé dans la sémantique pour conclure que le remplacement du mot "direction" par le mot "mission" correspond à un véritable changement de statut social. Celui-ci fut douloureux et s'accompagna, on s'en serait douté, du cortège habituel : démotivation et déstabilisation. Certains CMI, se sentant piégés entre un passé glorieux et un futur incertain, décidèrent d'échapper à leur présent inconfortable pour aller voir ailleurs.

Nous arrivons ainsi à la période actuelle, où l'une des interrogations les plus fréquemment entendues semble être : "y a-t-il un pilote dans l'avion ?". Tous ne parlant pas nécessairement du même avion, j'avoue avoir un certain mal à répondre à la question.

 

 

L'A.N.V.A.R.

Ce chapitre a été rajouté dans la version 6.0. Non que je n'eusse rien à dire auparavant sur la question mais en parler m'eut entraîné si loin que je n'étais pas certain de pouvoir garder mon calme. Il me paraît sage de ne jamais écrire sous le coup de la colère ou d'une trop forte émotion. Mais ne pas parler de l'ANVAR dans un pamphlet consacré à la valorisation de la recherche au CNRS est une absurdité ; aussi vais-je tenter de corriger ce que je crois, désormais, avoir été une erreur. J'attire l'attention du lecteur sur l'importance des dates qui sont à rapprocher des dates mentionnées par ailleurs dans d'autres chapitres.

L'Agence Nationale de Valorisation de la Recherche est née en 1966 à partir de l'ancien service des brevets du CNRS ce qui montre au passage que la préoccupation de valoriser la recherche ne date pas d'hier. L'ANVAR acquit son autonomie juridique et se développa alors jusqu'en 1980, date à laquelle le CNRS se mit à valoriser ses propres recherches. L'ANVAR se recentra alors sur la mission d'aider les entreprises (essentiellement PME/PMI) à innover, les grands organismes continuant, en parallèle, à faire appel à l'ANVAR comme sous-traitant exclusif en raison de son expérience, principalement dans le domaine des brevets et licences. Puis, en 1983, les CODEVI (Compte pour le Développement Industriel) furent créés, les sommes déposées par les épargnants servant à alimenter le FIM (Fonds Industriel de Modernisation), et la gestion du FIM fut confiée à l'ANVAR qui vit ainsi doubler son budget*.

* Et bien davantage par la suite puisque, en 1985, le FIM représentait environ 10 milliards de francs et le budget "normal" de l'ANVAR à peu près 1 milliard.

Dans notre pays, l'importance d'un service, d'un Ministère, etc. (et de celui qui le dirige) se mesurant à l'importance de son budget, une logique financière s'empara de l'ANVAR, submergeant peu à peu son ancienne logique au service de l'innovation à partir de la recherche.

Ce changement de logique interne explique probablement que le CNRS eut de plus en plus de raisons d'être insatisfait du service fourni par l'ANVAR qui mettait ses priorités ailleurs. Au sein du CNRS, des critiques féroces s'élevèrent contre l'inefficacité de l'ANVAR. L'ANVAR nous le rendait bien qui reprochait au CNRS de lui voler son métier. Comme souvent en France, en pareil cas, au lieu de réformer et améliorer ce qui ne va pas, on cherche à recréer la même chose ailleurs en évitant de supprimer ce qui marche mal (le lecteur perspicace se souvient que l'ANVAR faillit être supprimée en 1987). A partir du 1er janvier 1988, l'ANVAR perdit donc sa qualité de sous-traitant exclusif du CNRS en matière de valorisation et ce dernier commença à essayer de faire, avec moins d'expérience et des moyens réduits (les Trente Glorieuses étaient, hélas ! bien terminées) ce que l'ANVAR avait essayé d'apprendre pendant près de vingt ans. De son côté, la Direction de la Technologie de l'ANVAR, voyant fondre tout un pan de ses activités, vit un certain nombre de ses chargés d'affaires quitter le navire à la dérive ce qui ne pouvait qu'affaiblir la logique technologique (pardon !) et laisser les coudées franches aux ténors de la logique financière.

Toujours est-il que même l'audit sur la valorisation au CNRS s'est ému de cette situation qu'il a dénoncée clairement dans son rapport : "On peut déplorer cette organisation d'une concurrence à l'intérieur du secteur public de la valorisation" et il ajoute, philosophe : "...mais elle est sans doute dans la nature des choses, et le problème est désormais de la rationaliser et d'en tirer des effets positifs". Bon courage !

Aujourd'hui, situation paradoxale, l'Agence Nationale de Valorisation de la Recherche ne fait plus de valorisation de la recherche (il faudra donc envisager de modifier son appellation à moins de considérer, avec un peu d'imagination, qu'elle valorise la recherche industrielle ; ce qui ne manquera pas de se vérifier le jour où nous aurons une recherche industrielle digne de ce nom dans les PME/PMI).*

* Ça y est ! C'est fait ! L'Agence Nationale de Valorisation de la Recherche n'existe plus. Pour le 3e millénaire, elle a enfin changé son appellation et est devenue l'Agence française de l'innovation (cf. son site national). Maintenant il va falloir changer son sigle !!

 

 

L'EXPÉRIENCE DES C.M.I.

Les premiers CMI (Chargés de Mission aux relations Industrielles) du CNRS ont été progressivement installés dans les régions à partir du tout début de l'année 1982, avant même la création de la DVAR à laquelle ils ont été par la suite tout naturellement rattachés. Ayant été moi-même, nommé au 1er juillet 1982, j'ai eu le bonheur de connaître l'époque héroïque.

Leur mission :

Le lecteur pourra se reporter à l'annexe 5 pour plus de détail. Je schématiserai en disant que les CMI devaient être des interfaces entre le monde des laboratoires du CNRS et celui des entreprises, et donc des vecteurs du transfert de technologie. Leur mission en faisait des agent de terrain, passant un minimum de temps dans leur bureau. Ils pouvaient, éventuellement au prix de quelques acrobaties, se passer de secrétariat. Leur mot d'ordre était : être à l'écoute et être utile (en d'autres lieux et autres temps on aurait dit tout simplement "servir"), répondre aux besoins exprimés par les chercheurs, les laboratoires et les entreprises, les aider à résoudre leurs problèmes liés à la valorisation et au transfert de technologie, expliquer, conseiller, convaincre. Pour ce faire, les CMI ont acquis des compétences dans des domaines aussi divers et variés que les relations humaines, la communication, la négociation y compris internationale, les connaissances juridiques, les règles contractuelles, la propriété industrielle et intellectuelle, le droit des licences, le traitement de texte et j'en oublie sans doute. Cette formation à un métier jugé nouveau et difficile par les spécialistes qui suivent de près les problèmes d'innovation et de transfert de technologie, représente un investissement important consenti par le CNRS. Ceci pouvait être chiffré fin 1991 – au bas mot – à environ une trentaine d'hommes par an multiplié par 7 ans*.

* Ce chiffre, valable en janvier 1991 (version 4.3), ne cesse de croître car le compteur continue - évidemment - à tourner.

Les particularismes régionaux :

Chaque CMI évolue dans un environnement qui rend sa mission unique, et différente de celles de ses congénères. Les éléments différenciateurs sont, dans un ordre tout à fait arbitraire :

·         L'implantation géographique de son bureau (dans une AD, une DR de l'ANVAR, une CCI, un laboratoire, une université...).

·         L'importance et la nature du tissu industriel régional.

·         La présence ou non d'une Délégation Régionale de l'ANVAR.

·         L'étendue géographique de la région.

·         Le nombre de pôles géographiques structurant la région.

·         Le nombre de laboratoires du CNRS de sa région et leur répartition géographique concentrée ou éclatée.

·         Leur nature (UPR, URA -aujourd'hui UMR...) et leur répartition par discipline.

·         Le fait de disposer ou non d'un secrétariat.

·         La présence d'universités dotées ou non de politiques fortes en matière de valorisation.

·         Le passé du CMI et la discipline de laquelle il est issu.

Evolution du travail des CMI au cours du temps :

Les particularismes ci-dessus portaient en eux-mêmes les germes d'une évolution différenciée. Cette différenciation est restée très modérée tant que la charge de travail était supportable. Ceci a été le cas jusqu'en 1986, lorsque la DVAR était en plein développement, et que la plus grande partie du travail d'intendance pouvait être effectuée au siège par des agents spécialisés. Même un CMI sans secrétariat (c'était mon cas) pouvait passer la plus grande partie de son temps sur le terrain. Il savait que l'intendance suivrait de toute manière. Par contre, dès 1986, la DVAR-siège a commencé à subir les premiers départs de personnels qui ont fortement entamé ses capacités et sa crédibilité. Les CMI ont alors été chargés d'effectuer un nombre croissant de tâches d'intendance.

A titre d'illustration, pendant la période 1982-1985, je passais environ 80 % de mon temps hors de mon bureau pour être sur le terrain. A partir de 1986, les activités paperassières – pardon, de gestion – ont progressivement augmenté jusqu'à me contraindre à passer 80 % de mon temps au bureau à la fin 1989. Je m'efforçais d'utiliser au mieux les services d'une vacataire que j'étais obligé de changer tous les six mois, ce qui m'a permis d'acquérir quelques compétences dans la formation de vacataires. Puis, au 1er mars 1990, la ligne budgétaire permettant de rémunérer ma vacataire fut supprimée. La pudeur m'empêche de dévoiler les conditions dans lesquelles je fus contraint ensuite de fonctionner.

Avec l'accroissement de la quantité de travail d'intendance, les CMI qui disposaient d'un secrétariat ont pu sauver le sauvable ; les autres ont sauvé ce qu'ils ont pu. Les conditions d'exercice de leur mission se sont dégradées : boucher les trous ou essayer d'éteindre des débuts d'incendies devint la règle, avec son cortège de surmenage et de stress permanent. Sans parler de l'obligation de réserve du fonctionnaire qui implique la nécessité d'adhérer à – et on est autorisé à sourire, même si c'est de tristesse – l'absence de politique de son organisme ! Les premières fractures commencèrent à fissurer le caractère national de ce qui restait de la "politique" de valorisation.

 

 

LA MISE SUR PIED DES DÉLÉGATIONS RÉGIONALES DU C.N.R.S.

Dans la mesure où l'on est convaincu que la régionalisation correspond bien à une tendance historique, et qu'elle est bonne pour le pays, force est d'admettre que les Délégations Régionales (DR) du CNRS étaient dans l'air. De nombreux départements ministériels avaient les leurs ; l'ANVAR aussi. Le CNRS aurait eu mauvaise grâce à se comporter différemment. Voulues par l'inconscient collectif (que personne ne se sente visé – et je suis sincère), en quelque sorte entérinées par le Colloque d'Orléans, les premières DR ont commencé à être installées dans les régions à l'automne 1990. Elles constitueront (peut-être) la grande nouveauté du CNRS pour la décennie. Il est encore bien trop tôt pour pouvoir en dégager des conclusions définitives car il y a fort à parier que des ajustements vont encore se produire dans la phase de rodage qui s'annonce. Néanmoins, certains points méritent déjà quelques commentaires.

Auparavant n'existaient que des Administrations Déléguées (AD) et le lecteur qui penserait que ces deux concepts, AD et DR, expriment la même chose n'aurait rien compris du tout. Il s'en apercevra à l'usage. Pour l'instant, qu'il lui suffise de noter que les DR sont dirigées par une personne, le Délégué Régional, titre possédant au passage une autre allure que celui d'Administrateur Délégué. Rassurons ceux qui craindraient que le pouvoir ne soit concentré entre les mains d'un homme (ou d'une femme) seul. Le Délégué est en fait entouré d'une véritable équipe de collaborateurs choisis par lui, et qui vont l'éclairer de leurs conseils avisés. Le (ou les) CMI font naturellement partie de cette équipe.

Les DR, entre autres fonctions éminentes, ont celles d'animer la communauté scientifique régionale. Le lecteur ayant bien intégré la notion de communauté scientifique voit très bien ce que je veux dire. L'animation d'un système féodal risque d'être très animée mais la tâche est enthousiasmante. On pourra également remarquer que le CMI est rattaché à la DR et ce point mérite des éclaircissements car la chose ne s'est pas faite sans mal. Les CMI, dont certains avaient de longues années de pratique de leur métier, ont toujours été conscients de la nécessité d'avoir une politique de valorisation cohérente au niveau national. La seule manière d'y parvenir était, selon eux, de continuer à dépendre de la MREN, dans la mesure où celle-ci continuerait à être chargée d'élaborer la politique de valorisation du CNRS et d'en assurer le développement et le suivi. Mais la régionalisation était manifestement devenue l'urgence du moment et devait passer d'abord. Le caractère national de la politique de valorisation fut ainsi sacrifié sur l'autel des Régions.

Remarquons au passage que le rattachement des CMI aux DR ne serait, somme toute, qu'un point secondaire, si les Délégués et l'ensemble de la DR étaient convaincus de la nécessité de conserver à la politique son caractère national. Mais les hommes sont ainsi faits que la fonction crée l'organe et l'appétit vient en mangeant. Je ne veux pas envisager le cas, tout à fait improbable, d'un Délégué complètement dément. Ils ont été choisis avec le plus grand soin par un petit comité, et la présence d'un fou n'aurait pas échappé au psychologue de service – il y avait bien un psychologue dans l'équipe, n'est-ce pas ? En revanche, il n'est pas impensable que quelque Délégué, à l'occasion d'un surmenage, ou enivré par la dialectique et se sentant investi d'une mission de droit divin (attitude très courante dans les systèmes féodaux), n'en vienne à commettre des erreurs. Il pourrait, se coupant peu à peu des réalités tangibles, en venir, par exemple, à poursuivre des objectifs éthérés ou pis, purement personnels. C'est d'ailleurs pourquoi il a été prévu que la fonction de Délégué aura une durée limitée à cinq ans. Qui vivra verra, mais il est clair qu'en cinq ans on a tout le temps de faire beaucoup de dégâts. Sic transit gloria mundi.

 

 

LA POLITIQUE DE VALORISATION DU C.N.R.S.

Au-delà de toute polémique, je crois que l'on peut affirmer que le CNRS a eu une politique de valorisation affichée et volontariste de 1982 à 1986. Je serai beaucoup moins péremptoire pour la période qui s'ensuivit. Je rappellerai simplement que le mot valorisation – qui ne me semble pourtant pas particulièrement ni grossier, ni obscène – a failli être rayé du vocabulaire en 1986.

Aujourd'hui, le CNRS dispose d'une panoplie d'outils de valorisation (voir annexe 6) dont les différents intervenants en la matière essaient de jouer de la manière la plus efficace possible, dans un contexte général qui est plutôt défavorable :

·         Les chercheurs, après avoir été déstabilisés par les fluctuations de la politique de valorisation, ressentent la quasi absence d'une politique claire. Il suffit de voir comment est perçue par les intéressés la commission horizontale de valorisation (dite commission VAR). Par ailleurs, des expressions telles que transfert de savoir, de technologie, de savoir-faire ou de compétences me sembleraient plus explicites que "recherches sur objectifs partagés" dont la subtilité conceptuelle échappe à plus d'un.

·         Certaines formules sont détournées de leurs objectifs. Par exemple, les bourses post-doctorales cofinancées qui devaient servir à former des jeunes pour les besoins des entreprises, servent très souvent de relais dans l'attente d'un recrutement par le CNRS ou l'université.

·         Dans d'autres cas, ce sont les règles qui ne sont pas respectées : on ne suit pas les procédures de signature de contrats de collaboration entre laboratoires et entreprises ; on omet de demander l'autorisation pour être consultant. D'où un problème de pertinence des indicateurs de valorisation (nous reviendrons sur ce point plus loin).

·         Le CNRS est associé, dans certains laboratoires, à des universités ou des écoles d'ingénieurs qui – est-ce un effet de taille ? – sont tout à fait à même d'avoir, ou ont déjà, des politiques affichées de valorisation. Il convient d'ailleurs de remarquer que pour certains de ces établissements, ne pas avoir de politique c'est en fait en avoir une, car cela revient à laisser chaque laboratoire, et à la limite chaque équipe, décider ce qu'il convient de faire dans telle ou telle circonstance, face à un industriel. On objectera qu'un laboratoire n'a pas la personnalité morale pour contracter. Je n'ai pas l'outrecuidance de penser que le lecteur ignore les ficelles permettant de tourner cette difficulté.

·         Les particularismes régionaux, comme nous l'avons vu, ne demandent pas mieux qu'à s'exacerber et constituent des forces centrifuges extrêmement puissantes.

Tableau apocalyptique, me dira-t-on. Et bien non ! L'important en matière de valorisation est, me semble-t-il, qu'elle se fasse. Je n'irai pas jusqu'à dire : qu'importent les moyens ou les formes, mais dans la mesure où nous n'avons pas les moyens – financiers et humains, cette fois – de veiller au respect absolu des règles, de surveiller étroitement ce que font les laboratoires et les chercheurs, il convient que nous nous fassions une philosophie. Ceci ne signifie pas qu'il faille baisser les bras ; seul un effort prolongé pourra permettre d'atteindre davantage de cohérence grâce à l'adhésion d'un nombre toujours plus grand de chercheurs. Ceci passe par une explication permanente de la situation, des enjeux et des objectifs, même si cet ensemble est par définition mouvant et fluctuant dans le temps.

On pourrait épiloguer sans fin, ce qui ne présenterait pas grand intérêt. Je pense préférable de poser quelques questions simples, quitte à laisser au lecteur le soin d'y répondre.

Le CNRS a-t-il une politique de valorisation ?

·         Si non, ceci est déjà un acte politique car ne pas faire de politique, c'est accepter la politique des autres.

·         Si oui, le CNRS a-t-il les moyens de cette politique ?

Quelle que soit d'ailleurs la réponse à la question ci-dessus, il conviendrait de se poser une question préalable :

Le CNRS doit-il avoir une politique de valorisation ?

Je me déclare incompétent pour répondre car, à mon sens, il appartient au Ministère de tutelle – c'est-à-dire, in fine, à la nation – de le faire. J'y ajouterai d'ailleurs une interrogation plus fondamentale :

Le CNRS est-il en mesure d'avoir une politique de valorisation ?

Nous entrons ici dans le domaine des croyances et de l'idéologie. Les opinions pourront être très variables notamment en fonction de la discipline scientifique, mais il me semble qu'il ne saurait y avoir de véritable politique sans les moyens financiers et humains qui vont permettre de la mener. Comme la mission du CNRS reste la recherche fondamentale*,

* Je ne me permettrai pas de remettre en cause cet axiome fondamental. Le faire, me semble être un exercice aussi complexe, pour le bon sens populaire, que de passer de la géométrie d'Euclide à celle de Lobatchevski.

il apparaîtra dangereux à certains de détourner des moyens de ce noble objectif pour les affecter à ce qui ne fait pas l'unanimité, à savoir la valorisation.

Il semble donc y avoir, au CNRS, une espèce de fatalité à ne pas pouvoir valoriser utilement, en interne, dans le cadre d'une politique générale. La collectivité nationale, pourtant en droit d'espérer un retour sur son investissement, risquerait d'être attirée par l'idée d'une valorisation externe et être ainsi tentée de recréer l'ANVAR. Ou plutôt, à la lumière de l'expérience passée de l'ANVAR, et dans l'engouement actuel pour la société civile, on pourrait être amené à confier cette tâche à une structure extérieure du type filiale de valorisation, dans laquelle entreraient également d'autres organismes nationaux de recherche. Je n'irai volontairement pas plus loin dans cette hypothèse qui reste séduisante sur le papier. Elle sera enthousiasmante lorsque l'on sera assuré de la rentabilité financière de l'opération. Ce qui peut demander un certain temps*.

* Depuis la version 4.3 (janvier 1991), le CNRS est passé à l'acte : une filiale, FIST (France Innovation Scientifique et Transfert) S.A. au capital de 5 MF a été créée, en septembre 1992, en association avec d'autres organismes (ANVAR avec qui le CNRS disposait de la majorité, INRA, INRIA, CEA, INRETS, IFREMER, Novespace, ONERA et CSTB). Son montage a déjà fait couler beaucoup de salive mais je ne veux pas paraître trop mauvaise langue ; alors, nous en reparlerons dans quelques années. Le lecteur curieux peut essayer de se procurer le rapport aux ministres de l'industrie et de la recherche dit rapport "Derian", duquel je ne possède malheureusement qu'une version non-définitive - mais pas triste - datée du 1/11/90. L'actionnariat de FIST a sensiblement fondu de sorte qu'en 2001 les seuls actionnaires qui restent sont le CNRS, l'ANVAR et Novespace.

Quant au caractère national de l'éventuelle politique de valorisation, je pense que l'on peut progressivement le ranger au magasin des accessoires dans la mesure où des causes de dérives plus ou moins fortes, comme celles que j'ai évoquées plus haut, vont se manifester diversement d'une région à une autre, ou d'un établissement à un autre par exemple. Le mot dérive n'est pas ici péjoratif ; il traduit simplement l'adaptation d'un système à des contraintes et des réalités locales fortes. La valorisation offre un espace de liberté beaucoup plus grand que la recherche ou l'enseignement qui sont confrontés à un système d'évaluation et de comparaison national et international. Une opération de valorisation, pour sa part, est confrontée aux lois du marché. Celui-ci peut être, bien sûr – et c'est même préférable – national ou international, mais le transfert de savoir-faire peut prendre des formes multiples et variées. La valorisation est donc beaucoup plus sensible aux conditions de l'environnement.

Pour conclure en souriant, le lecteur est invité à choisir entre les deux affirmations suivantes, qui sont à lire à haute voix :

La valorisation est une des missions du CNRS,
et
La valorisation est une démission du CNRS.

 

Note de décembre 1998 : Depuis que ce chapitre fut écrit (janvier 1991) de nombreux événements se sont produits qui ont émaillé la vie de la politique de valorisation du CNRS. La MREN a été supprimée et remplacée par le SEAI (Secrétariat Exécutif aux Affaires Industrielles). En région, le service des CMI (ou, pour les moins bien lotis, ce qui leur en tenait lieu) fut remplacé par un "service des contrats (SC)" (nouveau service, chargé de gérer, au niveau des Délégations Régionales, toutes les relations contractuelles : relations avec les entreprises, avec les programmes européens – pour ceci, une nouvelle fonction fut créée : celle de Chargé de Mission Europe (CME), avec les collectivités territoriales). La responsabilité des SC fut confiée par-ci à un CMI, par-là à un CME ce qui ne manqua pas de créer par-ci par-là quelques menus problèmes de conflits, notamment de personnes. Ensuite, ces SC ont vu leur intitulé changer par deux fois. Dans un premier temps, ils devinrent Service des relations contractuelles et enfin, une seconde fois, en 1998, Service du Partenariat et de la Valorisation (SPV). Entre temps, toujours, au siège du CNRS, le SEAI avait cessé de vivre et était remplacé par la Délégation aux Affaires Industrielles (DAE), décision qui avait été préparée par la création d’un Conseil du Partenariat avec les Entreprises (CPE), présidé par un industriel (bien sûr appartenant à un grand groupe national).

Le lecteur qui aurait des difficultés à suivre est prié de relire une fois les chapitres précédents. Si à l’issue de cette opération, ses difficultés n’ont pas disparu, qu’il se console en pensant que peu de gens normaux, même appartenant au CNRS (si si, il y en a !) sont capables de s’y retrouver. En tous cas, ce qui me paraît clair est que de DVAR en MREN, puis en SEAI et en DAE, la valorisation de la recherche n’y retrouve plus ni ses petits, ni son compte. L’expression "politique de valorisation du CNRS" a-t-elle même encore un sens ? Il est vrai que l’on se garde bien, désormais, d’en parler.

 

 

GRANDS GROUPES INDUSTRIELS VERSUS PME/PMI

Toute discussion sur la valorisation qui ne prendrait pas en compte la typologie des entreprises vers lesquelles doit s'effectuer cette valorisation passerait tout à fait à côté d'une dimension essentielle du problème. En effet, les grandes entreprises d'une part et les PME/PMI d'autre part possèdent des caractéristiques propres (hiérarchies, structures de décision, etc.) qui les rendent difficilement comparables face à ce processus.

Les grands groupes :

Ils sont traditionnellement les premiers bénéficiaires des résultats du CNRS. Cela leur est facile. Ils possèdent souvent des laboratoires de recherche qui n'ont parfois pas grand chose à envier aux nôtres car ils disposent généralement des mêmes équipements. Leurs chercheurs ont souvent été formés dans les mêmes laboratoires que leurs confrères du secteur public. Ils sont abonnés aux mêmes revues spécialisées, fréquentent les mêmes congrès, etc. Lorsqu'un grand groupe a identifié un verrou technologique ou une opportunité, il sait en général comment faire pour trouver le laboratoire ou les chercheurs compétents sur ce problème. Il lui suffira ensuite, en fonction de l'importance du problème, d'utiliser la formule la plus appropriée : passer un contrat de recherche, utiliser des chercheurs de haut niveau comme consultants, etc.

Les grands groupes ont la capacité (s'ils ne l'avaient pas il faudrait s'en inquiéter) de s'approprier ainsi les connaissances les plus fondamentales à partir desquelles ils pourront élaborer eux-mêmes de nouvelles technologies. Un danger serait qu'ils succombent à la tentation de faire effectuer par des laboratoires publics (donc à bon compte) des travaux de développement qui devraient, au contraire, leur incomber. Il faut espérer que ce danger reste purement théorique et que, par souci de performance – compétitivité industrielle internationale oblige – les grands groupes préféreront effectuer ces travaux eux-mêmes en interne plutôt que de les sous-traiter à des laboratoires qui ne sont pas toujours organisés pour respecter des échéances draconiennes et d'autres contraintes industrielles.

Par ailleurs, il est bon de savoir que des représentants des grandes entreprises siègent dans un certain nombre d'instances du CNRS (comme le Comité national par exemple) où ils peuvent effectuer une veille technologique active et exercer une influence non nulle sur certains choix stratégiques. En parallèle, ils utilisent comme consultants des chercheurs extrêmement bien placés (chercheurs de base aussi bien qu'hiérarques) qu'ils vont jusqu'à recruter s'il le faut et devraient donc être à même de détecter les technologies en émergence et les découvertes porteuses d'avenir.

Malheureusement, il est de notoriété publique que les grands groupes souffrent de défauts congénitaux et qu'il leur arrive régulièrement de laisser filer ou de rater certaines opportunités. Les échecs sont parfois dus à la qualité des hommes mais le plus souvent à des facteurs structurels :

·         Carriérisme parfois effréné de certains dirigeants (la politique du "pas de risques, pas de vagues" ou bien celle du parapluie).

·         Lourdeurs et lenteurs des circuits de décision (conséquence logique du carriérisme).

·         Mobilité excessive des cadres supérieurs gênant le maintien des actions à long et moyen termes (autre formulation : "mon prédécesseur, quel incapable ; mon successeur, quel intrigant").

·         Application du principe de Peter (on n'est jamais "viré" mais appelé à d'autres fonctions – en général plus élevées).

On m'a signalé que cela s'était sans doute produit autrefois (quelques jolis exemples dans les années 70) mais que la situation avait bien changé. C'est très possible mais comme ceci est un pamphlet et pas une oeuvre hagiographique, je continue en ajoutant que puisque les grands groupes ne sont plus créateurs nets d'emplois (licenciements à tour de bras) il n'y a aucune raison pour que je sois trop bon avec eux.

Les PME/PMI :

Les entreprises de ce type ont une souplesse et une rapidité de réaction que n'ont pas les grands groupes, ce sont elles qui créent des emplois, mais elles ont quelques défauts. A cause de leur culture différente, elles sont moins bien placées pour dialoguer avec les laboratoires du CNRS. Elles ont tendance à considérer parfois que les laboratoires sont (ou devraient être) à leur service. Elles se font quelquefois des idées sur ce qu'un laboratoire peut et sait faire. Là où l'entreprise s'attend à recevoir une technologie clés en main, le laboratoire n'a le plus souvent à proposer qu'un transfert de résultats, de connaissances, de compétences, ou au mieux, de savoir-faire. Même si le laboratoire est à peu près bien outillé pour réaliser une étude de faisabilité technique débouchant, le cas échéant, sur une maquette de laboratoire (que le laboratoire appelle prototype). La PME/PMI, pour sa part – et ceci est d'autant plus vrai que la taille et la technicité de l'entreprise diminuent – s'attend à obtenir, après une étude de faisabilité technique positive, un prototype (au sens où peut l'entendre un industriel). Le malentendu au sujet du sens du mot prototype peut rapidement devenir rédhibitoire. C'est cet ensemble de raisons qui a pu faire dire à certains que le CNRS ne pourra jamais valoriser avec efficacité, du moins en quantité importante, vers les PME/PMI. Ceux qui ont dit ça devaient appartenir à des grands groupes. C.Q.F.D.

Dans ce concert, de petites entreprises de technologies avancées que l'on appelle de plus en plus fréquemment "high tech" jouent un peu le rôle d'intruses. Beaucoup d'entre elles ont développé des relations privilégiées avec le monde de la recherche quand elles ne sont pas issues elles-mêmes de ce milieu-là (nous reviendrons plus loin sur ce point). Cette proximité intellectuelle les place en position privilégiée pour des échanges efficaces avec les laboratoires et les chercheurs. Mais leur taille et leur poids sont généralement insuffisants pour leur permettre d'avoir une influence significative sur la politique du CNRS.

Les sociétés de recherche sous contrat entrent également dans ce cadre. Elles se positionnent le plus souvent en traducteurs de connaissance et d'adaptateurs d'impédance (pour utiliser le jargon favori des spécialistes en valorisation). Elles jouent un rôle de diffuseurs et de "banalisateurs" de technologies de pointe et à ce titre sont souvent fortement aidées financièrement par les pouvoirs publics. Certaines ont ainsi acquis une solide réputation de chasseuses de primes ce qui risque de se retourner un peu contre elles à terme*.

* C’est fait pour certaines d’entre elles. Cf., par exemple, le dépôt de bilan de la société Bertin à la fin de l’été 1998.

Pour conclure ce chapitre, je laisserai le lecteur méditer sur un raccourci saisissant (et provocant) fait par l'un de mes amis, directeur d'une Ecole Nationale Supérieure d'Ingénieurs :

" Pendant des années les grands groupes ont pillé nos laboratoires en échange de quoi nos laboratoires ont pu vivre confortablement grâce à des contrats qu'ils n'ont jamais honorés. Et tout le monde était content. "

 

 

À TOUS CRINS

Que l'on me pardonne de commencer par ce bien vilain jeu de mots, mais je veux parler dans ce chapitre d'une aventure vécue dans le cadre du Comité des Relations INdustrielles du CNRS (CRIN), ainsi que des clubs CRIN, alias les clubs de l'association Echange et Collaboration Recherche-INdustrie (ECRIN). Ce qui était à l'origine (1973) un service du CNRS qui fut ensuite rattaché à la DVAR, est devenu en juillet 1990 une association selon la loi de 1901, ce qui, au passage, en émut plus d'un (le CNRS n'ayant pas, sauf exception, vocation à participer à ce type d'association). Certains mauvais esprits - dénués de poils sur la langue, il faut le reconnaître - affirment que l'ECRIN est fait d'un matériau plus noble que le CRIN. Sans entrer dans la polémique, il serait, certes, intéressant de faire une analyse approfondie de l'évolution de ladite structure mais ceci risquerait de nous amener trop loin. A vrai dire, je ne souhaitais même pas, au départ, m'y attarder. Hélas, l'actualité internationale, m'interpellant très violemment, sur fond de crise du Golfe, m'a rappelé aux dures réalités*.

* Ces lignes ont été écrites en janvier 1991.

Le sérieux de ce problème m'empêchera, heureusement, de me disperser inutilement. Aussi, me limiterai-je à raconter cette simple anecdote.

D'abord un petit rappel : le CRIN avait été créé notamment pour "conseiller la direction du CNRS sur la politique à suivre pour développer les relations entre le secteur productif et la recherche". Il était constitué, de manière équilibrée, de responsables d'entreprises industrielles et de chercheurs appartenant aux grands organismes de recherche et à l'université. Il rassemblait plusieurs centaines de personnes, et fonctionnait sous forme de réunions de clubs, de taille plus humaine, et portant chacun sur un thème scientifique donné. Ces clubs contribuèrent à instaurer un nouveau type de climat entre l'industrie et la recherche, fondé sur la compréhension des intérêts réciproques des deux communautés : les chercheurs découvraient, dans les problématiques industrielles, des thèmes fondamentaux à explorer, tandis que l'industrie trouvait, dans les laboratoires, les germes d'innovation dont elle avait besoin. Le CRIN publiait une lettre d'information gratuite destinée aux industriels.

Les initiés se souviendront que le nombre de clubs constituant le CRIN était destiné à varier dans le temps en fonction des besoins mais il était, en gros, voisin de deux douzaines, tantôt plus tantôt moins. Existaient des clubs thématiques en sciences dures (club Laser, club Pétrole, etc...) ainsi que des clubs portant sur des aires "socioculturelles" rassemblant surtout des spécialistes des sciences de l'homme et de la société (club Brésil, club Chine, etc...). Ces derniers clubs étaient destinés à faire diffuser dans le monde socio-économique une connaissance et des informations, réactualisées en permanence, sur des zones géographiques "sensibles" et/ou particulièrement importantes pour la France.

Dans le cadre de ma mission, je fus amené, un beau jour de 1986, à rencontrer les responsables de l'un de nos laboratoires, l'Institut de Recherche et d'Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM) d'Aix-en-Provence. Cet institut est l'un des pôles mondiaux de compétences sur cette aire culturelle et géopolitique. Au cours de nos discussions, il nous apparut rapidement que puisqu'il existait un club Hongrie, un club Afrique anglophone, un club Mexique, il n'était pas déraisonnable d'envisager la possibilité éventuelle de susciter la formation d'un groupe de travail chargé d'étudier la faisabilité, à terme (il faut toujours agir avec un maximum de prudence), d'un club Monde Arabe et Musulman.

En effet, sur les quelques 180 pays qui comptent sur la planète, il en existe une trentaine que l'on peut qualifier de musulmans*.

* Depuis la version 4.3 (janvier 1991) et l'éclatement de l'ex URSS on va gaiement vers la quarantaine, ce qui ne change rien - bien évidemment - au fond de la question !

Quant à la langue arabe, elle est parlée par environ 150 millions de locuteurs. De plus, les pays dits "arabes", ne sont pas sans influence sur la conduite de la politique occidentale en matière d'accès aux ressources pétrolières. On pourrait en dire davantage mais c'est inutile dans la mesure où le lecteur possédant la télévision ou lisant les journaux comprend très bien ce que j'entends par là.

Notre idée – qui ne paraissait pourtant pas particulièrement subversive – et nos manoeuvres ne furent pas couronnées de succès. Le projet n'aboutit pas – on cherche encore le ou les coupables – pour des raisons que je n'ai jamais réellement pu tirer au clair*.

* Depuis la version 4.3 le principal coupable étant passé de vie à trépas, mes derniers scrupules sont tombés. Je n’ai plus de raisons de ne pas aiguiller le lecteur en lui précisant que ce personnage éminent, ancien ministre du général de Gaulle et président d’une grande société nationale (impliquée à la fin du XXe siècle dans des "affaires" financières qui défraient encore la chronique) était - Dieu lui pardonne - complètement réfractaire à tout ce qui était "arabe".

Les objections le plus souvent avancées concernaient les risques qu'il y avait à s'intéresser à un sujet politiquement dangereux (le mot politique ne doit pas être pris ici dans sa connotation politicienne mais dans ce qui a trait à la vie de la cité). L'arabité recouvre, en effet, des enjeux multiples aussi bien au niveau national que régional en Provence-Alpes-Côte-d'Azur, et cache très mal un terrain d'affrontement potentiel.

La mise sur pied d'un tel club aurait-elle empêché la crise du Golfe ? Personne ne peut avoir la folie de le croire. Mais, tel un emplâtre sur une jambe de bois, elle n'aurait sans doute pas fait de mal. A ceux qui diraient que c'eût été du gaspillage, je réponds qu'une année de fonctionnement de l'ensemble du CRIN coûtait (hors salaires, j'en conviens) le prix d'un missile Patriot. Les bonnes années, bien sûr, car le budget du CRIN fluctuait entre 1 et 5 MF par an (la largeur de la fourchette n'est pas due à mon ignorance). Vous avez dit : continuité de la politique ?

Pour compléter, je signale que l'association ECRIN a créé, en 1993, le club Génie Décisionnel. Le contexte (industriel, il est vrai) ayant permis une telle décision – ma foi, assez géniale – est explicité dans le supplément au numéro 12 de la Lettre des clubs CRIN (octobre 1993) qui précise :

" Quand la maîtrise échappe au sommet de l'organisation, il ne reste que la vérification et un sentiment d'obsolescence des modèles et des outils. "

et plus loin :

" Les réflexions menées dans le cadre [de ce club] se placeront dans le cadre de la modélisation constructiviste des systèmes complexes, jugé plus pertinente, ici, que l'approche traditionnelle de la modélisation analytiques (sic) des systèmes compliqués. " (Les italiques sont dans le texte originel – le pluriel abusif aussi).

Nous voilà pleinement rassurés ; mais une question me brûle les lèvres : pourquoi une approche aussi simpliste ?

 

 

PERTINENCE DES INDICATEURS DE VALORISATION ET LEUR ÉVOLUTION

La plus ou moins grande efficacité de la valorisation au CNRS est exprimée à travers l'évolution d'un certain nombre d'indicateurs tirés des bilans annuels réalisés au fil des ans, d'abord par la DVAR, puis par la MREN, et portant sur les nombres annuels de brevets pris par le CNRS, de licences d'exploitation accordées, de contrats signés pour le compte de laboratoires, etc... Quelques commentaires s'imposent.

Les brevets :

Le nombre de brevets ne concerne que les brevets déposés par le CNRS. Or, des enquêtes réalisées par la DVAR et certaines Directions Scientifiques du CNRS ont pu montrer que pour un brevet déposé par le CNRS, on peut compter entre deux et trois brevets déposés par des entreprises sur les résultats de travaux effectués en commun. Cette donnée a pour mérite de remettre à une place plus équitable l'impact des recherches du CNRS sur le tissu industriel. Les brevets ne constituent cependant pas un indicateur très pertinent car tous ne donnent pas lieu à une exploitation industrielle.

Les licences :

Le nombre des licences accordées par le CNRS à des entreprises pour l'exploitation de brevets, de savoir-faire ou de logiciels est un indicateur un peu plus pertinent. Cependant, les chiffres apparaissant dans nos bilans incluent les simples options sur licence qui ne sont pas toutes suivies d'une exploitation effective de l'invention. D'ailleurs, on remarquera que même une licence ferme ne signifie pas nécessairement exploitation industrielle. En effet, de nombreux facteurs peuvent intervenir en cours de route et empêcher une exploitation industrielle et commerciale effective. Néanmoins cet indicateur possède un certain sens puisqu'il traduit au moins une marque d'intérêt industriel fort pour l'objet de la licence.

Évolution du nombre annuel de brevets et de licences :

Mieux qu'un long discours, l'annexe 7 rappelle l'évolution de 1982 à 1989, du nombre de brevets pris annuellement par le CNRS. Il est passé de 71 pour l'année 1982 à 151 pour l'année 1985, puis les chiffres ont décliné régulièrement jusqu'à atteindre 88 en 1989.

Cette évolution s'explique facilement par des changements de politique. En effet, dès 1986, il a été décidé de réduire le nombre de brevets, car le coût financier de la propriété industrielle commençait à devenir très lourd (environ 15 MF par an) et on ne voyait pas comment il pourrait être équilibré à terme par les redevances perçues grâce à l'exploitation des licences – et ceci malgré l'augmentation rapide du montant de ces redevances (cf. l'annexe 7).

A cet élément est venu se rajouter l'effet délétère des turbulences subies par l'ANVAR à la même époque. Si l'idée de supprimer l'ANVAR a finalement fait long feu, les quelques suppressions d'emplois*

* Environ 10 % de l'effectif ce qui n’est pas rien. Le lecteur féru d'histoire se souviendra au passage que la décimation était une sanction appliquée dans les cas de faute lourde à un corps de l'armée romaine qui s'était mal comporté.

subies par l'Agence l'ont déstabilisée durablement. Par la suite, en 1988, l'ANVAR a perdu le monopole de la valorisation des résultats de la recherche du CNRS, ce qui n'a pas peu contribué à l'amplification d'un malaise qui dure encore.

Toujours est-il que le nombre de licences accordées annuellement par le CNRS a augmenté régulièrement jusqu'en 1987, puis s'est mis à décroître. Le montant annuel des redevances, quant à lui, n'a pas cessé sa progression, pour atteindre 19,2 MF en 1991, 20 MF en 1994 et 30 MF en 1995. La tendance en matière de brevets/licences semble donc désormais orientée dans un sens convenable ce qui montre l’importance qu’il y a à inscrire une politique dans la durée. Pourvu que ça dure !

Les contrats de collaboration :

Le nombre de contrats de collaboration signés par le CNRS pour le compte de ses laboratoires est un indicateur pertinent mais un peu plus flou. En effet, si on peut lui faire une relative confiance pour les UPR (il est interdit à ces laboratoires de faire gérer leurs contrats par d'autres instances que le CNRS, mais la réalité est plus nuancée), il en va différemment avec les URA qui peuvent avoir des comportements extrêmement variés. Au total, les 1050 contrats signés par le CNRS en 1989 sont à rapprocher des 2200 contrats connus et recensés pour la même année. Ceux qui avouent cacher des contrats le font de leur propre aveu, pour éviter les lourdeurs, lenteurs et contraintes administratives.

Les consultants :

Le nombre de consultants recensés correspond au nombre d'agents qui ont demandé l'autorisation et qui l'ont obtenue, les deux étant synonymes à un epsilon près. Cet indicateur est en hausse constante (il a été multiplié par 10 de 1982 à 1989) mais sous-estime peut-être la réalité dans la mesure où bon nombre d'agents négligent de demander l'autorisation, en particulier lorsque l'opération est très ponctuelle ou de courte durée. Les raisons invoquées sont la mauvaise connaissance des règles (quelquefois) ou le fait que l'autorisation risque d'arriver lorsque la consultance est terminée (pour les opérations ponctuelles). S'y ajoute aussi parfois la méfiance traditionnelle envers l'administration à qui il est prudent de ne jamais tout dire. Il faut ajouter que le statut fiscal du consultant français n'est pas d'une très grande simplicité et est loin de constituer un encouragement pour les candidats. Mélangeant dans la plus grande confusion TVA, URSSAF, Taxe professionnelle, Impôt sur le revenu, Fisc et Administration, certains sont parfois amenés à commettre des irrégularités (pas uniquement fiscales) souvent sans le vouloir, sans le savoir et sans même s'en douter. Le lecteur machiavélique a compris que je ne veux pas parler ici du consultant qui trouverait le moyen de se faire rémunérer à l'étranger, tant cette hypothèse semble peu plausible. Résumons : le décideur qui réussirait à donner une solution définitive au problème du statut fiscal des consultants s'attirerait immédiatement la reconnaissance éternelle des intéressés (vous avez dit désintéressés ?).

Au-delà de la pertinence de tel ou tel indicateur, il est bon de rappeler le danger qui consisterait à viser comme objectif, la croissance des indicateurs. "Faire du chiffre" serait en effet, se préoccuper essentiellement du très court terme. Or, d'après les études qui ont pu être faites sur les problèmes de la valorisation à travers le monde, la croissance des indicateurs n'est que la conséquence d'une bonne politique de valorisation, et non l'inverse. Le bon sens populaire dirait que s'il est bon de surveiller le tableau de bord, il ne faut pas en oublier de regarder la route.


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