6.4 DANGER MORTEL

 

 

 

 

L'atmosphère de ma demeure n'avait pas changé. Je m'étonnais même qu'aucune perquisition n'y ait été ordonnée.

J'installais mon hôtesse forcée au premier niveau, doté d'une vaste salle de repos et d'une pièce d'hygiène. J'occuperais, pour ma part, le quatrième étage aménagé de façon identique. Le bureau et la piscine ne seraient pas une trop large séparation entre Jacqueline et moi, pensais-je.

Je me résignais cependant à accepter une disponibilité permanente pour purger l'horrible peine qui m'était assignée. De toutes façons, avais-je un autre choix à ma disposition ?

Cette question commença alors à germer dans mon esprit.

 

                                                                  lament.gif (7911 octets)

 

Nous étions fatigués tous les deux, et Jacqueline m'informa d'un répit durable ; elle sentait peu d'âmes qui lui parvenaient. Sans doute, sur sa planète Terre, la bataille s'annonçait plus difficile que prévue pour l'armée de l'Unification

Elle partit rejoindre son lit, et j'en fis de même. Je m'allongeais sur mon matelas d'hélium, tâchant de chercher un sommeil que, malgré l'épuisement, je n'arrivais pas à trouver. J'eus envie de me changer les idées. J'articulais simplement deux sons spécifiques et l'image holographique de deux équipes de scok, un jeu de ballon connu de nombreuses civilisations, se forma juste au-dessus de mon lit. J'avais beaucoup de mal à m'intéresser à la partie, et je décidais de participer au match pour concentrer mon attention. Un des joueurs abandonnait justement la manche, et je fis fonctionner le grand-angle. Le terrain virtuel s'étendît sur tout l'étage et un équipier me lançait déjà la balle. J'échangeais quelques passes avec des petits écarts digitaux mais rien n'y fit. Aucune activité ludique ne parvenait à gommer cette idée fixe qui tournait dans ma tête en posant sans cesse la même question:

-" Comment se débarrasser de cette épreuve que je dois subir ?"

Le souvenir de la terrible souffrance me convainquit que je ne pourrais plus en supporter davantage.

Je débranchais d'un mot le générateur d'images et, comme un toxicomane cherche désespérément sa drogue, je voulais trouver un moyen de stopper les atroces douleurs qui m'attendaient.

Ni ma théorie, ni le Big-bang de l'Unification, ni Dieu lui-même ne semblaient assez forts pour ôter cet objectif de mon crâne de mortel. Je regardais effrayé cette porte d'étage que Jacqueline pouvait franchir à tout moment pour me terrasser de ses affreuses vibrations. Je réfléchissais aussi à sa récente mise en garde. Pourtant, je sentais la haine m'envahir et monter doucement en moi pour me nouer l'estomac et me serrer la gorge. J'essayais de lutter contre ces pulsions que je savais mauvaises mais j'étais impuissant face à elles. Soudain, je pris cette décision irréversible :

Je serais le premier Drhyz à assassiner de mes mains un autre être pensant.

Je bondis du matelas suspendu et sans bruit je descendis dans mon bureau, au deuxième niveau. J'allumais le tableau électronique mural sur lequel j'avais passé tant de temps et j'y inscrivais, dans un sursaut de morale Drhyzienne, ce dernier défi que je me lançais :

" Kuhing, es-tu donc incapable de trouver une autre solution que ce crime digne d'un des hommes les plus mal conçus ?"

Je restais près de trois U. devant cette question qui me dépassait et, pour la deuxième fois de ma vie, des larmes qui naissaient du plus profond de moi-même montèrent dans mes yeux. Mais les violentes pulsions de haine destructrice reprirent le dessus.

Non, Kuhing n'était plus apte à trouver une solution autre que celle-ci. Dans un éclair, Je vis ce stylographe à la plume de platine affinée corne un rasoir, posé prés de mes notes éparses, et je le saisis comme une dague.

Je descendis, retenant mon souffle, les marches de l'escalier qui menait à la chambre de Jacqueline. Je poussais la porte, la jeune mutante dévêtue dormait profondément. Ses sourcils à peine visibles se fronçaient comme si, elle aussi, subissait jusque dans son sommeil un châtiment sévère. Cette expression qui marquait son visage m'émut étrangement mais la haine balaya encore ces états d'âmes : je sectionnerais d'un coup bref la carotide de l'ex jeune femme. Alors, se boucherait enfin le canal de mes souffrances.

Dieu, quant à lui, n'aurait pas mis au point tout ce mécanisme aussi compliqué s'il avait pu agir directement, et de toutes façons, peu importait, aucun châtiment ne surpasserait le calvaire des âmes à purifier. J'approchais la plume tranchante de la gorge de Jacqueline ; j'armais mon bras déterminé. Soudain, la jeune femme ouvrit ses yeux violets qui me glacèrent.

" Kuhing, dit-elle, tu connais maintenant vraiment le mal qu'il faut anéantir."

Terrassé par son regard plein de mansuétude, je laissais tomber mon arme.

 

 la suite

backswirl.gif (6166 octets)