14 décembre 2000

La suite.

Les vacances passèrent. Consoeur occupa mes pensées presque en permanence durant cette période. Mais je réussis malgré tout à tenir bon jusqu'au retour au travail. Avec du recul, j'étais un peu descendu de mon nuage. De nombreux indices me permettaient de douter du désir de Consoeur d'entreprendre une relation amoureuse avec moi. Mais il y avait une chose dont j'étais persuadé: elle voulait mon amitié. Et en toute honnêteté, je ne pouvais dire lequel de son amour ou de son amitié je désirais le plus. Certes, sa beauté et son charme me faisaient vibrer. Mais bien au delà de ça, il y avait cette douce complicité qui commençait à naître entre nous. Dois-je le répéter, Consoeur est une femme d'une remarquable intelligence, tout en étant loin d'être froidement intellectuelle. Ayant tous les deux de fortes personnalités et beaucoup de caractère, il risquait fort de naître beaucoup de points de contentions entre nous, mais malgré tout je ressentais cette irrésistible attirance vers elle, une attirance presque spirituelle, et je suis sûr qu'elle la partageait aussi.

Quand nous nous revîmes la première fois, une légère gêne flottait entre nous. Mais elle se dissipa très vite dans les jours qui suivirent alors que nous reprîmes nos conversations stimulantes et nos échanges de courriels. Puis je décidai de faire le grand saut, et de lui proposer un dîner à l'extérieur du bureau, proposition qu'elle accepta sur le champs, Ce qui caractérisait le plus nos échanges à cette époque, c'était ce léger malaise, je dirais plutôt cette légère gêne qui était toujours présente quand nous étions l'un en face de l'autre, mais qui disparaissait totalement lorsque nous communiquions par écrit.

Le dîner eu lieu, et fut fort agréable. Il fut l'occasion pour nous de parler davantage de nous-mêmes, de nous révéler mutuellement des choses sur nos vies et nos passés respectifs.

À ce moment, j'avais presque fait mon deuil de la possibilité de vivre une relation amoureuse, ni même sexuelle, avec elle. Cependant, je tenais absolument à donner suite à cette belle amitié naissante entre nous. Je me disais que si celle-ci devait éventuellement mener à plus, la nature suivrait bien son cours par elle-même. En effet, j'avais découvert que Consoeur n'avait pas eu une vie amoureuse très enrichissante, et il en avait résulter une certaine méfiance, une sorte de ressentiment envers les hommes en général, et il ne m'aurait servi à rien de la brusquer.

Les choses en restèrent donc là pendant encore quelques semaines, semaines durant lesquelles nous dînions presque toujours ensemble et où j'allais aussi la voir souvent tard en fin de journée, alors qu'elle restait seule au laboratoire. J'étais toujours le bienvenu. Nous pouvions jaser souvent pendant une heure et même plus, et plus d'une fois, alors que je m'apprêtais à la quitter, elle insistait pour que je reste encore un peu avec elle. Je me sentais bien. Je me sentais aimé et apprécié.

Je lui proposai bientôt de renouveler l'expérience de notre rencontre à l'extérieur du bureau, proposition qu'elle accepta à nouveau. Cette fois, ce fut un souper, un vendredi soir. Mes doutes quand à ses intentions envers moi se confirmèrent lorsqu'elle refusa de partager une bouteille de vin avec moi, prétextant certains abus qu'elle aurait supposément commis durant les fêtes, prétexte que je savais être faux puisqu'elle avait pris du vin quelques jours auparavant en allant dîner avec ses collègues de travail. Qu'à cela ne tienne. Il ne faisait aucun doute que mon amitié l'intéressait malgré tout, et je me dis alors que je poursuivrais dans cette voix, advienne que pourra. Après tout, ce n'était pas la première femme envers qui je ressentais une attirance non partagée, ce qui ne m'avait jamais empêché de faire de ces femmes de bonnes amies.

Comme d'habitude, un certain malaise flottait au dessus de nos têtes au debut du repas, mais il se dissipa bientôt et nos échanges se poursuivirent dans la joie et le rire. Quand nous nous quittâmes à la fin de la soirée, ce fut avec un baiser amical sur la joue que je lui souhaitai une bonne fin de semaine, lui signifiant par là mon intention de respecter les limites qu'elle avait placé entre nous. Arrivé chez moi, je ne pu m'empêcher de lui faire parvenir un de ces petits courriels dont nous avions maintenant l'habitude et dans lequel je la remerciais pour une agréable soirée en excellente compagnie.

Mais le lundi suivant, tout chavira...

Sur l'heure du midi, quand elle entra dans la pièce, je n'eus droit comme salutation qu'à un hochement de tête et un sourire poli et froid, juste avant qu'elle aille s'asseoir sur une table pratiquement à l'autre bout de la pièce. Le même scénario se répéta les jours suivants. Je tentai quelques fois un timide rapprochement en allant la visiter dans le laboratoire, mais elle me recevait toujours de façon polie mais froide, répondant simplement à mes questions, la plupart du temps sans même daigner me regarder.

Cette attitude me blessa beaucoup. Tous mes espoirs s'effondraient, et par son attitude, je ne pus qu'en arriver à la conclusion qu'une quelconque relation entre nous, amicale ou autre, ne l'intéressait plus. Je choisi donc de respecter sa décision, et à partir de cet instant je ne cherchai plus à entrer en contact avec elle. Les visites au labo cessèrent, de même que les courriels. Comme ma présence semblait maintenant la mettre très mal à l'aise, j'ai commencé à éviter de m'asseoir en sa compagnie sur l'heure du dîner, afin de nous éviter à nous deux un inconfort inutile.

Et puis, revirement de situation.

À ma grande surprise, elle se mit soudainement à chercher à attirer mon attention par tous les moyens, et je n'exagère pas. Un exemple: alors qu'elle quittait la salle à dîner, pendant que je discutais avec un de mes collègues, je pus constater qu'elle resta debout dans le cadre de porte, immobile, pendant deux bonnes minutes, jusqu'à ce que je daigne finalement poser mon regard sur elle, moment auquel elle me fit un signe de main accompagné d'un large sourire.

Devant cette invitation, je renouai peu à peu mon amitié avec elle, ce dont elle sembla ravie. Mais les choses ne furent jamais comme avant. Nous eûmes au fil des mois certaines prises de becs (conséquences de nos forts caractères et de nos opinions diamétralement opposées sur certains sujets délicats), toujours suivies par une réconciliation, dans chaque cas sur mon initiative.

La pire de toute eu lieu il y a un an et demi environ, alors qu'elle exprima une opinion sur un sujet qui me touche tout particulièrement, et qui provoqua en moi une réaction qui, je dois l'admettre, fut excessive et inappropriée. Cette fois, le conflit dépassa la simple prise de bec: je sentais que je lui avait carrément fait peur. Je découvris alors ce que je soupçonnais déjà depuis un certain temps, à savoir que derrière cette image de femme forte, indépendante et autonome, ce cachait une très grande sensibilité. Je fut à l'envers toute la semaine qui suivit, persuadé que cette fois, j'avais bel et bien dépassé les bornes, et que j'avais finalement mis le dernier clou dans le cercueil de notre fragile amitié. Il était inutile de la confronter en personne pour lui présenter mes excuses, elle me fuyait comme la peste. Je choisi donc le courrier. Dans les jours qui suivirent les choses se tassèrent. Elle me confia que mes excuses l'avaient touché, mais m'avoua qu'elle avait un peu provoqué ce genre de réaction de ma part. J'avais bien remarqué que depuis quelques semaines, il lui arrivait de me "piquer", de chercher à me provoquer, allant souvent même jusqu'à me dire à l'occasion des propos franchement méchants.

Et voila. Le reste de l'histoire, vous le connaissez, puisque c'est environ à cette époque que j'ai commencé à écrire mon journal. Notre relation durant toutes ses années ne fut qu'une succession de hauts et de bas semblables à ceux que je viens de vous décrire. Rien de réjouissant.

Je vous l'avais dit que vous seriez déçus. Pas de détails salés et croustillants. Il n'y a jamais eu ne serait-ce qu'un baiser entre nous.

Bon. Je vais aller digérer tout ça. Écrire ce texte a réveillé en moi toutes sortes d'émotions. Je suis las et fatigué...


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