15 Juillet 2000

Encore une journée splendide qui s'annonce. Et encore une fois, pour la dix millième fois, ce sera une journée que je ne pourrai partager avec personne.

J'ai en marre de cette existence. J'en ai marre de cette vie qui s'écoule en n'inspirant à qui que ce soit que la plus profonde et totale indifférence. Rien ne change. Tout est toujours pareil. Tout le monde s'en fout, tout le monde se fout de moi.

Sur le bord du lac, tout à l'heure, je repensais à un évènement qui s'est passé il y a quelques années. C'était au printemps, à la fonte des neiges, et on avait retrouvé le cadavre d'un jeune près d'un mur du Grand Théâtre à Québec. L'autopsie révéla qu'il était mort depuis plusieurs mois. De toute évidence, il avait trop but un soir de fête, s'était endormi sur le bord du mur pour finalement mourir de froid sur place et être recouvert de neige. Et vous savez le pire ? Personne n'avait signalé sa disparition; ni parent, ni ami, personne. Son existence n'inquiétait personne, et il s'est éteint comme il a vécu: dans l'indifférence généralisée.

À l'époque cette histoire m'avait profondément perturbé. Je ne pouvais imaginer une mort plus horrible, seul comme un chien, sans inspirer la moindre larme, la moindre compassion. Mais je pouvais aisément imaginer quelque chose de pire encore: de vivre de la même façon. Cet inconnu, ignoré de tous, a dû accueillir la mort à bras ouvert, comme une délivrance.

C'est ainsi que je me sens en ce moment: comme si j'étais en train de vivre cet enfer qu'il a vécu. Je cherche depuis des mois, voire des années, quelqu'un qui peut vraiment comprendre ce que je vis, quelqu'un qui peut réellement se mettre dans ma peau et imaginer ce qu'est mon existence, mais en vain. Bien sûr, je ne suis pas la seule personne que je connais qui vit dans la solitude. Mais toutes les personnes que je connais, incluant vous, mes lecteurs et lectrices, avez au moins une personne dont l'existence est intimement liée à la vôtre, une personne à qui vous pouvez toujours tendre la main, en toute circonstance.

Je vous entend déjà me rétorquer "Copine ? Consoeur ? Lola ? etc. etc.".

Quand j'ai connu Copine à l'origine elle s'est intéressée à moi parce que j'avais quelque chose à lui apporter. Elle manquait beaucoup de confiance en elle, elle ne s'aimait pas, et l'attention que je lui portait lui faisait beaucoup de bien. Plus tard, pendant environ un an, nous avons occasionnellement échangé quelques faveurs sexuelles, et je sentais que c'était surtout pour ça qu'elle recherchait ma compagnie. Maintenant que j'ai mis fin à ce volet de notre relation et qu'elle a retrouvé quelques amies avec qui faire différentes activités, elle est de plus en plus indifférente à moi. Pour être franc, à en juger par la manière dont elle et Lolita me traitaient durant notre semaine dans les Adirondacks, je me demande encore pourquoi elle a tant insisté pour que je les accompagne, et ce malgré mon état de santé. Je ne peux en conclure que c'est parce qu'elle voulait que je m'occupe de la logistique du voyage, ce à quoi elle ne désirait pas s'astreindre.

Consoeur ? Ici ce sera vite dit. Je dois me rendre à l'évidence: Consoeur se fout éperdument de moi.

Lola ? Je dois admettre que même mon état d'âme actuel ne peut me permettre de rejeter du revers de la main l'amitié dont elle a toujours fait montre à mon égard. Elle a trop longtemps subit mes sautes d'humeurs, mes états dépressifs, mes crises de négativismes pour ne rien ressentir pour moi. À moins qu'elle soit la femme la plus masochiste de toute la planète, ce dont je doute fortement. Mais, à l'instar de Consoeur et d'autres personnes dans mon entourage, peut-elle vraiment comprendre ce que je ressens ? Elles sont recherchées, désirées, sollicitées par grand nombre de personnes autour d'elles. Elles savent ce qu'elles valent, ce qu'elles ont à offrir, et leur solitude n'est pas une condamnation mais un choix, un choix qu'elles peuvent changer à tout instant.

Merde que je déteste me sentir comme ça, particulièrement quand il fait si beau. Cette pauvre nature remue ciel et terre (littéralement) pour tenter de me consoler, mais en vain.

Ce doit être cette merde de pleine lune qui joue encore avec mes nerfs.

Je me sens dans un cul de sac. Rien ne change. Malgré tous mes efforts rien ne change. Toutes mes tentatives passées pour m'en sortir, et qui m'ont brièvement permis de croire que j'y réussirais, se sont finalement soldées par des échecs. Comme si un gros élastique indestructible finissait toujours par me ramener à mon point de départ. Mon tunnel est long et sombre, et il n'y a ni lumière ni sortie à l'autre bout, juste un gros mur de pierre infranchissable.

J'aurais le goût de tout foutre en l'air: maison, travail, famille, amis, tout ! Et de partir, recommencer à zéro, refaire ma vie de A à Z. Jeter à terre ce château de carte qu'est ma vie et qui s'effondre de toute part. Détruire cette existence complètement ratée qui est la mienne. Mourir pour mieux renaître, tel un Phénix.


Ouf... J'en avais lourd sur le coeur cet avant-midi...

La journée tire à sa fin. Mais le problème, lui, demeure.

Je n'ai pas envie de repenser à l'état dans lequel j'étais ce matin. Je n'ai pas envie de me sentir comme ça encore une fois. Je n'ai plus envie de rien sentir... pas pour un certain temps en tout cas.

France m'a parlé de sa nouvelle vie à San Francisco, des possibilités qui s'offrent aux informaticiens de mon calibre là-bas. C'est une possibilité que je devrais considérer. Qu'est-ce que j'aurais à perdre ? Qu'est-ce que je laisserais derrière moi ?

Mais plus important encore, est-ce que ça changerait quoi que ce soit ? Est-ce que je ne répèterais tout simplement pas les mêmes erreurs ailleurs ?


[jour précédent] [retour] [jour suivant]