22 mai 2000

Vous savez, un chose qui contribuait grandement à mon malaise intérieur d'il y a quelques semaines était le sentiment que tout ce que je faisait dans une journée était vain, inutile, ne servait à rien, n'accomplissait rien. Chaque moment de ma journée équivalait alors à une perte de temps, et la vie étant une suite de journées mises bout à bout... vous voyez ce que je veux dire.

Écrire ce journal a changé cela, bien sûr. Mais durant ma tourmente je me demandais souvent pourquoi il était si important pour moi, et pour un très grand nombre de personnes, que notre vie ait un sens; que nous ayons l'impression d'accomplir quelque chose.

Je réfléchissais à cela cet après-midi tout en grattant ma pelouse (oui oui, j'ai finalement réussi à m'y astreindre, j'en ai les deux tiers de fait !), lorsque je fus brusquement ramené à la réalité par les hurlements abominables d'un animal qu'on égorge. J'avais déjà entendu ces cris auparavant. Aussi, n'eus-je aucune difficulté à en identifier la source. Il s'agissait de la fille cadette de mon troisième voisin. La première fois que je l'ai entendu hurler de la sorte, elle jouait dans la piscine de mes voisins d'à côté avec leur fille. Je cru d'abord qu'elle s'était fait arracher un bras ou quelque chose du genre, mais à travers ses sanglots et les mots de son pauvre père qui tentait vainement de la consoler en la serrant dans ses bras, je finis par comprendre qu'elle avait simplement reçu un peu d'eau au visage... Je peux comprendre qu'une enfant de cinq ans éclate en sanglot lorsqu'elle est blessée ou contrariée, mais en ce qui la concerne, la plus minime des frustrations déclenche une véritable crise d'hystérie aussi abominable que si on lui arrachait les ongles un à un, au grand désarrois de ses pauvres parents, qui doivent sûrement craindre que tout le voisinage en vienne à penser qu'ils s'amusent à écorcher vive leur fille durant leurs moments de loisir. Bref cette enfant a un problème. Ses parents devraient consulter quelqu'un pour ça. Peut-être le font-ils déjà d'ailleurs. Mais je digresse.

Donc, comme je le disais plus haut, la fille cadette de mon troisième voisin beuglait comme un veau. Alors que ses cris pénétraient mon cerveau et se mélangeaient aux résidus des pensées dans lesquelles j'étais plongé quelques secondes auparavant, quelque chose d'extraordinaire se produisit. Par un miracle encore inexplicable, toutes les pièces du casse-tête tombèrent parfaitement en place dans ma tête.

Et soudain, tout devint clair.

Attachez vos tuques avec de la broche, je suis sur le point de vous donnez la réponse à la question ultime, la solution au problème qui obsède l'humanité depuis l'aube des temps.

J'ai nommé: le sens de la vie. Rien de moins.

Pourquoi un enfant pleure-t-il ? Parce qu'il a faim, qu'il a froid, qu'il est mouillé, qu'il a mal, etc. etc. n'est-ce pas ? Erreur. Il pleure pour inciter quelqu'un à s'occuper de lui. Ce comportement est si profondément ancré au coeur de notre être qu'il perdure jusqu'à l'âge adulte et entraîne souvent des comportement qui à première vue peuvent sembler totalement contraires à la survie. Que ce soit le bambin qui, dérangé par l'arrivée d'un nouvel enfant dans la famille, brise un vase tout en sachant très bien que ce geste lui attirera une punition, ou l'ado négligé par ses parents qui commet un crime dans le seul but d'attirer l'attention de ceux-ci. Je connais beaucoup de personnes qui se sont obstinées pendant des années à tenter de réchapper une relation avec un conjoint irrespectueux, abusif, voire carrément violent, mais beaucoup moins qui ont enduré très longtemps un conjoint qui les ignorait purement et simplement. Qui d'entre vous n'a pas connu quelqu'un qui, consciemment ou non, s'est intentionnellement attiré les pires catastrophes pour aller ensuite se plaindre à qui veut l'entendre de sa "malchance" ? Et ne dit-on pas que le suicide, cet acte absolu d'auto-destruction s'il en est un, constitue bien souvent l'ultime appel à l'aide ?

Comment se fait-il que, contre toute attente, tant de personne en viennent à s'infliger eux-mêmes les pires souffrances dans l'espoir de s'attirer l'attention et la sympathie d'autrui ? Se pourrait-il que ce soit parce que de toutes ces souffrances, aussi horribles soient-elles, aucune n'arrive à la cheville de la plus ultime souffrance qui puisse exister: celle de naître, de vivre, et de mourir dans la plus complète indifférence de la part de tous, sans laisser la moindre trace dans aucune mémoire de notre bref passage dans cette réalité ? N'est-ce pas ainsi que de nombreuses religions décrivent l'enfer, un endroit où nous sommes totalement seul, où il n'existe que nous, et le néant ? 

À la lumière de ce qui précède, à la question bien connue "quand un arbre tombe dans la forêt et que personne n'est là pour l'entendre, y a-t-il un son ?" la réponse est: non, il n'y en a pas. Étrangement, la science moderne semble être arrivé à la même conclusion, par des chemins différents, que la plupart des religions et philosophies. En effet, la physique quantique dit clairement que tout phénomène n'existe qu'à partir du moment où il est observé.

La quête ultime de notre vie n'est-elle pas d'entendre quelqu'un nous dire "j'acquiesce ton existence, tu es un être réel, unique et irremplaçable à mes yeux" ?

Et la phrase qui précède ne se résume-t-elle pas en ces quelques mots, présents dans toutes les langues de toutes les cultures depuis l'aube de l'humanité ?

Je t'aime

Ouf... Le ti gars il est bien fatigué d'avoir philosophé comme ça, alors il va vous quitter et vous souhaiter une bonne nuit. Mais avant, laissez-moi vous dire ces quelques mots à vous, mes lecteurs et lectrices:

J'acquiesce votre existence. Vous êtes des êtres réels, uniques et irremplaçables à mes yeux.


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