1 novembre 2000

Voilà huit ans jour pour jour que j'habite ici. Même si j'avais pris possession de ma maison vers la fin du mois de juillet je n'ai commencé à l'habiter que le premier novembre 1992. À l'époque, je n'avais ni télévision, ni radio. Je m'étais improvisé quelque chose en connectant un vieux vidéo béta (qui n'enregistrait plus mais dont le synchroniseur de canaux fonctionnait toujours) sur les entrées analogiques du moniteur de mon ordinateur de l'époque, un Commodore 128 (qui traîne encore dans mon sous-sol, toujours en état de marche d'ailleurs). Ce n'était pas très élégant comme bidule mais ça fonctionnait !

Je me rappelle encore les crises d'angoisse que je faisais à l'époque, quand je rentrais de travailler et que je me retrouvais seul chez moi, sans personne à qui parler, personne à qui raconter ma journée. Je passais mes soirées à marcher de long en large dans ma maison, à essayer de trouver un livre que je n'avais pas encore lu dix fois, ou à essayer de rejoindre au téléphone le peu d'amis que j'avais à l'époque et qui avaient bien d'autres chats à fouetter que de passer la soirée à attendre mon appel, et qui étaient donc absent la plupart du temps. Donc, je parlais à des répondeurs, je m'étendais sur mon lit, je regardais le plafond et je pensais... et je regardais filer le temps jusqu'à ce qu'arrive l'heure de me coucher.

Plus tard je me suis acheté un système de son et un téléviseur, et les choses ont changé. Je pouvais écouter la télé, la radio, ou mettre de la musique de mon choix. Je commençais à apprécier le plaisir de m'asseoir dans mon salon, face à ma fenêtre, et à regarder briller les étoiles dans le ciel, ou alors à prendre un bon bain chaud à la lumière d'une chandelle, tout en écoutant de la bonne musique. Je pouvais enfin jouir pleinement de ce rêve de ma vie que je venais de réaliser: celui de posséder une maison sur le bord d'un lac. J'étais détendu, heureux, libre de tout stress et de toute angoisse existentielle, totalement indifférent à l'avenir, parfaitement satisfait d'être totalement improductif pour la société et de ne faire qu'une chose: prendre soin de moi et me faire du bien. Et même si je ne voulais plus penser à l'avenir pour un certain temps, j'avais quand même de grand projets. Cette maison allait devenir mon royaume, mon havre de paix, mon sanctuaire. J'allais pouvoir y inviter mes amis les fins de semaines, faire des barbecues et des épluchettes de blé d'Inde, aller faire du canot ou aller à la pêche avec eux, organiser des soirées guimauves grillées autour d'un feu de camp, ou alors inviter chez moi les demoiselles qui ne sauraient tarder à défiler dans ma vie étant donné que, je le croyais, j'avais finalement réussi à me débarrasser de l'image négative de moi-même qui m'avait lentement conduit à la dépression dont je m'étais sorti par moi-même quelques mois auparavant. J'allais avoir tout juste trente-et-un ans, j'étais beau, j'étais jeune, et l'avenir me souriait à pleines dents.

Et puis, j'ai pris un mauvais tournant quelque part...

Copine monte à Montréal en fin de semaine. Elle m'a demandé si je montais avec elle. Avec les feuilles dans ma cour qui ne sont pas encore ramassées, la pelouse qui n'a pas reçue sa dernière tonte de la saison, le changement d'huile de ma voiture qui n'est pas fait, pas plus que la pose de mon chauffe moteur, et tout ça sans compter les six ordinateurs de bureau que j'ai à installer et configurer au plus tard la semaine prochaine pour mon contrat, je ne manque pas de raisons pour dire non.

Mais j'ai envie de revoir Lolita...

Je lui ai envoyé un courriel hier pour la remercier des démarches qu'elle a faites pour préparer notre voyage dans le sud et pour savoir ce qu'elle faisait en fin de semaine. Je n'ai pas encore reçu de réponse. Le ton de celle-ci, si j'en reçois une, m'aidera sans doute à prendre une décision.


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