12 octobre 2000

Je suis définitivement incapable d'écrire lorsque j'entend des sons tels la radio ou la télé. La distraction m'empêche de me concentrer. C'est tout à fait normal d'ailleurs, je suis sûr que je ne suis pas le seul dans cette situation. Alors pourquoi est-ce que j'attend d'avoir poiroté presque une demi-heure devant mon écran avant de me décider de fermer le son ?

En fin de semaine, j'ai réalisé une chose. Je porte un masque. Grosse nouvelle, me direz-vous, nous portons tous un masque. Cela fait partie de notre humanité. Nous gardons tous des aspects de nous secret.

Mais en ce qui me concerne, ce masque me pèse. Beaucoup même. Je le porte depuis aussi longtemps que je peux me souvenir. Je suis un homme très orgueilleux. Toute ma vie, j'ai toujours voulu être au dessus de la situation, tout savoir, tout maîtriser. Je dois toujours paraître en contrôle, sûr de moi. Pour ceux qui me connaissent peu, je semble être un homme qui possède une vaste expérience de la vie, alors qu'il n'en est rien. Lors d'une conversation, je me livre à une remarquable  gymnastique intellectuelle pour réussir à ne parler que de la partie que je connais dans chaque sujet. Résultat: je parais érudit en tout. Or, la vérité est toute autre. Comprenez-moi bien: je ne suis pas inculte quand même. Il est vrai que je suis doté d'une grande curiosité intellectuelle et qu'au fil des années je me suis intéressé et renseigné sur beaucoup de choses. Mais là où mon expérience est beaucoup plus limitée, c'est en ce qui concerne l'expérience de la vie. Vous savez ces choses toutes simples du quotidien: faire la cuisine, s'acheter des vêtements, faire des appels téléphoniques pour prendre des renseignements sur divers sujets, etc. La plupart des gens les font sans même s'en rendre compte. Pour moi, chacune de ces activités en apparence anodines est une corvée. Pourquoi ? Parce que je ne les fais pas assez souvent pour en prendre l'habitude.

En fait, toute ma vie, j'ai toujours hésité à faire des choses que je n'avais jamais faite auparavant, de peur de paraître inadéquat ou incompétent. Autrement dit j'avais peur. Mais je ne pouvais tout simplement pas admettre que j'avais peur. Alors j'inventais toutes sortes d'excuses. Et comme je ne faisais jamais ces choses, je n'en prenais jamais l'habitude. Et n'en prenant jamais l'habitude, j'hésitais toujours à les faire pour ne pas paraître inadéquat ou incompétent. Beau petit cercle vicieux n'est-ce pas ?

Résultat: Je me suis privé de vivre. Faute d'interactions avec mes semblables, mes habilités sociales ont pris beaucoup de temps à se développer. Sans parler de mes habilités amoureuses... Toute ma jeunesse je me suis cantonné dans un nombre limité d'activités que j'avais finalement eu le courage d'essayer, afin de pouvoir paraître assez normal pour ne pas avoir à en essayer d'autres et ainsi éviter l'humiliation de devoir admettre que je n'y connaissais rien. Orgueil orgueil orgueil. Peur de l'humiliation. Peur peur peur. Encore la peur.

Au yeux de tous, je parais fort, plein d'assurance, riche d'une vaste expérience de vie.

Mais en vérité, je suis un gamin. Un enfant sans expérience, sans vécu, qui sait tout juste comment se faire à manger, pour qui une activité aussi banale que s'acheter des sous-vêtements devient une corvée, et qui a peur de tout. Peur des femmes, peur de l'intimité, peur de vivre, peur de ne pas vivre assez...

Je ne sais pas si tout cela est clair, si cela exprime bien ce que je ressens. Je pourrais travailler davantage ce texte, le peaufiner, préciser mes idées. Mais je ne crois pas que ce serait vraiment utile.

Dans quelques minutes, j'aurai fini d'écrire cette page. Je la sauvegarderai, puis je la publierai sur mon site. Et alors vous tous pourrez lire ceci. Je me demande en ce moment comment je ferai pour aller jusqu'au bout, pour trouver le courage de ne pas tout effacer. Je me révèlerai à vous, pour la plupart de parfaits inconnus, comme je ne me suis jamais révélé à personne, ni à moi-même.

J'ai dit hier qu'il était temps d'affronter mes peurs, de les regarder droit dans les yeux. Il est temps de mettre mes menaces à exécution. Cette peur de vivre, qui me tenaille les tripes depuis ce qui me semble être des siècles, est la pire de toutes, la mère de toutes mes autres angoisses. Ce soir je l'affronte, ce soir je lui met mon pied au cul à cette salope. Mon masque est trop lourd à porter, je n'en peux plus. Ce soir je scie la chaîne de ce boulet que je traîne depuis trop longtemps.

Ce soir, j'affirme publiquement, sur le web, à qui veut bien l'entendre, que je suis un homme de trente-huit ans qui a moins d'expérience de vie que certains gamins de dix-sept. J'affirme publiquement que j'ai toujours placé l'orgueil avant le bonheur, mais qu'à partir de maintenant je ne veux plus jamais que chaque nouvelle connaissance ne me voit autrement que sous mon vrai jour.

Ce soir, j'affirme publiquement que je suis seul et que j'ai peur.

Mais maintenant, je suis libre...


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