14 octobre 2000

Pourquoi est-ce que j'attend toujours si tard avant d'écrire ?

Comme je le disais hier, j'ai cerné une partie de mon problème. Je crois que la chose la plus significative qui me soit arrivé ces derniers mois est que j'ai pris conscience de ma propre mortalité. J'ai non seulement pris conscience que je suis mortel, mais j'ai également réalisé que le corps que je possède commence finalement à se détériorer. Ma vue, qui a toujours été parfaite toute ma vie, commence maintenant à baisser. Je commence à avoir de la difficulté à voir de près, et je devrai bientôt me résigner à porter des lunettes pour travailler. Les cheveux gris qui m'ont brièvement rendu visite au début de ma trentaine, pour me quitter par la suite, sont maintenant de retour. Et cette fois, ils sont là pour rester. Enfin, du moins jusqu'à ce que je les perdre, ce qui est déjà commencé. Bien sûr, c'est actuellement imperceptible pour le commun des mortels, mais ça l'est pour moi, parce que c'est ma tête, que je vis avec depuis toujours et que je la connais par coeur.

En résumé, j'ai finalement réalisé que l'inévitable vieillissement, celui que je percevais toujours comme si lointain, celui que je pouvais toujours remettre à plus tard d'un simple revers de pensée depuis le début de ma vie, est finalement arrivé. Il est là, inexorable, incontournable. Finalement, le nombre d'été qui reste dans mon existence n'est plus un chiffre abstrait et insaisissable. Je peux les compter, aisément. Et juste quand j'ai finalement appris à aimer et à apprécier ce corps que j'ai méprisé et rejeté pendant tant d'années, Il s'engage sur la pente douce du vieillissement. Si ce n'avait été de mon accident, j'aurais aisément pu aller travailler en vélo plusieurs fois par semaine cet été, comme je l'ai fait l'an passé. Et si je me décide finalement à m'acheter un nouveau vélo, je pourrai encore le faire tout aussi aisément l'été prochain. Et aussi probablement le suivant, quand j'aurai quarante ans. Et le suivant, et le suivant... mais après ?

Finalement, le paragraphe qui commence par "En résumé" est aussi long que celui qui le précède. Je n'ai jamais été très bon avec les résumés.

Ma vie sexuelle m'angoisse beaucoup aussi. Plutôt, mon absence de vie sexuelle. Je sais que ça risque de vous paraître superficiel, mais je m'en fous. J'ai dis que je ne voulais plus porter de masque ici.

Je peux compter sur les doigts de mes mains le nombre total de relations sexuelles que j'ai eu dans ma vie. Et toutes avec des femmes que je ne désirais pas vraiment. Pathétique n'est-ce pas ? Et avant Copine, je suis resté totalement inactif sur ce plan pendant plus de douze ans. J'ai laissé passé sous mon nez mes plus belles années dans ce domaine. Et pas seulement la dimension sexuelle, mais aussi la tendresse, l'affection, l'amour...

Quel beau gâchis...

Je suis à l'âge où beaucoup d'hommes sentent le besoin de s'unir à une seule personne, de former un couple, de choisir de passer le reste de sa vie avec celle avec qui ils pourront peut-être penser à fonder une famille. Et je ressens ce besoin. Mon horloge biologique est semblable à celle de tous les autres hommes. Mais en même temps j'ai peur. Peur, parce que je commence à trente-huit ans ce que la très vaste majorité des hommes ont commencé presque vingt ans plus tôt que moi, et que ma marge d'erreur est incroyablement plus étroite que la leur. J'ai peur parce que je sais que ma prochaine compagne ne sera qu'un cobaye, chose à laquelle on ne pense pas au début de la vingtaine. Mais je n'ai pas vingt ans, j'en ai trente-huit. Et malgré mon peu d'expérience sur le plan sentimental, je sais quand même des choses à mon âge que je ne savais pas à vingt ans. Je ne peux plus blâmer l'ignorance pour excuser mes erreurs. Et je ne veux pas faire souffrir de femmes à cause d'elles. Et pour finir, j'ai peur de bambocher car je me sens pressé par le temps. Mais il n'y a pas de pire perte de temps que de continuer à faire ce que je fais en ce moment, c'est-à-dire: rien.

Partout où je regarde, les portes sont closes.

Je me sens devant un problème insoluble.

Impossible de rattraper le temps perdu, incapable d'avancer, inacceptable de rester sur place...

J'ai besoin d'un autre point de vue. D'une perspective nouvelle. De contempler le problème sous un angle différent.

Car il y a toujours une solution.

Mes pensées sont remarquablement claires ce soir. Tout le contraire d'hier.

Que diriez-vous de finir le billet de ce soir sur une note un peu plus légère ?

J'ignore quel temps il a fait chez vous aujourd'hui, mais ici c'était brumeux et pluvieux. J'ai donc décidé de me botter le cul et d'aller faire un certain nombre d'achats que je remettais à plus tard depuis trop longtemps. Sans entrer dans les détails, disons que j'avais besoin, entre autres, d'un nouvel ensemble de draps pour cet hiver. Je les voulais en flanelle, pas en coton. Le coton c'est pour les draps d'été. J'aime avoir chaud dans mes draps en hiver. N'oubliez pas que je dors seul. C'est froid dormir seul. J'arrive donc dans le premier grand magasin que j'ai fait aujourd'hui et je cherche des draps. Première constatation: ils sont tous hideux. Deuxième constatation, ils sont tous en coton ou en percale. C'est peut-être parce que je ne suis qu'un pauvre homme génétiquement dysfonctionnel sur le plan magasinage, mais il me semble que nous sommes en automne non ? Alors selon ma logique sans doute déficiente parce que masculine, ne devrait-on pas voir majoritairement des articles pour l'hiver dans les rayons des magasins ? À moins que je ne sois un mutant qui aime les draps en flanelle, et que ceux-ci soient d'une rareté extrême.

Je me suis donc attelé à examiner systématiquement chaque tablette de chaque rayon de la section des draps afin de trouver ce que je cherche. En vain. J'ai répété le manège dans un autre magasin. En vain. Puis un troisième. Mais cette fois, j'ai décidé de déroger à la règle d'or de tout homme qui magasine, et qui s'énonce comme suit: Tu ne demanderas point de renseignement à un commis.

En fait, c'était une commis. Et jolie en plus. Comment résister à ce sourire. Étrangement, j'ai moins peur de paraître ignorant devant une femme si je la trouve jolie. Alors je pile sur mon orgueil de Cro-Magnon et lui demande s'il n'y a pas d'autres ensembles de draps en flanelle cachés quelque part dans le magasin. "Bien sûr !", me répond-elle, tout sourire. Et en quelques pas elle m'amène devant un rayon qui m'avait complètement éludé et dont chaque tablette était remplie de draps en flanelle.

- Je suis sûr que vous en trouverez à votre goût, me dit-elle finalement avec un petit sourire, avant de me quitter.

Et en effet, juste devant mes yeux, je vois en ensemble dont les couleurs et les motifs me plaisent. Je lis l'étiquette: flanelle, drap plat, drap contour, deux taies d'oreiller, lit queen. Autrement dit, exactement ce que je cherche.

Mais comment elles font, bordel de merde ? Elles ont un radar ou quoi ? Et en plus elles lisent dans nos pensées ? Je suis sûr que c'est parce qu'elles ont deux chromosomes X au lieu d'un comme nous. Le chromosome X doit contenir le gène du magasinage.

Car oui, je suis de plus en plus convaincu qu'il existe un gène spécifiquement conçu pour le magasinage.


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