8 septembre 2000

Vous voulez vraiment  savoir comment je me sens ?

Je vous préviens, cela risque de vous paraître plutôt décousu et incohérent. Mais après une journée entière de réflexion hier suivi d'un avant-midi aujourd'hui, pour ce qui est de la cohérence, je crois bien que j'en ai actuellement plus que j'en aurai jamais, alors aussi bien coucher tout cela sur papier (virtuel) tout de suite avant que la confusion reprenne le dessus.

Avertissement: ceux qui se sentent un peu mélancoliques ou qui souffrent d'une légère déprime sont priés de s'abstenir de lire ce qui suit.

Allons-y donc, un sentiment à la fois.

Commençons par l'ennui.

Est-ce de l'ennui que je ressens ?

Oui, mais cela n'est pas la cause de mon état d'âme. Toute ma vie a été ponctuée de périodes d'ennui, comme ce fut le cas pour chacun d'entre vous j'en suis sûr. Je passe régulièrement de longues journées à m'ennuyer, à avoir hâte que le temps passe, à me dire "enfin, l'heure du dîner", ou "enfin, l'heure du bulletin de nouvelles", ou alors "enfin, la journée est finie, l'heure d'aller me coucher". J'en ressens de la frustration bien sûr, un sentiment que je perd un temps précieux, que je laisse passer la vie sous mon nez. Mais à chaque fois qu'on s'ennuie on se dit toujours que ça va passer, et on s'accroche toujours à l'espoir de notre prochaine activité, notre prochaine sortie, notre prochaine rencontre, ou au pire on se dit que demain est un autre jour et que tout sera différent, et on y croit et ça finit là.

Mais que se passe-t-il quand on n'y crois plus ?

Prenez mon travail par exemple: En ce moment j'essaie de m'encourager en me disant que je recommence à travailler lundi prochain et que cela va me permettre de recommencer à m'occuper l'esprit. Mais même à mon travail il m'arrive régulièrement de stagner, de tomber dans la routine, et alors la panique s'empare de moi et toutes sortes d'idées sombres germent dans mon esprit: Et si je n'arrivais plus à raviver mon intérêt pour mon travail ? Et si je perdais mon attrait pour la nouveauté ? Et si je me retrouvais à passer mes journées entières à compter les heures, semaine après semaine, année après année ? Cela ne serait sans doute pas très différent de ceux qui occupent en ce moment un emploi qu'ils détestent. Mais ceux-là nourrissent quand même le rêve de décrocher un jour un travail qui les passionnera et dans lequel ils pourront s'épanouir. Ils vivent de cet espoir.

Ce qui m'amène au sentiment suivant: l'espoir.

Nous vivons tous d'espoir. L'espoir de réussir à accomplir ce à quoi nous aspirons, l'espoir de rencontrer notre âme soeur, l'espoir de nous trouver un emploi dans lequel nous pourrons nous épanouir à la fin de nos études, l'espoir de fonder une famille.

Et si rien de tout cela ne nous procurait le bonheur ? Et si l'espoir n'était qu'une illusion ? Et si demain ne nous apportait rien d'autre qu'aujourd'hui ou hier ?

Est-ce donc cela la vie ? Passer son temps à toujours lutter pour essayer de trouver quelque chose qui nous stimule, qui nous désennuie, et qu'au plus petit signe de relâchement de notre part on replonge aussitôt dans le malheur ? Ce dernier serait-il l'état normal de tout être humain, et les gens heureux ne seraient-ils tout simplement que ceux qui sont passés maîtres dans l'art de sauter d'un baume à un autre sans laisser de vide entre eux ?

Je réalise que rien aujourd'hui dans ma vie n'est si différent de ce qu'elle était par le passé, ou de ce qu'elle est pour qui que ce soit d'autre, et pourtant lorsque j'essaie d'alléger ma peine en repensant aux moment de ma vie où j'étais heureux (et oui, il y en a eu), ou à la vie des gens heureux qui m'entourent, je réalise que même si un génie claquait des doigts et me replongeait à cette époque, je ne serais pas moins malheureux que je ne le suis en ce moment.

L'émotion qui domine en moi, c'est la peur. La peur que l'état dans lequel je suis en ce moment soit mon état normal, l'état vers lequel je tend naturellement, dans lequel je me retrouve quand je suis soudainement lucide, que mes yeux s'ouvrent et que je réalise que la vie n'a aucun sens, ne mène à rien, ne sert à rien, n'accomplit rien, et que les seuls moments où nous sommes heureux dans notre vie sont ceux où nous refusons de voir la réalité en face, où nous nous fermons les yeux, cessons de voir l'avenir, nous accrochons à des espoirs de bonheur et d'accomplissement qui ne sont que des illusions. Peur que tous les gens heureux sur cette planète ne le soient qu'à cause de leur ignorance. Peur que le sens de la vie, le véritable sens de la vie, ce soit exactement ça: un long tunnel vide, sombre, et sans fin. Et par dessus tout, et c'est là la principale raison pour laquelle j'hésite tant à aller consulter un spécialiste, peur que personne sur cette terre ne puisse m'aider, parce que la seule solution qu'on pourrait m'offrir pour trouver le bonheur serait d'ignorer la réalité, d'oublier la vérité, et qu'on ne peut tout simplement pas décider de cesser de savoir quelque chose.

Ai-je réussis à vous communiquer mon désarroi ? Comprenez-vous mieux maintenant l'ampleur de l'angoisse qui m'étreint ?


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