23 septembre 2000

La responsabilité de vivre me pèse. Je la trouve trop lourde. J'aimerais déléguer cette tâche à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui me dirait comment m'occuper, quoi aimer, quoi faire, quoi accomplir. Ainsi, si je ratais ma vie, j'aurais quelqu'un d'autre quoi moi à blâmer.

La journée a été moche aujourd'hui. Mon humeur était à son image. Je l'ai encore passé dans l'angoisse. Peur d'être seul, peur de m'ennuyer, peur de n'avoir rien à faire, peur de ne plus prendre goût à rien, peur de ne plus pouvoir rien aimer, peur de rester comme ça pour toujours, peur d'avoir peur...

Peur d'en parler ici ce soir, de peur que ça empire...

Peur de prendre une bière, de peur que ça empire...

Enfin, vous voyez ce que je veux dire...

Peur de ne plus aimer...

Ça m'a fait réaliser une chose. Je n'ai jamais aimé. Je n'ai jamais été en amour. Je ne sais pas ce que c'est que de vivre un amour profond et réciproque. Je n'ai jamais été en couple. J'ai joué le jeu de la séduction, ça oui. Mais après ? Rien.

Même sexuellement, toutes mes expériences ont mal fini. Les petits plaisirs que j'en ai retiré de façon sporadique au fil des années, j'ai toujours dû les payer très cher par la suite. Il y a des années de cela, après une soirée particulièrement arrosée, Lola et moi nous étions permis quelques largesses, mais à peine. Dans les jours qui ont suivi, elle m'a dit des choses atroces. Que je l'avais déçu, que j'avais profité de sa vulnérabilité, que quelque chose était mort entre nous... ça m'avait presque tué. Elle aurait pu m'arraché les tripes à main nue que ça m'aurait fait moins mal.

Les choses se sont arrangés entre nous un peu plus tard. Elle m'a dit que ses mots avaient dépassé sa pensée. Je ne lui en ai jamais voulu à long terme. Elle avait ses raisons de réagir ainsi, elle avait son vécu à elle. Et cela fait de nombreuses années. Elle a vieilli, et moi aussi.

Mais la blessure, elle, s'est ajouté aux autres.

Peut-être est-ce pour cela que je m'accroche toujours à des femmes inaccessibles. Prenez Consoeur, par exemple.

Au début, je fantasmais beaucoup sur elle. Mon imagination marchait à plein régime. J'imaginais notre premier rendez-vous, nos conversations suggestives, notre premier baiser, nos premières caresses, notre première nuit d'amour, et puis...

Et puis quoi, au juste ?

Rien. Le trou noir. Le néant total.

Pourquoi ? Parce que je n'ai jamais connu la suite.

Alors pour ne pas tomber dans ce trou noir. Je sabote mes chances de réussite. Je m'assure de ne jamais réussir à passer l'étape de la séduction, de la conquête. Ainsi je peux continuer à fantasmer sur la partie que je connais, celle au delà de laquelle j'ai peur d'aller.

Bon sang que je suis "foqué" entre les deux oreilles. J'ai vraiment besoin d'aide. L'alternative est de rester comme je suis pour le reste de ma vie. Et ça ne me plait pas.

Finalement, ma bière n'empire pas mon état. Tant mieux. J'avais vraiment envi d'une bière ce soir.

Comment fait-on pour trouver un bon psychologue ? Est-ce que ça se magasine comme un dentiste, un garagiste ou un courtier d'assurance ?

Un petit moucheron se balade sur mon clavier. Il n'a rien à craindre tant qu'il se tient loin de mes touches.

J'ai eu à sortir aujourd'hui. J'ai choisi de passer par le chemin que j'empruntais lorsque j'allais travaillé en vélo. Je suis repassé à l'endroit précis où j'ai eu mon accident. C'était la première fois. Ça ne m'a absolument rien fait. Mon accident me semble si loin maintenant.

Je n'ai pas perdu la capacité d'aimer. Malgré mon état aujourd'hui, je n'ai pu m'empêcher de m'émerveiller devant les couleurs d'automne qui commence à teinter les montagnes, ou devant cette jolie demoiselle assise au volant d'une voiture que j'ai croisé. La simple vue de son doux visage m'a atteint droit au coeur...


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