27 septembre 2000

Il existe une théorie en psychologie qui dit que fuir la source d'une peur ne fait qu'amplifier cette dernière au fil du temps. Cette théorie est absolument vraie. J'en suis la preuve vivante.

Quand j'ai acheté ma maison il y a huit ans, je me suis dit que j'allais me permettre de prendre congé de toutes mes sources de stress pendant quelques années, que j'allais me reposer émotionnellement, que ça me ferait du bien et qu'après cela je serais frais et dispos pour reprendre le taureau par les cornes et affronter la vie à nouveau. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai arrêté de sortir, pour fuir ma peur des foules. J'ai cessé de faire de nouvelles connaissance, pour fuir ma peur des étrangers. Même les nécessités de la vie comme le magasinage pour des vêtements, accessoires, etc. je les ai réduit au stricte minimum.

Résultat ? Je suis consumé par la peur aujourd'hui. Paralysé par les activités quotidiennes les plus anodines: faire mon épicerie, aller au cinéma, faire mes courses, rencontrer de nouvelles personnes... Merde, je commence même à ressentir une légère anxiété à conduire la nuit, moi qui n'ai jamais de toute ma vie ressenti la moindre crainte au volant, et ce même dans les pires conditions !

En fait, ce n'est pas tout à fait vrai. J'ai toujours eu un peu peur de conduire en ville. Mais autrefois j'y allais quand même, sans plus y penser. Depuis que je vois moins Lola, les occasions de conduire en ville se sont faites de plus en plus rares. Résultat ? Je me sens encore plus mal à l'idée d'y aller aujourd'hui qu'il y a dix ans.

J'ai fait exactement le contraire de ce que je devais faire.

J'ai cru que fuir mes peurs m'aiderais à les affronter plus tard. Si j'avais su alors ce que je sais aujourd'hui...

J'ai toujours eu une personnalité anxieuse, et ce depuis aussi longtemps que je peux me rappeler. Mais j'ai pris un simple trait de personnalité héréditaire et au fil des années je l'ai amplifié pour en faire un sérieux problème qui m'empoisonne l'existence. Il y a treize ans j'ai fait mes premières crises de panique. Après plusieurs mois, j'ai fini par réussir à admettre qu'elles étaient de nature psychologique uniquement, que la cause n'était pas physique, que je n'allais pas mourir. Avec le temps, j'en suis venu à cesser d'être terrorisé à l'idée de faire une autre crise. Quand les premiers symptômes apparaissaient, j'essayais de les ignorer tout simplement. La réactions en chaîne était ainsi désamorcée et les symptômes disparaissaient d'eux-mêmes. Voila maintenant des années que je ne fais plus de crises de panique. Parallèlement à cela, ces crises m'ont obligé à réévaluer ma relation face à mon travail. J'ai appris à cesser de me mettre plus de pression, plus de poids sur les épaules que ce que mes supérieurs me demandaient. J'ai appris que je pouvais bien faire (très bien faire même) mon travail sans nécessairement rechercher la perfection absolue à tout prix. J'ai appris que je pouvais faire des erreurs, que les erreurs se corrigent, et que personnes ne perdrait pour autant le respect qu'ils avaient pour moi. J'ai appris que je pouvais être aimé et apprécié dans mon imperfection. J'ai assaini ma relation avec mon travail et mes collègues, ce qui m'a permis de profiter pleinement d'une carrière heureuse depuis ce temps.

Mais il n'y a pas que le travail dans la vie...

Ce n'est pas une dépression que je fais. Les symptômes ne concordent tout simplement pas. J'ai déjà été beaucoup plus déprimé que je le suis ces temps-ci, sans pourtant ressentir ce profond mal de vivre. Je ne manque pas d'énergie, mon sommeil n'est absolument pas affecté, je ne manque pas de motivation ni d'énergie pour mon travail. Ce que je ressens, c'est de l'angoisse. De l'angoisse profonde et sournoise.

Pauvres vous qui me lisez, quelle image vous faites vous de moi en ce moment ? Je me rend compte que je ne parle que de mon problème sans donner une image juste de mes journées. En fait, je gère assez bien cette angoisse du matin au soir. J'essaye de vivre au présent, de me concentrer sur mon travail. Je blague encore avec mes collègues et je discute avec eux de choses et d'autre. Je n'essaie pas de leur cacher mon mal, mais il y a de longues périodes dans la journée où je n'y pense tout simplement pas, ce qui permet à mon pauvre corps de reprendre son souffle.

Je veux d'ailleurs terminer mon billet de ce soir sur une note positive. Il y a eu un moment de ma journée et je me suis non seulement senti libre de souffrance, mais je me suis même senti bien.

Alors que je revenais de la cafétéria après m'être acheté un petit quelque chose pour le dîner, je suis arrivé face à face avec Consoeur dans le corridor. Aucune fuite possible, pour l'un comme pour l'autre. Petit bonjour, petit sourire poli. On se croise, et ça en reste là.

À la salle à dîner, je discutais avec un collègue tout en mangeant lorsque je la vois entrer pour faire chauffer son lunch. Elle s'avance vers nous, se fait saluer par mon compagnon (avec qui elle entretient encore des relations normales, contrairement à moi), échange quelques mots avec lui. Puis elle s'immobilise, cherchant à éviter mon regard. Après quelques secondes d'hésitation, elle s'avance, fait le tour de la table... et pose ses affaires à la place à côté de la mienne.

Quelqu'un d'autre est venu nous rejoindre quelques secondes plus tard. L'atmosphère s'est détendue peu à peu. Nous avons jasé, ri, beaucoup ri même. Nous avons échangé quelques regards alors que nous parlions, nos premiers vrais regards, nos premiers vrais sourires depuis plus de douze semaines.

C'était si bon. Si bon d'enfin pouvoir la regarder dans les yeux, la faire rire.

Je ne me fais pas d'illusion. Tout n'est pas miraculeusement réglé entre nous. Mais la glace est brisée. Sans perdre la face, sans avoir eu à piler sur nos petits orgueils puérils, nous nous sommes dit que nous voulions que ça cesse, que nous tenions à rétablir la communication entre nous. C'est un début.

C'est étrange. Peut-être que je m'imagine des choses, mais tout le monde du laboratoire semblait plus détendu avec moi cet après-midi.

Nous verrons bien ce que l'avenir nous réserve.


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