16 décembre 2001

Au travail, je jouis d'une confiance absolue de la part de tout le monde. Je travaille là depuis de nombreuses années, et suis responsable du réseau depuis presque aussi longtemps. Mes tâches m'amènent à interagir avec tous et chacun, à un moment ou un autre. Mes collègues me donnent leur mot de passe et les clés de leur bureau sans la moindre hésitation. Ils me reconnaissent une honnêteté et une intégrité absolues. Personnellement, je suis flatté et fier de cette confiance qu'on m'accorde, d'autant plus que c'est foutrement pratique pour moi lorsque j'ai à accomplir la plupart de mes tâches.

Bien entendu, j'essais de me montrer digne de cette confiance. À date, j'y suis toujours parvenu.

Mais à certains moments, c'est plus difficile qu'à d'autres.

Je travaille beaucoup avec l'amant présumé ces temps-ci. Lui et quelques autres collègues travaillent sur un gros projet, et ils ont souvent besoin de mes services. L'autre jour, j'avais besoin de configurer quelque chose sur son courrier électronique, à sa demande. Je le trouvai dans le bureau d'un de ses collaborateurs, et il me lança sans la moindre hésitation la clé de son propre bureau, en me demandant: "Tu te souviens toujours de mon mot de passe, n'est-ce pas ?".

Arrivé sur place, je démarrai son courrier électronique. Quel ne fut pas le premier message qui me sauta au visage ?

Un message de Consoeur, qui d'autre.

Cela n'avait bien sûr rien de surprenant. Ils sont très proches, ils doivent naturellement échanger beaucoup de téléphones et de courriels.

Mais d'être là, devant cet écran blanc, de voir cette petite ligne de texte en caractères gras, avec son nom à la gauche et un petit sujet de quelques mots à la droite, c'était... et bien disons que c'était un peu la même différence qu'il y a entre savoir qu'une femme qu'on désire en aime un autre, et les entendre faire l'amour. Si vous voyez ce que je veux dire.

Je me suis dépêché de faire ce que j'avais à faire, j'ai refermé le courrier électronique et je suis sorti. Encore une fois, mon inébranlable intégrité a triomphé.

Une petite tape dans le dos Laqk ? Merci, ce serait pas de refus.


Il y a un évènement qui s'est passé l'autre soir à mon party de bureau, dont je n'ai pas parlé ici, parce que sur le coup, je dois l'avouer, je n'y ai pas prêté grande importance. Mais maintenant, quarante-huit heures plus tard, je réalise que c'est l'évènement que je retiens le plus (plus encore que ce langoureux slow que Consoeur et l'amant présumé ont dansé ensemble), le seul dont l'image soit encore parfaitement nette dans ma mémoire.

Je me vois donc contraint d'admettre qu'il m'a sans doute marqué plus que je ne l'aurais cru à prime abord.

L'un de mes collègues, sans être réellement antipathique, est parfois, disons, chiant. En fait, outre ses nombreuses qualités, il est également égocentrique, imbu de lui-même, prétentieux, chiâleux à l'extrême, et totalement convaincu de sa propre supériorité sur l'ensemble de la race humaine. Et en plus, il n'est pas particulièrement beau et il pue de la gueule. France le reconnaîtra tout de suite. Elle doit être en train de se tordre de rire en lisant ces lignes d'ailleurs.

Bref, alors qu'un petit groupe d'entre nous dansions ensemble à la fin de la soirée, monsieur devait évidemment faire son show, attirer l'attention sur lui. Bon, rien de bien particulièrement chiant là-dedans. C'était même plutôt comique et ça mettait de l'ambiance.

Mais, alors que le rythme de la musique ralentit quelque peu, il prit dans ses bras l'organisatrice du party (celle sur laquelle j'avais lâché ma frustration plus tôt dans la soirée), pour commencer à danser un slow avec elle. Je tiens à signaler qu'il s'agit d'une femme très belle, très désirable, et très convoitée par la gent masculine. Mais elle est également en couple, et très heureuse de l'être. Lui aussi d'ailleurs est en couple. Sans compter qu'ils ont plus de vingt ans de différence d'âge.

Sans entrer dans les détails, disons qu'à certains moments il désirait clairement que ça aille plus loin qu'un simple slow. Et le pire, c'est qu'elle semblait aimer ça ! Lorsqu'à un certain moment ils se parlaient alors que leurs visages étaient séparés de quelques centimètres à peine, je me disais qu'elle devait vraiment être saoule pour ne pas s'évanouir en respirant à plein nez son haleine infecte. Et pourtant non, elle était restée plutôt sobre toute la soirée.

Lorsque la musique reprit un rythme un peu plus rapide, ils se séparèrent un peu mais continuèrent à danser ensemble en se tenant par la taille pendant quelques minutes.

Je pouvais clairement lire le triomphe, la fierté dans les yeux de mon collègue. Il savait que tout le monde l'avait vu, et c'était exactement ce qu'il voulait, pouvoir pavaner comme un paon, montrer à tous ce qu'il avait réussi à accomplir. Il ne voulait que se servir d'elle pour satisfaire son démon du midi.

Venant de lui, rien de tout ça ne me surprenait. C'était exactement son style. Plus tard dans la soirée, alors qu'elle et moi parlions ensemble, il est venu nous rejoindre et en rajoutait encore, faisant continuellement allusion à ce qui venait de se passer, et guettant toujours ma réaction du coin de l'oeil. Et je suis prêt à vous parier un gros brun qu'il va s'en vanter toute la semaine à qui voudra bien l'entendre.

Mais ce qui m'a vraiment sidéré, c'est son comportement à elle.

Pourquoi diable a-t-elle joué son jeu ? Je sais pertinemment qu'il est absolument impossible qu'elle ressente pour lui la moindre attirance (à moins qu'elle se soit fait frappée par un train), et elle est beaucoup trop intelligente pour ne pas avoir vu dans son jeu.

Alors pourquoi ?

Décidément, je ne comprendrai jamais les femmes.

Vous voulez savoir ce qui me frustre le plus ? C'est que si les circonstances avaient été différentes, et que cette collègue m'avait vu faire la même chose que ce qu'il a fait avec une poulette vingt ans plus jeune que moi et dans la même situation matrimoniale, elle aurait fort probablement été la première à condamner vertement mes gestes et à me rabaisser dans son estime. Et pire, si moi j'avais essayé de faire avec elle ce que lui a fait, elle m'aurait sans aucun doute repoussé très cavalièrement, pour ne pas dire carrément giflé.

Je crois que je viens de comprendre pourquoi aucune femme ne veut de moi. Je suis trop jeune, trop beau, trop correct, trop respectueux, trop intègre, et je me brosse trop les dents.

Et dire que toutes ces années, je pensais que c'était ce qu'il fallait être pour plaire aux femmes. Comment ai-je pu être aussi con ?


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