18 décembre 2001

Plus que trois jours à travailler, après quoi j'aurai droit à cinq jours consécutifs de congé. Après dix-neuf jours consécutifs de travail, cela me fera le plus grand bien.

Mais (il y a toujours un "mais" avec moi, vous le savez bien), pour moi, cinq jours consécutifs de congé impliquent presque automatiquement cinq jours à ne voir personne. Je sais, ça vous parait incroyablement difficile à croire que je puisse mener une vie pareille, mais dites-vous bien que c'est encore pire pour celui qui la vit. En fait, la seule activité prévue à mon agenda est un souper dans ma famille le soir de Noël.

En fait, j'ai réitéré mon invitation à l'organisatrice et à son conjoint à se joindre à Copine et à moi dans mon humble demeure, un bon verre de porto à la main, pour regarder leurs photos de voyages. Elle ne m'a rien promis car, comme la majorité des gens normaux, elle sera très occupée durant le temps des fêtes, devant se partager entre ses amis, sa famille, et celle de son conjoint.

Parmi ses amis, il y aura France, qui doit revenir passer le temps des fêtes ici, mais dont je n'ai eu aucune nouvelle récente. J'ignore si elle aura ou non envie de me voir. Ça me ferait très plaisir bien sûr, mais j'essais de ne pas avoir d'attente. Voilà deux étés consécutifs que je lui promet d'aller lui rendre visite à San Francisco, mais où je me désiste finalement.

Parlant de l'organisatrice, j'ai dîné avec elle ce midi, et elle nous a annoncé qu'elle fêtait cette semaine le dixième anniversaire de son couple.

Dix ans, vous vous rendez compte ? Et elle n'a même pas encore trente ans. Je me suis surpris aujourd'hui à m'interroger, à me demander ce qu'auraient été les dix dernières années de ma vie, les années de ma trentaine, si je les avais passées en couple. Que serais-je aujourd'hui ? Ou serais-je ? Qui serais-je ? Est-ce que j'habiterais toujours ici, aurais-je le même emploi ? Aurais-je des enfants ?

En allant remplir les bidons de l'humidificateur en fin d'après-midi, Consoeur était dans son local. Nous ne nous sommes pas parlé. Elle faisait jouer à tue-tête une chanson de George Michael, que je déteste profondément et viscéralement. Du peu que j'en sais, Consoeur et moi semblons partager des goûts très semblables sur le plan musical, sauf qu'il y a nécessairement des exceptions à la règle, comme dans toute chose.

En écoutant cette musique, je me disais que si les choses avaient pris une tournure différente entre elle et moi il y a bientôt trois ans, nous habiterions peut-être ensemble. Et qu'au lieu de la quiétude de mon chez-soi, je serais peut-être obligé d'entendre régulièrement cette abominable musique certains soirs alors que je voudrais avoir la paix.

C'est alors que j'ai compris. J'ai compris ce que je peux retirer de positif de toutes ces années de d'isolement, de souffrance et de désirs inassouvis.

J'ai compris que si un jour je suis dans cette situation, si un jour le destin finit par me foutre la paix pour se chercher une nouvelle tête de turc, et que je rencontre celle qui deviendra ma compagne de vie, et qu'un jour cette compagne de vie fait ou dit quelque chose qui me fera perdre patience, me mettra hors de moi, alors je n'aurai qu'à faire une petite pause, et à repenser à toutes ces années, ces années de souffrance, d'angoisse, où semaine après semaine, mois après mois, je ne faisais que survivre, torturé nuit et jour par l'inébranlable impression de gâcher ma vie, de laisser passer l'unique chance de vivre une vie pleine et entière.

Et alors je n'aurai qu'à la regarder, et voir en elle la femme que j'ai vu le premier jour où elle est entrée dans ma vie.

Et alors, George Michael ne m'apparaîtra plus que comme une toute petite irritation sans la moindre importance.


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