23 février 2001

Il y avait une conférence cet après-midi au bureau. Certains de mes collègues présentaient les résultats préliminaires de leur travaux de recherche. J'y ai assisté, Consoeur aussi. Après l'exposé, plusieurs personnes sont demeurés dans la salle pour discuter en petits groupes, dont Consoeur et moi. Comme il se doit, nous ne nous sommes pas adressés la parole une seule fois. Chassez le naturel, et il revient au galop. Mais étrangement, nous n'étions jamais bien loin l'un de l'autre. En fait, pendant tout le temps, nous étions carrément dos à dos, discutant chacun dans notre petit groupe.

J'en rirais, si ce n'était pas si pathétique.

Mais trêve de diversion. Passons aux choses sérieuses.

Ce soir, je vais vous faire une grande révélation. Un révélation qui chambardera entièrement l'image que vous pouviez avoir de moi à date. Une révélation que je tarde à m'admettre à moi-même depuis trop longtemps, et que le fait d'avoir nié a saboté à date mes chances de réel progrès sur le plan socio-affectif de ma vie.

Cette révélation, ou plutôt cette admission, la voici:

Je suis un looser.

Ben voyons Laqk ! Tu trouves pas que tu charries un peu ? Tu trouves pas que t'es un peu dur avec toi-même ?

Ah oui ? Si je vous demandais de trouver le qualificatif qui décrit le mieux un homme de presque quarante ans qui, jamais une seule fois dans sa vie, n'a réussi à séduire une femme qu'il désirait, que me répondriez-vous ?

...

Je m'en doutais.

Voilà ! C'est fait. C'est dit. Je suis un looser ! Plus de retour en arrière maintenant. J'ai craché le morceau. Et c'était un méchant gros morceau. Je vais renommer mon site, tiens. "Journal intime d'un looser". Venez vous délecter des déboires de Laqk qui exhibe sur le net les détails déprimants de sa vie amoureuse pathétique.

Bon. Qu'est-ce que je fais avec ça maintenant ?

Il n'y a pas cinquante-six solutions.

Ou bien j'accepte mon statut de looser, je me raisonne, je me dis que ça ne sert à rien de ne juger de la valeur d'un être humain que par la seule nullité de sa vie amoureuse, que je n'ai pas nécessairement raté toute ma vie simplement à cause de ce menu détail, et je réalise qu'au fond, je suis une personne extraordinaire pleine de belles qualités malgré tout...

Ou alors je me révolte, je prend sur moi, je change mon fusil d'épaule, je fais volte face, et je commence aujourd'hui à cesser d'être un looser.

Et comment fait-on ça ?

En séduisant une femme que je désire ?

Une seule ? Ne pourrait-ce pas n'être qu'un simple coup de chance ? Si j'ai vraiment quelque chose à me prouver, ne dois-je pas répéter l'expérience plusieurs fois, pour prouver hors de tout doute raisonnable que je peux réellement séduire une femme que je désire ?

À partir d'ici, si vous commencez à être un peu dégoûtés de moi, vous pouvez cesser de me lire.

Mais moi, je n'ai pas ce luxe. Je ne fais pas que lire ces lignes, je les écris.

Voilà donc ce qui me bloque, ce qui m'empêche depuis toutes ces années d'aller vers une femme avec qui je pourrais tomber amoureux et vivre une relation durable et épanouie: Je perçois chaque amoureuse potentielle comme un obstacle, comme une barrière qui m'empêcherait de séduire d'autres femmes jusqu'à ce que j'aie réussi à me convaincre que je ne suis pas un looser. Je jette donc mon dévolu sur des femmes inaccessibles, et tout naturellement, j'échoue à les séduire, tant sur le plan sexuel qu'amoureux, alors je me perçois encore davantage comme un looser, je ressens encore plus le besoin de me prouver quelque chose, etc etc...

Quel superbement vicieux petit cercle...

Et moi, je cours... je cours dedans, comme un hamster dans sa roue, depuis des années et des années...

Et la seule issue possible, c'est de laisser libre cour à mon côté séducteur, à entraîner femme après femme dans mon lit, sans la moindre promesse d'amour, en sachant très bien que le seul et unique but de chacune de ces séductions sera de me prouver quelque chose, de cesser finalement de me percevoir comme un looser, et que chacune de ces femmes n'aura servi qu'à cela...

D'accord, je ne serai plus un looser. Mais alors, que serai-je devenu ?

Voilà. Tout ceci n'était vraiment pas facile à admettre. Je ne suis pas l'homme noble et intègre et digne de confiance que je voudrais être. Au fond de moi, il y a l'autre, celui qui souffre, et qui est prêt à tous les mensonges, toutes les manipulations, toutes les bassesses, pour se prouver à lui-même qu'il est quelqu'un, quitte à faire souffrir les êtres qui lui sont les plus précieux au monde.

Si ce journal que j'écris depuis dix mois ne m'aura servi qu'à me faire cette admission, il en aura valu la peine. Je me sens soulagé, libéré d'un lourd secret sous le poids duquel je croule depuis trop longtemps.

Que fais-je à partir de maintenant ? Comment ferai-je face à mes amis maintenant, sachant ce que je sais, sachant que je leur montre un masque depuis toujours ?

Premier test demain. Je passe la fin de semaine au chalet de Lolita.


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