4 juin 2001

Cette douleur au dos est réapparue depuis hier soir. J'ai identifié l'endroit précis où elle prend naissance. Je n'ai qu'à appuyer mon doigt juste entre l'acromion de l'omoplate gauche et ma septième vertèbre cervicale, et à exercer une pression ferme pour sentir immédiatement un choc électrique me traverser le côté gauche dans deux directions: sous l'omoplate vers l'épaule gauche, et le long de ma colonne vertébrale vers le bas du dos.

Je crois que je vais devoir dormir sur une bouillotte d'eau chaude pour quelques nuits.

J'ai passé la journée de dimanche avec l'ami de la fin de semaine passé. Nous avons découvert, dans la région de l'amiante, un parc peu connu et encore moins fréquenté (la dame à l'accueil nous a confirmé à notre départ que nous avions été les deux seuls visiteurs de la journée !). Il s'agit d'un endroit dont les premiers kilomètres de sentier sont plutôt familiaux, mais dans lequel même des randonneurs expérimentés comme nous peuvent trouver du plaisir s'ils se donnent la peine de pousser plus loin dans les dits sentiers. Vu le temps incertain qu'on annonçait, nous avions traîné notre équipement de pluie mais nous n'en avons pas eu besoin, sauf dans le tout dernier kilomètre à notre retour, où nous avons eu droit à une petite ondée de cinq minutes. Durant tout le reste de la journée nous avons profité d'un ciel simplement nuageux mais ponctué de nombreuses et très belles éclaircies ensoleillées.

Encore une fois, comme à chaque fois, la nature nous réservait quelques belles surprises.

Au beau milieu d'un sentier, à la sortie d'un boisé, quelle ne fut pas notre surprise de tomber sur une carcasse de chevreuil complètement nettoyée ! La colonne vertébrale, les côtes et le bassin étaient encore attachés ensemble. Le crâne et la mâchoire inférieure étaient détachés du corps et reposaient un peu plus loin, ainsi que les quatre pattes qui, à partir du genou vers le sabot, semblaient encore intactes. Quand aux poils gris-bruns, il y en avait absolument partout, dispersés sur plusieurs mètres autour de la carcasse. À en juger par la taille du squelette, il s'agissait d'une bête de petite taille, probablement une jeune femelle. Un examen détaillé ne nous a pas permis de trouver une quelconque trace de blessure ou de traumatismes graves. Bien que disloqués, les os semblaient tous intacts, et ni le crâne, ni les vertèbres cervicales, ni les côtes ne portaient de trace évidente de morsure d'un gros prédateur. Bien que notre examen fut très sommaire, nous n'avons pu déterminer de cause évidente de la mort. De plus, le bon état du squelette nous portait à croire que la carcasse avait été soigneusement nettoyée par des becs ou des mâchoires de petites tailles: corbeaux ou corneilles, renards, coyotes peut-être. L'hypothèse de loups nous semblait peu probable, surtout qu'à notre connaissance il n'y en a plus dans cette région depuis bien longtemps.

D'après la couleur des os, les quelques lambeaux de chair encore accrochés à ceux-ci, et l'odeur peu prononcée que dégageait la carcasse, la mort remontait à peu de temps, quelques jours tout au plus. C'était quand même fascinant de voir à quel point un cadavre d'animal peut être complètement dépecé en si peu de temps. J'ai bien eu envie de rapporter avec moi le crâne et la mâchoire inférieure, mais j'ai finalement décidé de laisser la nature suivre son cour. D'ici quelques semaines, les porcs-épics auront fait disparaître les dernières traces d'ossements, et seuls quelques poils courts disséminés ça et là témoigneront encore du drame de la nature qui s'est déroulé en cet endroit.

Plus tard dans notre randonnée, au sommet d'une montagne, sur un belvédère bien aménagé d'où nous pouvions voir d'un coup d'oeil les paysages de cette région étrangement mutilées par l'activité humaine, nous avons été littéralement émerveillé de voir surgir devant nous quatre magnifiques urubus à tête rouge, se livrant à l'occasion à quelques acrobaties aériennes absolument fascinantes, mais se contentant la plupart du temps de glisser silencieusement à travers les courant ascendants remontant le long des parois escarpées de la montagne. À certains moments, ils passaient si près de nous (une dizaine de mètres à peine !) que nous pouvions clairement distinguer sur leur tête dégarnies leur petits yeux qui tournaient leur regard perçant dans notre direction. Ces magnifiques oiseaux, d'une envergure de plus de deux mètres et à la vue largement supérieure à la nôtre, savaient très bien que nous étions là, et ils semblaient faire montre d'autant de curiosité envers nous que nous envers eux.

Ce n'est qu'en redescendant la montagne, après avoir passé plusieurs minutes magiques en compagnie de ces merveilleuses créatures, que mon ami et moi nous sommes regardés et avons pensé la même chose en même temps: de toute évidence, nous venions de trouver les responsables du nettoyage si méticuleux de la carcasse de chevreuil que nous avions précédemment croisée. Seuls les becs acérés de ces oiseaux, façonnés par des millions d'années d'évolutions, pouvaient dépecer une carcasse d'animal en si peu de temps et avec cette finesse et cette précision quasi chirurgicale.

Et puis quelle ne fut pas ma surprise de constater que le sous bois du versant sud de la montagne et d'une bonne partie du sentier qui nous ramenait à notre point de départ foisonnait littéralement de thé des bois ! Incertain de mon identification au début, je n'eus qu'à déchirer une feuille d'un des plants et à la porter à mes narines pour reconnaître immédiatement l'odeur si caractéristique du salicylate de méthyle. Moi qui recherchait depuis longtemps une source abondante de thé des bois, me voilà servi. :-)

Notre randonnée ne fut pas très longue; quelques heures et une quinzaine de kilomètres, mais elle fut néanmoins suffisante pour nous faire réaliser deux choses. Premièrement, nous avons vraiment l'amour de la nature dans les tripes, et rien ne peut remplacer le sentiment de bien-être qu'une telle journée nous procure. Et deuxièmement, nous avons vraiment besoin de nous remettre en forme...

J'ai toujours été très à l'aise avec ce vieil ami. Hier, je nous sentais revenu comme au bon vieux temps. Le Manque s'est fait absent à peu près toute la journée. Je ressentais un étrange bien-être, le bien-être du connu, du familier. Mais en même temps, je ne veux pas revenir vers le passé, je ne veux pas renier tout le progrès que j'ai fait au fil des mois.

L'été ne fait que commencer.


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