18 juin 2001

Comment peut-on faire le choix conscient de faire reposer totalement notre bien-être, notre épanouissement et notre bonheur sur un seul et unique être que l'on sait pouvoir perdre à n'importe quel moment ?

C'est pourtant ce que la majorité d'entre nous faisons au moins une fois au courant de notre vie.

Et moi, enorgueilli de ma soi-disante lucidité, je méprisais tout ces gens.

Il y a quelques années de cela, l'un de mes collègues me parlait de ses déboires avec son "ex". Je n'avais que son point de vu à lui, bien sûr, mais là n'est pas la question. Ils ont eu deux enfants avant leur séparation. Elle s'était faite un nouveau conjoint depuis leur séparation, et était également retournée aux études. Si je me fis à ses dires à lui, elle se faisait vivre à ses dépends, lui extorquant chaque dollar qu'elle pouvait, sous prétexte de subvenir aux besoins des enfants. Il s'agissait d'une entente à l'amiable, et lorsque je lui demandais pourquoi il n'allait pas en cour pour obtenir une entente écrite juste et équitable pour tous, il me répondait que son ex l'avait prévenu que ce serait les enfants qui souffriraient d'une longue bataille juridique. Autrement dit, elle le faisait chanter de façon à peine voilée.

Et vous savez ce que je ressentais envers lui lorsqu'il me racontait tout ça ? Pas de la sympathie devant sa situation, pas de l'admiration devant son désir de protéger ses enfants à tout pris. Non, plutôt une sorte de mépris.

Vous avez bien lu.

Ce que je me disais en dedans de moi en le regardant, c'était: "Pauvre con, comment as-tu pu ne pas voir que c'était inévitablement comme ça que ça allait finir ? Ne sais-tu donc pas que toute chose est éphémère dans ce monde ? Comment as-tu pu être assez aveugle pour oser croire que votre relation allait durer toujours ? Tu as voulu avoir des enfants avec cette femme, croyons stupidement que vous alliez toujours être ensemble pour les voir grandir ? Et bien accepte les conséquences de ta décision et cesse de te plaindre."

Il y a deux ans un autre collègue m'a également fait part de sa rupture avec sa conjointe, un an après la naissance de leur enfant. C'est elle qui a mis fin à leur relation, et il en a été tellement affecté qu'il a du obtenir de l'aide professionnelle pendant de nombreux mois avant de commencer à remonter la pente. Et moi, ma réaction face à ce qui lui arrivait, c'était de me dire: "Mais comment as-tu pu croire une seule seconde que cela n'avait aucune chance de t'arriver ? Comment as-tu pu être si surpris de voir ta relation prendre fin ?"

How's that for compassion...

Ça vous dégoûte de moi d'apprendre que je pensais ainsi ?

Je ne vous en veux pas.

Je vous comprend même.

Ça me dégoûte moi aussi.

Je n'avais rien compris.

Ces deux collègues, ainsi que toutes les autres personnes dans des situations similaires, n'étaient pas cons, aveugles et naïfs. Ils étaient parfaitement lucides, aussi lucides que moi, plus même. Ils étaient tous parfaitement conscients de la brièveté des choses, de la fragilité des relations, de la possibilité très réelles que leur couple se brise un jour, et qu'eux ainsi que leurs enfants en fassent les frais.

Il n'y a pas qu'une rupture pour mettre fin à un couple. La vie est fragile, et une maladie, un accident, peuvent avoir les mêmes conséquences.

Non, ces gens, pour la plupart du moins, savaient tous très bien dans quoi ils s'embarquaient.

Et ils ont pris quand même la décision de s'y lancer, en toute connaissance de cause, malgré les risques.

Comme nous prenons à chaque matin la décision de nous lancer dans le premier jour du reste de notre vie, sachant très bien que c'est une bataille perdue d'avance puisque nous n'en sortirons pas vivant de toute façon.

Vivre est un choix.

Aimer aussi.

Malgré les risques, malgré l'incertitude, malgré les impondérables sur lesquelles, quoi que nous fassions, nous n'aurons jamais aucun contrôle.

Nous faisons le choix d'aimer.

Pourquoi ?

Parce que l'alternative est trop horrible.

Et pourtant, c'est cette alternative que j'ai choisi de vivre depuis trente-neuf ans.


J'étais sur ma galerie tout à l'heure, à la tombée du jour. Les petites grenouilles siffleuses ont beaucoup diminué leur ardeur. Leur saison tire à sa fin. Et oui, déjà. Mais les grenouilles-contrebasses ont commencé à prendre la relève.

Dans la noirceur des buissons brillait la lueur de quelques lucioles, alors que les silhouettes sombres de quelques chauve-souris acrobatiques de découpaient sur le ciel teinté des dernières lueurs du crépuscule.

Et puis dans mes oreilles, encore une fois, le chant du huard, cette longue complainte qui m'envoûte.

Puis, au loin, quelques sons trahissant la présence humaine. Des voix, des rires. Ces sons ne juraient pas avec ceux de la nuit. Ils s'y fondaient, s'y mêlaient, en harmonie.

La coexistence entre nous et la nature n'est pas impossible. Elle est notre mère, elle nous ouvre ses bras.


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