29 mai 2001

L'an passé à pareille date, j'ai reçu par la poste un petit questionnaire de recensement, gracieuseté de Statistiques Canada. Il va sans dire qu'il a pris le bord du bac à recyclage. Pourquoi ? Parce que je revendique le droit absolu et inaliénable de ne pas divulguer mes renseignements personnels à quelque organisme que ce soit, gouvernemental ou autre. Je ne commet aucun acte illégal, je paie mes impôts, et à mes yeux j'ai donc droit à ma vie privé et à mon intimité tels que me les garantit la charte des droits et libertés.

Deux semaines plus tard, je trouve un petit papier identique coincé dans ma porte d'entrée. Il subit le même sort que son prédécesseur.

Encore deux semaines plus tard je reçois un téléphone d'une petite madame de Statistiques Canada, qui me demande si j'ai bien reçu le questionnaire de recensement. Je lui dit donc que oui et lui indique également, et très poliment, ce que j'en ai fait.

C'est alors qu'elle me fait remarquer, avec le ton le plus poli dont elle est capable, que refuser de répondre à un recensement constitue une infraction au code criminel canadien, passible d'une amende et même d'emprisonnement ! Sans compter qu'elle me vaudrait également un beau dossier criminel !

En entendant ces mots j'étais littéralement furieux. Non mais bordel de merde, dans quelle sorte de système pourri vivons-nous si on considère des citoyens comme moi, qui désirent simplement se prévaloir de leur droit à la vie privée, sur le même pied que les criminels dangereux ? À mes doléances, exprimées pourtant avec le plus de tact et de politesse dont je suis capable, et ce malgré la rage qui bouillait en moi, la petite madame rétorqua qu'on ne peut considérer un recensement comme une atteinte à la vie privée au sens de la loi puisque les renseignements qu'on y demande seront utilisés uniquement à des fins de statistiques et ne seront jamais divulgués à d'autres organismes gouvernementaux ou non. Mon cul oui ! Vous croyez à cette connerie vous ? Depuis quand devons-nous faire aveuglément confiance à un organisme gouvernemental de toute façon ?

Lorsque je lui ai demandé en vertu de quel article du code criminel j'étais dans l'obligation de répondre à ce questionnaire, elle a été incapable de me répondre. Même chose lorsque je lui ai demandé de quelles peines j'étais passible si je me cantonnais dans mon refus. Visiblement très étonnée et un peu désarçonnée par mon attitude rébarbative, la petite dame essaya de me calmer et de me faire entendre raison (sa raison oui !) en m'expliquant qu'au fond, je pouvais répondre n'importe quoi car le questionnaire est distribué par foyer, et non par individu, et qu'en vertu de la loi sur la protection des renseignements personnels, Statistiques Canada ne peut corroborer mes déclarations avec les données obtenues par un autre ministère ou organisme. Bien sûr ! Comme si j'allais gober ça ! Pensez-vous qu'ils se gêneraient pour aller chercher mon nom et mon numéro d'assurance sociale s'ils décidaient de porter des accusations criminelles contre moi ? Est-ce que j'ai l'air d'avoir une pognée dans le dos ?

Finalement, c'est sous la menace à peine voilée de procédures légales que j'ai finalement répondu aux questions qui m'ont été posées. Après m'avoir hypocritement remercié pour ma collaboration (salope !), la petite madame, visiblement soulagée, s'est empressée de raccrocher le téléphone. Et moi, totalement consterné, j'ai ragé en dedans pendant tout le reste de la journée. J'ai pris beaucoup de temps à m'endormir cette nuit là, encore sous le coup de la frustration et de l'humiliation que je venais de subir. Je n'arrivais pas à croire que je vivais dans un pays supposément civilisé, dont les dirigeants condamnent à grands cris les violations des droits humains commis partout à travers le monde, mais qui votent des lois absolument honteuses dignes des régimes totalitaires, qui menacent d'emprisonnement un honnête citoyen dont le seul crime est de refuser simplement de divulguer des renseignements strictement personnels à un membre quelconque du gouvernement.

Et je suis d'autant plus révolté et consterné de voir que personne autour de moi ne semble comprendre mon indignation face à cette situation inacceptable, que personne dans notre société ne semble dénoncer un abus de pouvoir si évident et intolérable de la part d'un gouvernement dit démocratique.

Il y a trois semaines, j'ai encore reçu cette saloperie de questionnaire de recensement. J'ai pu y lire que la loi oblige Statistiques Canada à tenir un recensement à tous les cinq ans. Pourquoi est-ce que ces chiens m'emmerdent-ils avec leur putin de questionnaire encore cette année alors ? Je devais l'avoir posté pour le 15 mai. Je l'ai encore chez moi. Je vais la remplir ce soir et le poster demain. J'espère que les délais administratifs que mon retard entraînera seront suffisants pour emmerder, ne serait-ce qu'un tout petit peu, ces salauds de Statistiques Canada. Mon attitude est puérile, je sais, mais elle constitue ma seule arme, et ma seule source de satisfaction.

Vous trouvez que j'exagère ? Que je fais une tempête dans un verre d'eau ? Que ma révolte est totalement disproportionnée par rapport à l'affront ? Peut-être, mais prenez comme exemple une situation bien d'actualité: l'affaire Mario Bastien, ça vous dit quelque chose ? Peut-être partageriez-vous davantage mon point de vue si, par exemple, l'un de vos enfants avait été lâchement violé et assassiné par un meurtrier psychopathe déjà condamné et emprisonné, mais pourtant remis en liberté des années avant le terme de sa peine parce qu'à sa place, dans nos prisons surpeuplées, ils auraient mis le dangereux criminel que je suis devenu, simplement parce que j'ai osé faire à ces messieurs dames de Statistiques Canada l'impardonnable affront de refuser de répondre à leur petit questionnaire...


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