1 mars 2001

Printemps ? Quel printemps ?

Moins vingt-six ce matin chez moi.

Putin de marmotte.

Vivement la fin de semaine. Je n'ai aucune idée de ce que je vais faire. Mais si les filles ne me donnent pas signe de vie, je vais probablement aller m'acheter de la terre, des pots, et faire le grand ménage dans mes plantes. Comme beaucoup d'autres choses dans mon environnement, je les néglige beaucoup trop. Par exemple, j'ai une plante grasse qui n'a pas poussé d'un seul millimètre depuis au moins cinq ans. Et non, elle n'est pas morte. Je n'ai pas le pouce vert, mais je ne suis pas nul au point de ne pas pouvoir reconnaître une plante morte. Quoi qu'il en soit, elle est tombée de mon bureau l'autre jour et sa tige s'est cassée nette. J'ai donc entre les mains d'une part une tige nue de quelques centimètres qui dépasse d'un pot, et d'autre part une motte de feuilles sans tiges, que j'ai déposé par dépit dans le même pot. Et bien croyez-le ou non, de toutes petites feuilles fraîches sont en train de pousser au bout de la tige. Et la partie feuillue ? Et bien elle lance de toutes petites racines qui commencent à pénétrer dans le sol du pot. Incroyable n'est-ce pas ? La force et la détermination de la vie sur cette planète ne cessera jamais de m'émerveiller.

J'ai revu aujourd'hui cette collègue de travail avec qui je m'entend si bien. Nous avons jasé une bonne demi-heure ensemble. La communication entre nous est si simple, si spontanée, si naturelle. Diamétralement opposé à ce que je peux vivre avec Consoeur.

D'ailleurs parlons-en de Consoeur.

J'ai dîné seul ce midi. Enfin pas tout à fait seul, il y avait quelques personnes avec moi. Mais mon groupe habituel était absent. Ils mangeaient à la cafétéria. Coïncidence ? Bien sûr que non. Avec la gueule que je leur ai fait hier, je ne peux les blâmer.

Mais la fin de l'après-midi a connu un dénouement assez particulier.

Comme d'habitude, je devais monter au laboratoire remplir les bidons de l'humidificateur. Dans l'escalier, j'en avais des sueurs froides. Je sais, c'est complètement ridicule. Et puis, cette petite voix intérieure m'a chuchoté cette petite phrase que je me répète depuis quelque temps: "Affrontes tes peurs, surtout si elles sont ridicules".

Consoeur était là. À mon entrée, elle m'a salué avec un sourire. Je lui ai répondu par politesse, puis me suis dirigé vers le lavabo. Les quelques minutes qui suivirent furent semblables à tous les autres jours depuis plusieurs mois: moi, silencieux, en train de remplir mes bidons, et elle, assise à l'ordinateur, me tournant le dos. Il était facile de prévoir la suite. Je serais passé devant elle, lui aurait souhaité bonne soirée, elle m'aurait répondu poliment, et je serais sorti du labo. End of story.

Ce n'est pas tout à fait ainsi que les choses se sont passés.

Consoeur avait terminé d'utiliser le programme qui s'affichait à l'écran de son ordinateur. Je le sais, parce que c'est moi qui lui ai écrit. Elle restait assise, fouillant sa paperasse, l'air un peu nerveuse, me tournant toujours le dos. J'avais fini de remplir mes bidons et m'apprêtait à partir quand elle tourna soudainement sa chaise et commença à me regarder. J'évitai d'abord son regard quelques secondes, puis la regardai dans les yeux.

- Bonjour Laqk, me lança-t-elle.

- Bonjour Consoeur, répondis-je d'un ton neutre.

Je suis rendu si méfiant d'elle maintenant que je fouillais son regard, cherchant à y voir une quelconque pointe de sarcasme ou de défit. Mais je ne perçu rien de cela.

- Ça va bien ? lança-t-elle à nouveau.

- Oui, répondis-je simplement, après quelques secondes.

Il y eu un long silence. Nous sommes restés ainsi un long moment, à nous toiser mutuellement, aucun de nous deux n'osant se commettre.

Ce fut finalement elle qui brisa le silence, lançant un commentaire banal à propos de la fatigue qu'elle ressentait et à quel point elle avait hâte que la semaine soit fini. Ma réponse fut tout aussi banale, mais elle fut néanmoins suffisante pour que nous nous engagions dans une timide conversation, qui fut même ponctuée de quelques blagues et éclats de rire. Jugeant que cette tentative de réconciliation était suffisante dans un premier temps, et voyant que de toute façon nous n'allions pas entrer dans le vif du sujet ce soir, je mis fin à la conversation en lui souhaitant bonne soirée, salutation qu'elle me rendit avec un sourire.

C'était notre première conversation dans le labo, aussi timide soit-elle, depuis cet été.

Et de plus, il y a quelque chose de cette réconciliation qui diffère de tous les cas précédents: elle a eu lieu sur son initiative. Pour la toute première fois depuis que nous nous connaissons, c'est elle qui a fait les premiers pas, qui est venue à moi, qui m'a tendu la main, au risque de se faire mordre. Et vous ne pouvez pas imaginer à quel point ça m'a tenté...

Mais bien sûr, rien n'est réglé. Comme toutes les autres fois auparavant, nous avons simplement tenté de balayer le problème sous le tapis, de l'ignorer, de faire comme si rien ne s'était passé. Nous avons un peu détendu l'atmosphère, probablement assez pour pouvoir soulager nos pauvres confrères de travail qui ne doivent vraiment plus savoir où donner de la tête avec nous. Mais un autre conflit va éventuellement se reproduire. Ce n'est qu'une question de temps. Il n'y a qu'une seule façon de régler ce problème: nous asseoir, l'un en face de l'autre, et parler. Parler réellement, comme nous ne l'avons probablement encore jamais fait depuis que nous nous connaissons. Je ne croyais plus cela possible depuis longtemps, pour la simple raison que je ne croyais plus en son désir d'en venir éventuellement à entretenir avec moi des rapports sains. Mais son geste d'aujourd'hui réussira peut-être à me redonner espoir. Le chat échaudé essaiera peut-être, pour la centième fois, de mettre sa patte à l'eau.

Consoeur vient peut-être de se sauver d'une longue lettre ennuyante de ma part. Mais elle ne s'est pas débarrassée de moi pour autant.


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