4 mars 2001

C'est la guerre entre l'air et le feu.

Moins vingt-deux ce matin à mon réveil. Puis, la température a monté de vingt degrés en cinq heures. L'air arctique a beau essayé de prolonger le règne de l'hiver, il n'arrive pas tout à fait à combattre ce soleil de mars qui commence lentement à réchauffer nos corps et nos âmes.

Difficile d'imaginer une plus belle journée pour cette période de l'année.

Sentiment dominant en moi en ce moment: culpabilité.

Je n'ai pas encore mis le nez dehors de la journée.

Mes raquettes sont là, à côté de la porte. Elles m'attendent, elles m'appellent, elles s'ennuient.

J'ai voulu appelé Copine tout à l'heure. Pas de réponse. Plutôt que de sortir seul, je reste à l'intérieur pour vaquer à différentes occupations. Mais je culpabilise de laisser une si magnifique journée me passer sous le nez.

C'est la première fois que ça m'arrive cette année. Et ce ne sera pas la dernière. C'est comme ça à chaque printemps. Et même parfois l'été, lorsque je suis seul par une magnifique journée et que je la passe, chez moi, sur le bord du lac, à me baigner et me faire bronzer, alors que j'aurais envie de partir, d'explorer, mais que je refuse d'y aller seul.

Pourtant, je choisis la solitude quelques fois. Ce n'est pas contre elle que j'en ai, c'est contre le fait qu'elle me soit imposée. Je n'aime pas me faire imposer quoi que ce soit. Surtout pas ma vie.

C'est pour la même raison que je rejetais Copine l'été passé. Pas tant à cause du fait qu'elle avait changé et que je n'étais plus bien avec elle, mais surtout parce qu'elle m'était imposée elle aussi. J'étais dans une phase où j'avais envie de sortir de mon isolement, de m'ouvrir aux autres, de faire de nouvelles connaissances, et ça finissait toujours qu'il n'y avait que Copine de disponible pour partager mes activités. Alors je la rejetais, parce que je ne l'avais pas choisi.

Je réalise aujourd'hui qu'il en est de même de mon attitude envers ces petits détails du quotidien: ménage, lavage, vaisselle, entretient de la maison, etc. Ils me sont imposés car je me vois toujours résigné à m'y astreindre quand toutes mes tentatives pour faire autre chose, pour trouver des partenaires d'activités quelconques, se sont soldées par un échec. Alors je les rejette, je ne les fait pas, je préfère perdre mon temps et culpabiliser, mais néanmoins sauver la face devant ce destin qui s'obstine à creuser le tunnel de mon existence dans une direction que je refuse de suivre.

Pourquoi étais-je si bien à Cayo Largo ? Et bien à part le fait que j'étais le seul homme avec cinq femmes, sous le chaud soleil des tropiques, sur une île paradisiaque bercée par les flots turquoises de la mer des Caraïbes (écoeures-nous donc, Laqk), j'y étais bien parce que ce voyage, je l'avais choisi, et que j'étais où je voulais être, avec celles avec qui je voulais être, et que j'y faisais ce que je rêvais de faire depuis longtemps. L'espace d'une semaine, cet élastique, qui me ramène toujours dans le chemin qu'on a tracé pour moi, s'est relâché suffisamment pour que je n'en ressente même plus la tension, pour que je me permette même d'oublier son existence.

Je vous entend déjà me dire: "Laqk, ton problème, c'est que t'as aucune tolérance à la frustration !". Et force m'est donnée d'admettre que c'est bien vrai. Mais ce qui est étrange, c'est que cette intolérance n'est apparue que tout récemment dans ma vie. Peut-être fais-je ma crise d'adolescence à trente-neuf ans, en même temps que ma crise de la quarantaine ? Deux crises en même temps. Pas surprenant que je sois si perturbé ! Les sociologues, psychologues, et autres "ologues" ont-ils déjà vu quelque chose de semblable, où suis-je un cas unique, une nouvelle race, un mutant, bref: un excellent sujet de thèse de doctorat en psychiatrie ? En tout cas moi, si j'étais à leur place, je me trouverais foutrement intéressant à étudier !

J'aimerais bien étudier le corps de Lolita aussi.

Je voudrais qu'elle soit mon amante. Est-ce que ça se demande ça ? Et si non, pourquoi pas ?

Je suis tellement nul dans ces choses là.

Je ne connais qu'une seule façon de demander les choses moi: l'approche directe. Pourtant, ce n'est pas que je ne sois pas habile avec les mots. C'est tout simplement que, à mes yeux, toute tentative d'utiliser les mots pour obtenir quelque chose, autre qu'une approche franche et directe, équivaut à une tentative de manipulation pour arriver à mes fins. Et je ne veux pas être un manipulateur, et je ne veux pas qu'on me perçoive comme tel.

Bon. Il va bien falloir que je mette le nez dehors au moins un peu avant que le soleil se couche. Ce serait une belle opportunité de faire quelques ajustements sur le lecteur de CD de ma voiture, qui refuse toujours de lire mes CDs lorsqu'il est froid. Question de réglage sans doute.


J'ai retiré mon lecteur de CD de mon tableau de bord et je l'ai rentré à l'intérieur pour mieux travailler dessus. Même après l'avoir démonté au complet, je n'ai rien pu voir qui, à première vue, peut expliquer son mauvais fonctionnement. Tout ce que je me suis permis de faire, c'est de nettoyer la lentille du laser avant de le réassembler. Il ne reste plus qu'à souhaiter que j'aurai autant de succès qu'avec mon graveur.

La journée a été longue aujourd'hui. Longue et un peu pénible. Je suis content qu'elle soit terminée. Je déteste passer des journées comme ça. Oui, je sais, vous allez me dire que je risque d'en vivre encore, que tout le monde vit ça à l'occasion. Mais justement, le mot clé dans la phrase qui précède est "à l'occasion". Quand vous réalisez à quarante ans que ce genre de journée représente plutôt la règle que l'exception dans votre vie, et ce depuis des années et des années, et bien votre seuil de tolérance diminue considérablement.

Je vais aller faire dodo donc. Demain est un autre jour.


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