8 mars 2001

J'ai eu des nouvelles de Lectrice aujourd'hui. Je ne dirai pas comment, question de ne pas trop en révéler sur elle. Elle restait si silencieuse depuis un mois que j'en étais venu à m'inquiéter sincèrement pour son bien-être. Maintenant, je sais qu'elle va bien et je suis soulagé. Mais ce soulagement est vraiment le seul sentiment positif que je ressens en ce moment. Car j'ai maintenant la confirmation de ce dont je me doutais, à savoir qu'il n'y aura jamais de rencontre entre elle et moi. Et cette confirmation me fait mal. Très mal même. Je sais, c'est con.

J'ai mal, mais je vais survivre. Cette souffrance, je la connais bien. Je l'ai ressenti si souvent. Mon tunnel en porte les marques sur toute sa longueur. Toute ma vie sentimentale n'est qu'une succession d'espoirs brisés, de fantasmes auxquels j'ai eu la folie de croire, d'amours et d'amitiés qu'on m'a approché si près des lèvres que je pouvais presque les goûter, avant qu'on me les retire sans pitié et pour toujours. Nikita et Lectrice n'en sont que les deux plus récents exemples.

La décision de Lectrice ne devrait pas me faire souffrir à ce point. Voyons les choses en face: nous ne nous connaissions pas. Et puis, ce n'est pas comme si c'était une surprise. Je m'y attendais déjà depuis un certain temps.

Non, ce dont je souffre, c'est de ces dizaines d'autres cicatrices qui, ce soir, s'ouvrent toutes en même temps, pissent le sang et me vident de ma vie.

Je me sens vraiment con. Moi qui la mettais pompeusement en garde contre l'illusion d'attachement que peut entraîner une relation virtuelle. Moi qui, fort de mon expérience, me croyais au dessus de tout ça. Bien joué Laqk, bravo ! Tu t'es vraiment laisser prendre à ton propre jeu, tu t'es vraiment baisé toi-même. Quel talent !

Tu n'es qu'un pauvre con Laqk. Une grenouille qui voulait non pas se faire aussi grosse que le boeuf, mais qui se pensait aussi grosse que lui.

Il y a une bonne leçon d'humilité à tirer de cela.

Je suis un bon gars pourtant. Un très bon gars même. Aucunes des femmes sur lesquelles j'ai jeté mon dévolu n'a jamais voulu m'offrir son amour. Qu'ai-je donc fait pour mériter ça ? Rien, bien sûr. Pas dans cette vie en tout cas. Ce doit être mon Karma. Je devais être un enfant de chienne de la pire espèce dans une vie précédente. Et celle-ci, je la vis pour expier mon crime. En tout cas j'espère que ma peine achève, ou qu'à tout le moins je réussirai à obtenir une libération conditionnelle pour bonne conduite.

Je me sentais pourtant bien aujourd'hui. Très bien même. Je me suis même permis d'aller prendre une marche dehors sur l'heure du midi. Le soleil de mars réchauffait mon visage de ses doux rayons. Sa caresse nourrissait mon âme. Au loin, je pouvais voir Consoeur et son amant présumé qui marchaient ensemble. Cela ne m'affectait pas plus qu'il faut. Cela m'étonnait et m'enchantait à la fois. Au sortir du bureau en fin de journée, l'air sentait bon le printemps. Je humais ce parfum pour la première fois depuis des lunes. Et puis chez ma coiffeuse en fin de journée, j'ai constaté un étrange phénomène: mes cheveux gris ont commencé à disparaître ! Je le jure ! Même ma coiffeuse fut bien obligée de l'admettre, j'ai beaucoup moins de cheveux gris que la dernière fois où nous nous sommes vu. Autre preuve que la renaissance du Phoenix est bien réelle.

Je vais couper les ponts avec Lectrice. Complètement, définitivement, irrévocablement. Elle n'en souffrira pas, je crois. Je ne représente rien pour elle. Je n'ai jamais rien représenté pour elle. Mon fantasme oui, mais pas moi.

Ne me jugez pas trop sévèrement. C'est la seule option qui me reste. Ce n'est pas de l'amertume, ce n'est pas du ressentiment. C'est de la souffrance. Je veux que mes plaies, toutes mes plaies, se referment. Je veux continuer à vivre. Je ferai mon deuil de Lectrice tout à l'heure, sous mes draps, les yeux rivés au plafond. Peut-être même vais-je pleurer toutes les larmes de mon corps, avant de finalement trouver le sommeil.

Demain sera un autre jour. Le premier jour du reste de ma vie.


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