27 mars 2001

J'ai reçu une bonne et une mauvaise nouvelle la semaine passée.

D'abord la bonne: Cousine nous revient ! Et oui ! Après quatre mois en Europe, à visiter toutes sortes de pays, elle arrivera dimanche prochain. Nous nous sommes tous tellement ennuyés d'elle ! J'espère qu'elle aura plein de belles aventures à nous raconter !

Ensuite la mauvaise: Dans un mois, elle repartira en Europe, pour toujours. Voyez-vous, elle est tombé en amour là-bas. Elle nous revient avec son nouveau chum, puis repart vivre avec lui pour de bon. C'est fou ce que l'amour peut faire faire n'est-ce pas ? Elle va devoir vendre sa petite maison en campagne et tout laisser derrière elle: famille, amis. Elle nous manquera beaucoup, même si elle a promis qu'elle reviendrait nous voir aussi souvent que possible.

C'est fou comme certaines de mes lectrices ont pris beaucoup de place dans ma vie depuis quelques semaines. Et pour être franc, cela m'inquiète un peu. Le problème ne vient pas d'elles bien sûr, elles sont toutes extraordinairement gentilles et me font un bien fou. Et je me surprend moi-même de l'ouverture dont je fais preuve envers elles. Il n'y a pas si longtemps j'aurais été intimidé et mal à l'aise face à un tel déploiement de gentillesse à mon égard. Plutôt que d'accepter gracieusement ce qui m'était offert, j'aurais eu l'impression que ce geste n'était pas gratuit, je me serais senti obligé envers elles, d'une certaine façon, au lieu de réaliser que la plupart d'entre elles m'écrivent justement parce que c'est moi qui, par mes écrits, leur ai déjà donné beaucoup. Je suis d'ailleurs triste pour Lectrice. Triste que l'expérience du diarisme n'ait pas été aussi positive pour elle que pour moi, triste qu'elle ait décidé de mettre fin à son journal (ce qu'elle a fait en fin de semaine), et qu'elle garde de tout ça un goût plutôt amer. Enfin. Mais je m'écarte du sujet.

Non, mon inquiétude vient surtout du fait que je suis encore en train de m'isoler, de me détacher des personnes réelles dans mon quotidien, pour me cantonner à nouveau dans le virtuel. Je viens de passer une fin de semaine de trois jours, seul chez moi, à pitonner du matin au soir devant un écran d'ordinateur, et ce jusqu'à m'en foutre un mal de bloc atroce.

Bien sûr certaines de mes correspondantes resteront toujours des relations virtuelles, pour des raisons évidentes comme la distance par exemple. Mais pour d'autres, il me serait très possible de leur proposer un rendez-vous et ainsi avoir la chance de les rencontrer en personne. Plusieurs d'entre elles accepteraient cette invitation avec joie j'en suis sûr.

Mais voilà, ce n'est pas si simple.

Depuis quelques semaines, depuis ma rencontre virtuelle avec Lectrice en fait, je suis comme un enfant avec un nouveau jouet. Je m'amuse à découvrir des facettes de ma personnalité qui étaient restées enfouies au fond de moi depuis toujours, à explorer toute une gamme de nouvelles sensations, pulsions et désirs. Tout ceci est un jeu pour moi, et le problème est là: j'ai peur de ne pas savoir où m'arrêter, de me laisser emporter par l'enthousiasme et la passion, et d'aller tout simplement trop loin.

Je dois m'arrêter et réaliser que, même si ces temps-ci je me sens comme un adolescent qui va de découverte en découverte, dans la réalité je suis un homme de trente-neuf ans.

J'ai particulièrement pris conscience de cela hier soir, alors que je conversais sur le "chat" avec une de mes plus récentes lectrices. Je n'ai pas l'habitude de communiquer "live" avec mes correspondantes, mais l'intensité et le dynamisme du contenu de ses courriels m'avaient particulièrement touché, et j'ai décidé de faire une exception dans son cas.

Plus la conversation avançait et plus je réalisais que cette lectrice ressentais pour moi quelque chose d'extrêmement fort. Je ne pourrais dire de quel nature étaient ses sentiments, mais je pouvais clairement sentir qu'ils étaient intenses, authentiques et vrais. Et de plus, il était évident que cette femme, pour réussir à s'ouvrir ainsi à moi, faisait un effort prodigieux pour transcender sa timidité et sa peur, peur d'être jugée, peur de me faire fuir. Elle ne demandait absolument rien de moi, sinon la permission de se livrer sans pudeur dans son entièreté, avec toute l'intensité du moment. Cette conversation, cet échange revêtait une importance énorme à ses yeux, et moi, j'avais plutôt tendance à prendre tout ça un peu à la légère, à me laisser dominer par mon petit côté narcissique. De toute évidence j'aurais pu lui proposer un éventuel rendez-vous. Selon ses dires, elle semble de belle apparence, et je dois avouer que sa personnalité, son dynamisme et son charme me plaisaient beaucoup. Mais quelle aurait été ma motivation profonde derrière cette invitation ? N'aurais-je pensé qu'à moi dans tout ça ? Aurais-je tenu compte de ses propres sentiments, au lieu de céder bien égoïstement à mon désir d'exploration et de découverte de ces nouvelles facettes de ma personnalité ? Bien sûr je peux parfaitement me permettre cette exploration, mais à condition de ne pas perdre de vue la responsabilité que cela implique.

Je n'essais pas ce soir de faire peur à mes lectrices, de les décourager de m'écrire et de garder contact avec moi, bien au contraire. J'essais surtout de me donner à moi-même une bonne paire de gifles, de me réveiller et de me faire réaliser que tout ceci n'est pas un jeu.

Ce journal est un phare. Il me permet de rester dans la nouvelle voie que je me suis tracé, de garder bien en vue mon objectif ultime, plutôt que de me perdre à nouveau dans les méandres de mon inconscient.

Vous me connaissez maintenant suffisamment pour savoir qu'une de mes plus grandes angoisses est de faire du mal à ceux que j'aime. Et je vous aime toutes. Vraiment. Et c'est un jeu dangereux que de jouer avec les sentiments de ceux qu'on aime.

Alors mes chères lectrices, contactez-moi, écrivez-moi, ouvrez-vous à moi, flirtez même avec moi si vous le désirez, mais de grâce, ne me faites surtout pas confiance.

Parce que, ces temps-ci, moi-même je ne me fais pas confiance.


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