13 octobre 2001

Nostalgie.

Est-ce le bon mot ?

Je suis si nul en français.

Il faisait doux aujourd'hui. Je me devais de mettre le nez dehors.

Je crois que j'aime rouler pour la même raison que j'aime marcher. Parce que cela me permet d'exercer le peu de pouvoir que j'ai sur ma vie: le choix d'être où je veux quand je veux, le choix d'être libre.

Il y a dix-neuf ans de cela j'ai eu un emploi d'été dans le casse-croûte d'un terrain de camping dans une réserve faunique. Moi et un ami travaillions là seize heures par jours, sept jours par semaine, et habitions le reste du temps dans une roulotte derrière le bâtiment principal. Il arrivait à l'occasion que la fille du concessionnaire (très gentille et jolie en passant) vienne nous relever de nos fonctions pour quelques heures. Comme il était hors de question pour nous de redescendre en ville pour si peu de temps nous restions sur place et profitions du plein-air: pêche, canot, randonnée. C'est à cette époque que j'ai vraiment découvert la nature et ses merveilles. Car avant cela, j'étais un gars de ville. Toujours dans les bars, ne ratant jamais une occasion d'aller en ville marcher dans les rues ou pique-niquer dans les parcs avec mes ami(e)s.

J'ai failli perdre la vie à cette époque. Lors d'une randonnée en canot où nous avions décidé d'abandonner temporairement notre embarcation et d'explorer la nature environnante, nous avons traversé un cours d'eau au sommet d'une chute magnifique. J'ai glissé, suis tombé dans l'eau et ai commencé à glisser vers la chute. Alors que mes deux pieds pendaient déjà dans le vide mon compagnon m'a rattrapé de justesse. J'ai eu peur. Vraiment peur. Pendant un court instant, alors que je regardais par dessus mon épaule le torrent d'eau qui cherchait à m'attirer pour m'écraser sur les rochers au bas de la chute, j'ai compris que ce n'était plus un jeu, que c'était réel, que je n'étais pas invincible, que c'aurait vraiment pu être la fin, là, à cet instant.

J'ai connu Carla. Elle campait avec ses parents. J'avais vingt ans, elle en avait seize. Elle était de Montréal. Nous avons correspondu pendant six ans. C'était bien avant l'époque des courriels. Nous nous écrivions toutes les semaines, sauf durant la dernière année où les missives commençaient à se faire moins régulières. Nous ne nous sommes revu en chair et en os qu'une seule fois durant ces six années.

J'ai gardé toutes ses lettres. Quelque chose au fond de moi me dit qu'elle en a fait de même.

Elle a trente-cinq ans aujourd'hui.

Le camping n'existe plus.

Des bâtisses, du casse-croûte, du centre d'accueil, il ne reste que les fondations. Le reste a disparu.

Je marchais dans l'herbe haute, contournant des arbres matures qui n'étaient que des brindilles à l'époque, regardant ce pont qui enjambait la rivière, ce pont maintenant si dangereux qu'on y a cloué des planches pour en interdire l'accès.

Il ne me reste que des souvenirs.

Des souvenirs de cette époque où je m'amusais tant, où j'avais toute la vie devant moi, où je regardais Carla en me disant que tout était possible, où j'étais heureux mais où je trouvais encore moyen de me plaindre la plupart du temps.

Il ne me reste de cette époque que des souvenirs. Le camping n'existe plus. De tous les ami(e)s que je fréquentais à l'époque (et il y en avait beaucoup), je n'en vois plus aucun maintenant.

J'avais vingt ans, elle en avait seize.


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