24 octobre 2001

J'en ai vraiment marre d'être qui je suis.

Mais pourquoi suis-je donc si viscéralement incapable d'entretenir avec les autres des relations qui ne feraient que se rapprocher un peu de la normalité ?

Pourquoi les situations les plus banales et anodines atteignent toujours avec moi des niveaux de complexité ahurissants ?

Lolita faisait l'ouverture officielle de sa clinique aujourd'hui. C'était une sorte de journée porte ouverte avec buffet, information, démonstration, etc. Elle tenait beaucoup à ce que j'aille faire un tour, ce que j'ai fait ce soir après le travail. Il y avait beaucoup de monde sur place, et naturellement elle était très occupée. Alors pourquoi est-ce que je prenais si mal le fait qu'elle ne se consacre pas entièrement à moi ? Tout le temps que j'ai été sur place, je ne me sentais pas bien, pas à ma place, de trop quoi. Et vers la fin de la soirée, quand la plupart des gens étaient partis et qu'elle avait enfin un peu de temps à me consacrer, je lui annonce que je m'en vais ! Elle a fait un petit "ha ?", avant de finalement me faire la bise et me souhaiter bonne fin de soirée...

Mais pourquoi suis-je si con ? Que ce passe-t-il donc dans la misérable masse gélatineuse qui me tient lieu de cerveau ? Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas être là, ni plus ni moins, dans l'instant présent ?

Et puis il y a autre chose. Comme pour l'an passé, Lolita m'a invité à un souper meurtre et mystère samedi soir prochain. L'invitation est lancée depuis plusieurs semaines déjà. Et bien aujourd'hui je chie dans mes culottes et je lui annonce que je risque fort de ne pas y être, pas au souper en tout cas. Encore une fois, c'est la peur, l'angoisse, la gêne qui me fait reculer. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de faire un fou de moi. C'est ridicule pourtant, ce sera le même groupe que l'an passé ! Aucun d'entre eux n'est un inconnu pour moi maintenant ! Je devrais être plus à l'aise avec eux, pas plus mal à l'aise ! C'est tellement ridicule comme attitude, merde ! C'est à n'y rien comprendre. Et effectivement, je suis sûr qu'elle n'y comprend rien, et avec raison.

Elle est patiente et tenace, Lolita. Elle m'offre sa main tendue depuis fort longtemps maintenant. Mais elle va finir par en avoir marre elle aussi. Elle va finir pas se blaser de mes petites crises, de mes tentatives puériles d'obtenir de l'attention, de la façon absolument chiante que j'ai de compliquer les situations les plus simples, les situations que même les esprits les plus tordus n'arriveraient pas à imaginer autrement que simples.

Ce que je ressens ce soir, ce n'est pas de la déprime, du découragement, du désespoir. C'est de la colère, de la rage, de la rage envers moi-même, contre moi-même. J'aurais envie de me prendre par les épaules, de me secouer et de me foutre une bonne paire de claque au travers de la gueule.

Moi qui me plaisait à croire que la démarche personnelle dont ce journal est témoin m'apportait quelque chose, me faisait progresser d'une certaine façon. Je ne progresse pas, je régresse ! Cette histoire de Phoenix dont je parlais l'an passé, c'est de la foutaise ! Je ne ressuscite pas du tout, je suis encore un tas de cendre au pied de mon bûcher, le même misérable petit tas de cendre que l'an passé à la même date.

Rien n'a changé. Rien n'a changé.

Mais qu'ont-ils dont tous à s'astreindre à endurer ma personnalité exécrable ? Que voient-ils donc tous en moi, que moi je ne vois absolument pas ?

Comment puis-je donc sérieusement envisager la possibilité de développer une quelconque forme de relation amoureuse avec Lolita ? Comment pourrais-je croire que cette merveilleuse femme mature, intelligente, charmante, fonceuse et épanouie puisse avoir envie de se faire chier avec un misérable chieux comme moi ?

C'est tout le contraire du bon sens avec elle. Plus nous nous connaissons, plus je me sens mal et inconfortable avec elle.

Et qu'est-ce que vous avez tous à me lire ? Je ne fais que chialer, me plaindre l'estomac plein, m'apitoyer sur mon sort en sortant dix mille excuses pour justifier ma misérable inertie. Quand à ceux et celles qui ont osé m'écrire, je les niaise, je les néglige, je leur répond des banalités après des semaines de mutisme. Et ça, c'est quand je leur répond. Résultat: plus personne ne m'écrit. Voilà des mois que ma boîte postale ne ramasse plus que du pourriel. Et c'est bien fait pour moi d'ailleurs. Si j'étais un de mes lecteurs, je ne m'écrirais plus moi non plus. Et sans doute que je ne me lirais plus non plus.

Il n'y a qu'Alegria qui a encore le courage de me donner signe de vie. Cette femme est trop bonne, je ne la mérite pas.

J'ai vraiment un gène défectueux en ce qui a trait aux relations humaines. Heureusement, jamais je ne passerai cette tare génétique à la prochaine génération. Car jamais une femme ne sera assez cinglée pour oser envisager avoir un enfant de moi. Voilà, c'est dit, je suis une impasse évolutive. Et comme toute impasse évolutive, ma mutation déficiente s'éteindra avec moi. C'est la loi de la nature. Et la nature est juste. Cruelle, mais juste.


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