28 octobre 2001

J'espère que vous êtes patient(e)s ce soir, parce que j'en ai long à dire.

Peu après avoir mis en ligne mon billet de jeudi dernier, Lolita m'a appelé. Elle était désolée qu'on se soit manqué. Naturellement, elle a cherché à savoir pourquoi je ne venais pas au souper meurtre et mystère. Finalement, nous avons décidé que j'appellerais chez sa soeur (où devait avoir lieu le souper) vers 20h samedi soir et elle pourrait alors me dire si la soirée se continuerait plus tard et si je pouvais aller faire un tour.

La conversation fut sympathique et je me sentais beaucoup mieux après. Plusieurs de mes angoisses s'étaient apaisées, et cette nuit là je dormis en paix.

Le lendemain soir, Copine m'a appelé. Apparemment, les filles (Lolita et sa soeur) étaient très déçues que je n'aille pas au souper. Ah bon ? De la soeur de Lolita je peux le croire, elle ne s'est jamais cachée pour exprimer soi sa joie à l'idée de me voir, soi sa déception à l'annonce du contraire. Mais Lolita ? La seule chose qui semblait vraiment la préoccuper, c'était les questions logistiques concernant la réorganisation du souper. Pourquoi, si elle était vraiment si déçue de ne pas me voir samedi soir, ne me l'a-t-elle pas exprimé à moi, au lieu de s'ouvrir seulement à Copine ? Je crois que j'en ai déjà parlé avant, mais avec elle, on n'a jamais l'impression de compter vraiment à ses yeux. Je ne cherchais pas à me faire supplier, mais j'apprécierais quand même qu'elle exprime ses sentiments, bons ou mauvais. Elle est la plupart du temps si flegmatique qu'on ne sait jamais à quoi s'attendre avec elle.

J'ai eu encore un appel surprise samedi midi. C'était cette chère Alegria qui voulait avoir de mes nouvelles. Nous avons parlé pendant un peu plus d'une heure, et, comme à chaque fois, cette conversation m'a rempli de bien-être. Nous avons parlé de toutes sortes de choses mais surtout de celles qui brassent actuellement dans nos vies respectives et dont je tairai les détails ici. Cette fille est vraiment une perle parmi les perles. Si nous n'étions pas séparés par tant d'années et de kilomètres, je crois bien que je la marierais sur le champs tient. Arriverons-nous à réussir à nous donner rendez-vous bientôt ? Croisons les doigts...

Dans la soirée de samedi, je m'étais fait à l'idée que je la passerais bien penaud chez moi. Mais vers 19h30 le téléphone a de nouveau sonné. C'était Lolita. Elle m'appelait pour me dire que le souper meurtre et mystère allait être terminé lorsque j'arriverais si je partais tout de suite. Elle avait également invité les autres membres de notre groupe.

J'arrivai le premier, suivi peu de temps après par les autres, parmi lesquels se trouvait JG, évidemment. Parmi ceux qui avaient participé au souper, il y avait un homme que je ne connaissais pas et que Lolita me présenta comme étant un ami de Montréal de passage ici pour la fin de semaine.

Alors que le souper tirait à sa fin, je m'approchai de Lolita, qui jasait avec un de nos amis. Une fois à côté d'elle, je saisis quelques bribes de conversations. Elle parlait d'un homme qui était dans sa mire depuis quelques temps, duquel elle ne se disait pas encore amoureuse, mais avec qui elle avait envie de faire avancer les choses.

Je me suis donc éloigné d'eux et suis allé m'asseoir plus loin. Si Lolita ne m'avait pas parlé de cela avant, c'est qu'elle ne tenait pas à ce que j'en entende parler, et je choisi donc de respecter son intimité.

Mais j'avais un pincement au coeur. Évidemment cela n'avait rien de surprenant. Lolita est une femme merveilleuse et splendide et le fait qu'elle soit restée seule si longtemps était déjà inhabituel en soi. Ce moment était dû pour arriver un jour ou l'autre, je le savais depuis longtemps. Mais je me permettais de ne pas y penser. Maintenant, je ne pouvais plus ignorer la chose.

Mais j'ai refusé de me laisser abattre, de faire la gueule et de laisser cette pensée me démoraliser et me ruiner ma soirée.

Quand le souper fut terminé, le reste de la soirée se passa à danser et s'amuser. Lolita et sa soeur étaient particulièrement ravissantes et désirables, et je ne me privais pas pour leur faire remarquer. Surtout à Lolita bien sûr. J'ignore si c'était mon esprit de compétition qui me motivait, mais je me disais que même si elle envisageait la possibilité d'une hypothétique relation avec un mystérieux prétendant, moi j'étais là, ici et maintenant, et je voulais profiter de ces précieux instant en sa compagnie, à elle et à mes autres amis.

L'atmosphère générale de la soirée ressembla fort à celle du souper meurtre mystère de l'an dernier. Beaucoup de musique, de danse et de laisser-aller. J'étais vraiment bien, à ma grande surprise d'ailleurs (étant donnée la nouvelle que j'avais apprise), mais il me semblait néanmoins constater que Lolita fuyait mon regard, comme si celui-ci devenait lourd pour elle. Aussi, je cru déceler une certaine complicité entre Copine et cet ami de Montréal, ce qui m'amusa un peu. Je me dis que peut-être Lolita avait-elle invité ce dernier pour tenter de le "matcher" avec Copine, ça aurait été bien son genre.

Les heures passèrent et les gens commencèrent à quitter les uns après les autres. En m'en allant je fis la bise à Lolita, comme d'habitude, après avoir salué tout le monde.

C'est dans ma voiture, sur le chemin du retour, que je commençai à penser. De toute évidence, j'étais aussi bien de faire une croix sur Lolita. Mais les sentiments que j'ai commencé à ressentir pour elle ne me laisseraient pas m'en sortir aussi aisément. Encore une fois, pour la centième fois, j'étais en train de m'embarquer dans une relation à sens unique. Ai-je trop attendu avec elle ? Je ne crois pas. Il fait peu de doute maintenant qu'elle a déjà ressenti une attirance physique pour moi, mais je ne crois pas qu'elle ait jamais considéré la possibilité de démarrer une relation.

Alors que je roulais, je remettais tout en doute. La pertinence de partir en voyage avec elle cet hiver, de demeurer son ami, de continuer à la voir, de voir même les autres membres du groupe. Car Lolita est le ciment qui nous unis tous, elle est le liant qui permet à nos personnalités et nos caractères hétéroclites de former un tout.

Je ne me sentais tout simplement pas capable de revivre avec elle ce que j'ai vécu tant de fois avec d'autres. Je n'en avais plus la force. J'étais vidé.

Il ne me restait qu'une seule solution: couper les ponts. Couper les ponts avec tout le monde. Sectionner ses petites radicelles que j'avais réussi à faire pousser avec tant de mal depuis les deux dernières années, et retourner dans ma solitude et mon isolement.

C'est sur ces pensées sombres que j'ai trouvé le sommeil.

Ce matin, j'étais surpris de la froideur avec laquelle j'envisageais la possibilité de tout abandonner. Je ressentais un peu de tristesse, mais surtout du découragement. Bien sûr, la nuit et le repos aidant, je n'étais plus aussi catégorique dans les options qui s'offraient à moi. Mais une chose était encore sûre: je devrais définitivement prendre un peu de recul avec Lolita.

Une libellule vint alors se poser sur le rebord de ma fenêtre. Il faisait froid dehors et je me dis qu'elle venait là pour se mettre à l'abri du vent et pour laisser les rayons du soleil la réchauffer. Mais quelques heures plus tard, alors que les nuages avaient envahi le ciel, elle était toujours là, à la même place. De toute évidence, elle était agonisante. Les libellules passent plusieurs années de leur vie sous forme de larve aquatique dans les lacs et les étangs, mais une fois adultes il ne leur reste qu'une saison à vivre.

J'allai donc la chercher pour la mettre sur mon bureau à côté de mon clavier d'ordinateur. Au fur et à mesure qu'elle se réchauffait ses battements d'ailes se faisaient plus fort, mais ils restaient chaotiques. Elle restait immobiles de longues minutes avant de recommencer à s'agiter de façon désordonnée. Elle était encore consciente cependant, car elle réagissait à mes mouvements lorsque je m'approchais d'elle.

Je me trouvais plutôt morbide de m'intéresser avec une telle curiosité scientifique à l'agonie d'une libellule.

C'est en voulant ajuster ma montre à l'heure normale que je réalisai que je l'avais oublié hier soir chez la soeur de Lolita. J'appelai donc cette dernière, mais je suis tombé sur son répondeur. Je lui ai quand même laissé un message, lui disant que je passerais la prendre en fin d'après-midi en allant souper chez mes parents.

Copine m'a appelé en milieu d'après-midi. Nous avons parlé un peu de la soirée d'hier, et de cet ami de Montréal que Lolita avait invité. J'étais curieux de savoir ce qu'elle en avait pensé, et si cette espèce de chimie que j'avais décelé entre elle et lui était bien réelle ou simplement le fruit de mon imagination. Elle me confirma alors qu'elle avait effectivement perçu ce qui aurait pu être un certain intérêt de sa part. Elle rajouta d'ailleurs que cela la mettait mal-à-l'aise.

Quand je lui demandai pourquoi, elle comprit que je n'étais pas au courant...

Car cet homme sur lequel Lolita avait jeté son dévolu et dont elle parlait dans le fragment de conversation que j'avais entendu, c'était lui.

Jamais je n'aurais pu me douter que cet homme dont elle parlait était dans la pièce, qu'il était parmi nous. J'ai alors compris bien des choses. Lolita ne fuyait pas mon regard, elle recherchait le sien. Et moi, beau con, je lui faisais de la belle façon, essayant d'user de mes charmes le mieux possible sur elle, et ce au sus et au vues de l'autre.

Je ne suis pas particulièrement fier de moi.

Quand j'ai raccroché le téléphone, la libellule était inerte. Elle ne réagissait plus à mes mouvements. Mais la présence d'une pseudo-respiration dans son mince abdomen trahissait la présence d'une trace de vie qui l'animait encore.

Quand je suis parti pour aller visiter mes parents, Lolita ne m'avait toujours pas retourné mon appel. Je décidai malgré tout de prendre une chance et d'arrêter chez elle. Il n'y avait aucune lumière à l'intérieur, mais je cognai quand même quelques coups à la porte. Un petit coup d'oeil rapide dans la boîte de courrier n'ayant pas révélé la présence d'une montre, je me retournais pour m'en aller quand la porte s'ouvrit.

C'était Lolita.

Visiblement surprise de ma présence, je lui demandai si elle avait reçu mon message. Elle me dit que non.

- Je suppose que tu es venu chercher ta montre, me dit-elle, ma soeur me l'a remise avant que je parte.

- C'est exactement cela, dis-je. J'espère que je ne te dérange pas ?

- Non, dit-elle. J'ai été ici toute la journée. J'étais en train de jaser avec E....

Et qui ne vois-je pas sortir de derrière le mur ?

Son ami de Montréal.

Inutile de dire qu'après les avoir salué, je suis partis promptement, prétextant le fait que j'allais être en retard chez mes parents (ce qui était vrai d'ailleurs).

Elle était chez elle toute la journée. Elle n'a pas répondu au téléphone. Elle n'a pas pris ses messages. Elle était donc très occupée. De toute évidence, mon comportement d'hier soir n'a pas empêché les choses d'évoluer entre elle et l'homme qu'elle convoitait. Ça me rassure un peu.

Mais ça me fait mal aussi.

On se croirait dans un soap.

Quand je suis revenu ici après le souper chez mes parents, la libellule était morte.


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