29 septembre 2001

Vous êtes chanceux ce soir. Très chanceux.

Chanceux que je n'ais pas fait aujourd'hui ce qu'il m'arrive de faire à l'occasion, c'est à dire écrire dans la journée, sur le coup de l'émotion ou d'un évènement ponctuel.

Car si j'avais écrit ce matin sur le coup de l'émotion, j'aurais sûrement perdu quelques lecteurs et lectrices qui doivent sûrement commencer à en avoir marre de mes sempiternelles jérémiades du genre bordeldemerdequejejenaimarredecetteputindeviesallepourquoiestcesidifficilepourmoidetrouverlebonheuretdesgensavecquijepeuxmesentirvraimentlibredêtrequijesuisjenaimarredenavoirquuneamitieempoisonnéeàoffrirpourquoijefaistoujoursdumalàceuxquejaimebonvousvoyezletopo.

Pourtant, j'avais plein de raisons d'être de bonne humeur. D'abord j'avais reçu un beau petit courriel de France qui est toujours très heureuse à San Francisco. Et ça m'a fait chaud au coeur de savoir qu'elle me lisait toujours (même si elle a faillit perdre ma trace à cause de ces imbéciles de Chez.com). Ensuite, j'avais reçu vendredi un message de mon grand patron qui m'informait que j'avais passé avec succès le processus de ma promotion, y compris le concours écrit qui m'avait tant fait stresser il y a quelques semaines.

En fait quand je vais vous expliquer pourquoi je n'allais pas bien hier soir vous allez rire de moi. C'est ce que je ferais aussi si ce n'était pas si pathétique.

Une couple d'amis recevait toute la gang pour leur cinquième anniversaire de mariage. Rien d'extraordinaire en soi. Comme je sais que ce genre de soirée se termine habituellement tard et que, comme vous le savez déjà, je tombais de sommeil, j'ai confirmé ma présence, tout en précisant que je ne resterais pas très longtemps.

Tout s'est bien passé, sauf qu'à mon arrivé, j'ai tout de suite senti qu'il y avait un malaise entre Lolita et moi. En fait, avec du recul, je réalise que c'est moi qui ai provoqué ce malaise, en m'imaginant dans ma petite tête de taré toutes sortes de scénarios apocalyptiques à propos de Lolita. Bien sûr, le fait que JG l'ait accaparée toute la soirée n'a rien fait pour arranger les choses. Mais JG accapare toujours Lolita toute la soirée. Rien de nouveau sous le soleil. Pourquoi cela m'a-t-il affecté (inquiété ?) plus hier soir que d'habitude, je ne saurais dire. La fatigue sans doute. On est plus sensible dans ce temps là. Et dans mon cas, plus paranoïaque.

Tout ça pour dire qu'un moment donné on s'est tous mis à regarder le vidéo du mariage. Premier coup de déprime quand j'ai réalisé que toutes les personnes présentes étaient dans ce vidéo, sauf moi (les enfants non plus bien sûr mais ça c'est normal). Alors coup de déprime+coup de barre, je n'en menais pas large dans mon fauteuil. Et bien sûr j'imaginais encore tous les regards sur moi en train de se dire "bon, Laqk qui boude encore une fois pour se rendre intéressant". Mais bien sûr je paranoyais encore.

Mais la cerise sur le sundaie, c'est quand le marié a annoncé qu'il allait y avoir une petite célébration religieuse pour leur cinquième anniversaire.

Mise en situation: quelques uns des membres de ce groupe sont catholiques pratiquants. C'est rare de nos jours et d'une certaine façon je les admire de s'afficher comme tels. Ils ne sont pas dans une secte ni rien comme ça et ils n'ont jamais essayé de me convertir ou quoi que ce soit. En fait, ils savent ce que je pense de la religion (j'ai bien dit de la religion, pas de la spiritualité en général). Voilà pourquoi nous en parlons rarement sinon jamais.

Quoi qu'il en soit, il était important pour eux de souligner cet évènement avec une petite célébration religieuse informelle (ce qui est normal et après tout ils sont chez eux).

Mais tout le monde a bien vu ma face changer complètement à cette annonce. Pas seulement la mienne d'ailleurs, il y a quelques autres personnes du groupe dans la même situation que moi.

Comme j'avais déjà annoncé que je ne désirais pas rester tard de toute façon, j'ai jugé le moment opportun pour tirer ma révérence.

Il y en avait bien deux ou trois autres qui auraient fait de même, mais ils n'avaient pas comme moi une belle excuse toute faite.

Quand à JG, il mangerait de la merde si Lolita était coprophage, alors...

(Bordel que je suis méchant avec lui...)

N'empêche que je suis parti un peu vite, et que sur le chemin du retour, je m'imaginais toute sorte de choses sur ce qu'ils étaient peut-être en train de se dire à mon sujet, et je me sentais encore une fois rejet, à part des autres, marginal, mésadapté, etc.

Et en plus, je suis resté sur l'impression que je m'étais fait tendre un piège, que j'étais tombé dans un guet-apens, et d'après ce que j'ai su de la bouche de Copine ce matin au téléphone, je n'étais pas le seul.

Mais bon.

Tout ça pour dire que je broyais du noir ce matin. Un trou noir en fait. Un vortex qui aspirait toutes mes énergies positives.

Je sais ce que je dois faire dans ce temps-là.

Rouler.

C'est ce que j'ai fait.

Pris mes affaires et parti seul, pour faire ma randonnée fétiche, celle par laquelle j'ai découvert la randonnée en montagne il y a plusieurs années de cela, j'ai nommé: le Mont du Lac des Cygnes.

Au début, cela ne m'aidait pas beaucoup. Il y avait des putin de travaux routiers tout le long du boulevard Saint-Anne et ça me rendait fou.

Mais finalement, au fil des heures, la magnificence du paysage charlevoisien a commencé à avoir raison de mes idées noires et de mon humeur massacrante. La splendeur des coloris d'automne dans les montagnes, le bleu-vert des eaux du fleuve alors que l'on descend vers Baie-Saint-Paul, l'île au Coudre au loin, les moutons broutant tranquillement dans les pâturages à flanc de colline, et puis ces montagnes, ces sommets dénudés absolument superbes, se découpant sur ce ciel bleu immaculé, le tout baignée dans cet éclairage d'automne, dans cet air frais et pur.

Arrivé au pied des sommets, j'ai presque failli rebrousser chemin: il y avait des voitures stationnées sur presque un kilomètre en bordure de la route. Cela m'a fait regretté un peu l'époque où cette montagne était peu connue et peu fréquentée. D'un certain côté c'est une bonne chose que de plus en plus de gens puisse s'initier à la randonnée avec cette montagne relativement facile et accessible, mais qui n'a rien à envier à d'autres sites comme les Montagnes Blanches ou les Adirondacks en terme de beauté et de splendeur. Enfin. Espérons seulement qu'elle ne tombera pas victime de sa popularité.

Durant la monté, je croisais beaucoup de monde. Encore là, j'avais des petits pincements au coeur chaque fois que je voyais un couple ou un groupe d'amis, et je me demandais pourquoi il m'était si difficile à moi de trouver quelqu'un avec qui simplement partager ces petits moments de l'existence.

Je me suis aussi aperçu à quel point je n'étais pas en forme cette année. Normal, voilà deux étés de suite que je ne fais pas de vélo, et de plus je n'ai pratiquement pas fait de randonnée cette année. N'empêche qu'encore une fois, je n'ai pu que constater à quel point ce corps extraordinaire que je possède me sert bien. Après une heure de marche seulement, j'avais attrapé mon second souffle et à partir de ce moment jusqu'à la fin de la journée je dépassais allègrement à peu près tout le monde dans les sentiers, et ce sans vraiment chercher à marcher vite ou à performer. J'avais simplement atteint ma vitesse de croisière, et je ne ressentais plus ni épuisement ni fatigue. Je carburais aux endorphines et aux bleuets (il y en avait encore en quantité industrielle sur les sommets dénudés et ce malgré les froids que nous avons eu dernièrement, et ils étaient toujours aussi savoureux).

J'ai passé tout l'après-midi à m'abreuver de soleil, d'air pur, et des paysages à couper le souffle auxquels je ne m'habitue tout simplement pas. Après trois heures et douze kilomètres de marche en montagne, ponctuée de nombreux arrêts pour ramasser/manger des fruits sauvages, mes idées noires avaient été presque entièrement balayées et je recommençais à penser un peu plus clairement.

Seule ombre au tableau: un de mes genoux m'a fait mal, mais pas assez pour m'empêcher de marcher. De plus, c'est le genou gauche. Allez comprendre. Peut-être que je devrais me déchirer des ligaments dans celui-là aussi. Ça a bien réussi avec l'autre après tout...

C'est le coeur et l'âme plein de soleil et un plat plein de bleuets dans mon sac à dos que j'ai pris le chemin du retour.

Et en plus je viens de parler au téléphone avec Lolita et ce fut très chouette. Alors, comme je le disais plus haut, vous êtes chanceux. Chanceux que j'ais attendu à ce soir avant d'écrire.

Par contre, j'ai un problème. Un problème qu'il m'est inutile d'essayer de nier plus longtemps.

Je commence à développer des sentiments pour Lolita.

Des sentiments ou une attirance, je ne saurais dire. Peut-être les deux. Une chose est sûre, je ne la vois définitivement plus de la même façon qu'au début de l'année en voyage.

Et je ne sais pas trop comment dealer avec ça.

Si c'était réciproque, ça ne serait pas un problème. Bien sûr je penserais à dix mille raisons pour lesquelles ça ne pourrait pas marcher entre nous, mais cette fois, je m'en fouterais et je foncerais tête baissée.

Mais ce n'est pas réciproque. Ça me parait de plus en plus évident maintenant.

Que faire.

Crotte de bique.


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