2 août 2002

Depuis quelque temps je ne sais plus où j'en suis avec ce journal. Je tourne en rond. J'ai l'impression que je n'ai plus rien à dire d'intéressant ou d'utile, ni pour vous ni pour moi. J'aurais beau parler de ce que je fais, des coins de nature que je visite, des animaux et des plantes que j'admire, je me dis que vous avez tous déjà lu ça à maintes reprises. Relisez les billets de l'an passé et de l'année précédente autour des mêmes dates et vous y lirez les mêmes choses. Rien de change, tout est pareil. C'est du réchauffé, du déjà vu.

Et vous, vous n'avez qu'à le lire. Moi, je dois le vivre.

Rien ne change. Tout est pareil. Aucune progression, aucune évolution, aucune amélioration. Au début de l'été, je me disais que cette fois ça allait changer, que cette année, c'était mon année, c'était l'année où je me sortais de cette mélasse de merde et où je commençais à vivre la vie que j'ai envie de vivre.

Résultat ? Nous sommes maintenant au début du mois d'août et j'ai passé toutes mes fins de semaine, toutes mes journées de congé seul, sauf à deux ou trois occasions. Encore et toujours la même chose. Tout le monde qui m'entoure a une vie, et je n'en fais pas parti. Je ne suis qu'un bouche trou pour tout le monde, celui qu'on contacte quand on n'a vraiment rien à faire et personne à appeler.

Mon ami d'enfance profite de ses moments de loisirs pour les passer avec sa blonde. Il ne m'a offert de partir en voyage avec lui à la fin de l'été que parce qu'il ne pouvait pas prendre ses vacances en même temps qu'elle, et qu'il ne voulait pas voyager seul. Lorsque nous serons revenus de vacance, tout reviendra à la normale et il ne me donnera plus signe de vie. Sauf quand sa blonde travaillera, ou qu'il aura besoin d'aide pour son ordinateur. Bref, quand je lui serai utile.

Je n'ose même plus appeler Lola. À quoi cela servirait-il ? Il se passe maintenant plusieurs mois entre nos conversations téléphoniques. Chaque fois on se dit que ce serait bien qu'on s'appelle plus souvent, qu'on se voit à l'occasion, qu'on fasse quelque chose ensemble. Mais finalement le temps passe et on ne fait rien. On ne sait plus quoi faire ensemble. Nos goûts sont si différents, nos vies si diamétralement opposées. La vie nous pousse vers des chemins de plus en plus divergents depuis des années. Peut-être serait-il mieux de laisser l'inévitable arriver, de nous laisser vivre nos existences respectives. Lola sera toujours mon amie, elle sera toujours pour moi l'être le plus précieux qui aura jamais existé. Et ça, rien ne pourra le changer. Mais nos bonheurs se trouvent sur des chemins différents.

Et que dire de Nikita. Elle est toujours la première à me faire des reproches quand je la laisse sans nouvelles trop longtemps. Mais elle, quand prend-elle la peine de me donner un coup de fil, de me fixer un rendez-vous ? Bordel de merde, elle doit pourtant le savoir qu'elle a un bébé maintenant, qu'elle travaille à temps partiel et qu'il est donc inévitable que peu importe les rendez-vous que je lui propose, ce n'est jamais la bonne date ou le bon moment, et que je commence à en avoir marre de toujours avoir l'impression que je la dérange. Ça serait tellement plus simple, plus logique, si c'était elle qui m'invitait en fonction de ses disponibilités, sachant que moi, je serais pratiquement toujours disponibles.

Pourquoi les gens sont-ils incapables d'être logique, de choisir la voie du gros bon sens ?

Et puis ça doit faire une dizaine de fois que j'essais de rejoindre Alegria. Soit que je tombe mal et qu'elle n'est pas disponible pour me parler, soit que je tombe sur son répondeur. Elle a eu beau me dire à chaque fois qu'on s'est brièvement parlé qu'elle était super contente que je l'appelle, que c'était vraiment de la malchance si cela ne lui adonnait pas, mais comment voulez-vous que je continue à la croire, elle et tous les autres ? Tout le monde me dit toujours que je suis un gars gentil, agréable, extraordinaire, et tout le bazard. Mais dans les faits, dans leurs gestes et leurs actions, personne n'a envie de me voir dans sa vie, même occasionnellement.

Alors les paroles, j'en ai rien à foutre. Les paroles, je n'y crois plus.

Il n'y a que les personnes désagréables, insupportables, déplaisantes qu'on rejette et qu'on met de côté de la sorte. Alors ce doit être ce que je suis.

Une autre qui n'avait que des belles paroles à m'offrir, c'est ma nouvelle collègue. Elle devait venir ici ce soir, rappelez-vous. La dernière fois qu'on s'est vu je lui ai dit que je la contacterais pour lui donner mes coordonnées. Je lui envois un courriel jeudi avec mon numéro de téléphone et mon adresse, pas de réponse. Petit courriel de rappel ce matin, pas de réponse. Finalement, je l'appelle en milieu d'après-midi à son travail, et c'est sa collègue qui me répond pour dire qu'elle a déjà quitté le bureau.

Pourtant, à chaque fois qu'elle refusait une de mes invitations, elle s'empressait toujours d'ajouter qu'elle avait vraiment envie de venir chez moi mais que ça n'adonnait vraiment pas. Et moi, le beau con, qui en a pourtant déjà vu d'autres mais qui continuait stupidement à espérer, je réitérais mon invitation, je continuais à m'accrocher stupidement à cet espoir qui, je le savais pourtant, était vain. Et bien ça adonnait ce soir. Quelle sera son excuse cette fois ? Je suis bien curieux de l'entendre. Ou plutôt non, je m'en fous. Ce n'est qu'une autre belle parleuse qui a autant envie de me voir en dehors du bureau que j'ai envie de me mettre les doigts dans une prise électrique.

Alors qu'elle aille au diable.

Marre de faire le clown moi.

Marre de piler sur mon amour propre, sur mon estime de soi. Marre de me manquer de respect à moi-même, de m'abaisser à quêter comme un mendiant un peu d'attention, de faire le beau comme un petit chien chien pendant des semaines jusqu'à ce qu'on daigne me jeter quelques miettes lorsqu'on a vraiment rien de mieux à foutre.

Et de grâce, abstenez-vous de m'écrire si c'est pour me faire la morale, me prodiguer de précieux conseils ou me dire que je ne devrais pas me sentir comme ça, que c'est pas correct et que je devrais aller voir un psy.

BORDEL DE MERDE, JE ME FAIS CHIER DESSUS DEPUIS PLUS DE DIX ANS PAR TOUTES LES FEMMES QUI M'ONT PLU ET TOUTES LES PERSONNES QUE J'AI JADIS APPELÉ MES AMIS, ET EN PLUS VOUS AURIEZ LE CULOT DE ME DIRE QUE JE N'AI PAS LE DROIT DE ME SENTIR COMME JE ME SENS ? MAIS BON SANG, EST-CE QU'IL Y A QUELQUE CHOSE QUE J'AI LE DROIT DE DIRE, RESSENTIR OU ÊTRE ?

Il n'y a qu'une seule chose qui me ferait du bien d'entendre, c'est de me faire dire que vous me comprenez.

Mais là-dessus non plus je ne me fais plus d'illusion. Personne ne peut comprendre ce que je ressens à moins de le vivre soi-même. Et ce n'est le cas d'aucun d'entre vous.

Alors ça me donne quoi de continuer à écrire ce putain de journal qui ne sert à rien, même pas à me défouler ? Ça sert à quoi de continuer à crier à toute la planète que je suis malheureux et que j'en ai marre de me voir gaspiller lentement toute ma vie en étant dans cet état ?

Ce journal tourne en rond et ne mène nulle part, parce que ma vie tourne en rond et ne mène nulle part.

Et pourtant... je l'aime cette vie.

Je continue à apprécier le chant d'un oiseau, la caresse de l'eau sur ma peau, la saveur d'une framboise cueillie au hasard d'une promenade, ou le regard pétillant de la collègue avec qui je m'entend si bien lorsque je la fais rire.

J'ai passé une heure en sa compagnie en fin de journée. Une petite heure qui à elle seule vaut toute une vie. Elle me comprend, elle sait ce que je ressens. Nous nous comprenons tellement elle et moi.

Mais comment voulez-vous que j'ose y croire, après toute une vie de désillusion et d'espoirs trahis ?


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