15 août 2002

Comme à chaque fois que la collègue avec qui je m'entend si bien sait qu'elle m'a dit quelque chose qui m'a peut-être un tantinet froissé, elle se montre toujours particulièrement amicale dans les jours qui suivent. Aujourd'hui, elle m'a invité à prendre ma pause avec elle. Nous sommes allés prendre une marche dehors et avons parlé de notre passion commune, la nature et le plein air. Ça vous paraîtra sans doute incroyable, mais je crois que c'est la première fois que nous nous parlions en dehors de l'édifice, hormis le party de bureau en décembre dernier.


C'était une soirée beaucoup plus silencieuse aujourd'hui. Les scies à chaîne et les déchiqueteuses à branches qu'on entendait de façon quasi continue depuis quelques jours se sont faites plus discrètes ce soir. La chaleur plus tolérable aidait à profiter davantage du beau temps.

L'occasion était idéale pour une ballade en canot. Le mois d'août est vraiment le meilleur moment de l'année pour profiter de la faune et de la flore du lac. Cette dernière est variée et abondante, qu'il s'agisse autant des plantes aquatiques que de celles qui poussent en bordure de l'eau. Et les maringouins se font beaucoup plus rares en cette période de l'année.

En arrivant à l'embouchure de la source du lac, j'ai surpris un petit rat musqué qui venait vers moi, la bouche pleine de plantes aquatiques. Les animaux par ici sont relativement habitués à la présence humaine, mais ils ne se laissent quand même pas approcher. En me voyant, il a jugé préférable de grimper sur la berge et de me dépasser en marchant dans les herbes hautes. Je l'ai entendu retourner à l'eau quelques mètres derrière moi.

Les grenouilles sont abondantes, et une grosse grenouille léopard de la taille de ma main, effrayée par mon arrivée, est sautée à l'eau pour se cacher dans la vase. Cependant, je pouvais encore la voir, en partie émergée, et j'ai décidé de jouer à lequel d'entre nous serait le plus patient. Les grenouilles peuvent rester submergées une quinzaine de minutes en moyenne, et j'ai décidé que j'étais capable d'attendre aussi longtemps. J'ai donc accosté mon canot tout près d'elle, j'ai posé ma rame et je me suis mis à l'observer attentivement, en limitant mes mouvements au strict minimum pour ne pas l'alerter à ma présence.

Rester immobile de la sorte est vraiment la meilleure façon d'observer la faune environnante. Je ris toujours intérieurement quand j'entend autour de moi des gens dire qu'ils ne voient jamais d'animaux (à part quelques oiseaux, écureuils et tamias) lorsqu'ils se promènent en forêt. Souvent, ils marchent en groupe, en parlant et riant tellement fort que toute la nature est alertée à leur présence à des kilomètres à la ronde. Si ces gens apprenaient à marcher en silence, presque religieusement, en étant attentif à leur entourage, à l'écoute du moindre son; s'ils se rendaient en forêt tôt le matin ou tard en soirée, et surtout, s'ils apprenaient à développer la patience de simplement s'asseoir sur une souche, une roche ou même sur le sol, aux abords d'un sentier ou d'un plan d'eau, et de simplement attendre, ils découvriraient tout un univers qui les a éludés jusqu'à ce jour.

C'est ce que j'ai fait ce soir. Et bien mal m'en pris, puisque après une quinzaine de minutes, j'ai détourné mon regard une fraction de seconde en entendant un bruit derrière moi. Un tout petit instant, qui fut néanmoins suffisant pour que la grenouille détale comme une flèche, ne laissant derrière elle qu'un petit nuage de boue. Je l'ai entendu émerger de l'eau une seconde à peine plus tard, à plusieurs mètres de moi près de la rive.

Ces petites créatures évoluent depuis des centaines de millions d'années pour échapper à leurs prédateurs, et j'étais bien naïf de croire que je pourrais en berner une aussi facilement...

En quittant la source du lac, j'ai aperçu à la dernière minute un autre rat musqué (peut-être le même), qui glissait doucement dans l'eau dans la même direction que mon canot. J'ai cessé de ramer pour ne pas l'alarmer. Quand j'ai constaté que nos trajectoires se croisaient et que je me rapprochais de lui, j'ai décidé de me laisser filer sur mon élan pour voir jusqu'à quelle distance il se sentirait confortable. Il a finalement plongé alors qu'il était à moins d'un mètre.

Il n'était pas tard, et pourtant le ciel s'était déjà beaucoup assombri, me rappelant cruellement que la belle saison tire à sa fin, et que je n'en ai pas profité autant que j'aurais voulu. Qu'à cela ne tienne, j'essaierai de profiter au mieux du beau temps qui reste.

N'empêche que j'aurais vraiment aimé avoir quelqu'un cet été avec qui partager toutes ces merveilles.


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