7 avril 2002

Je voudrais dire quelques mots en faveur d'un oiseau méconnu et souvent méprisé: la corneille.

Bien sûr, son plumage noir et son cri plutôt désagréable n'en font pas un être particulièrement attirant.

Mais il faut aller au delà des apparences.

Avez-vous déjà observé des corneilles sur le bord de la route au printemps ? Si elles se trouvent au milieu de la voie, elles s'écarteront du chemin au moins cent mètres avant que votre voiture n'arrive. Mais elles ne réagiront pas si elles se trouvent dans l'accotement, ni si une voiture arrive en sens inverse. Pourquoi ? Parce qu'aussi étonnant que cela puisse paraître, elles ont appris à comprendre les règles de base de la circulation automobile. elles savent par exemple que les voitures ne circulent pas dans l'accotement, et qu'elles roulent à droite. Ces étonnants petits oiseaux ont appris à reconnaître les lignes de démarcations des routes et à en identifier les fonctions, et ce par simple observation.

En fait, les ornithologues savent depuis peu que les corneilles sont parmi les oiseaux les plus intelligents qui soient sur terre, juste après les perroquets. En fait, ils évaluent que leurs capacités intellectuelles sont très supérieures à celles des chiens les plus intelligents, et s'apparentent probablement plus à celle des primates, ce qui est sans doute le cas de la plupart des oiseaux de la famille des corvidés.

Leur structure sociale est également fascinante. La cellule de base est la famille, et il a été démontré que les corneilles sont capables de reconnaître leurs parents ainsi que leurs frères et soeurs. Si vous voyez deux ou trois corneilles se nourrir de la carcasse d'un petit animal sur le bord d'une route en parfaite harmonie et sans la moindre chicane, c'est probablement qu'ils sont de la même famille. Il a même été observé souvent que lorsqu'un de ces oiseaux trouve une source de nourriture, il lancera des cris répétés afin d'appeler ses frères et soeurs au festin.

Alors que je roulais vers la réserve faunique pour aller faire de la raquette cet après-midi, deux corneilles, un couple probablement (les corneilles s'accouplent pour la vie), étaient en train de se repaître de la carcasse d'une petite mouffette écrasée en plein milieu de la voie opposée à la mienne. De loin, je les ai vues s'écarter à l'approche d'une voiture qui roulait dans leur direction. Quand je suis arrivé à leur hauteur, comme je m'y attendais, elles n'ont pas bronché. Elles savaient qu'elles ne risquaient rien car je ne roulais pas dans leur voie.

Lorsque je suis repassé au même endroit quelques heures plus tard, elles étaient toujours là, mais cette fois elles avaient traîné la carcasse de la mouffette dans l'accotement, pour ne plus se faire déranger par le trafic.

Certaines colonies de corneilles qui vivent sur le bord de la mer depuis à peine un siècle ont développé une technique pour ouvrir les coquillages avec un minimum d'effort. Elles les saisissent dans leur bec, s'envolent, et les laissent tomber sur les rochers en contrebas pour briser leur coquille. Rien de particulièrement incroyable me direz-vous, beaucoup d'autres oiseaux font de même. Seulement, n'oublions pas que la plupart de ces oiseaux n'ont développé cette technique qu'après des millions d'années d'évolution à vivre sur le bord de la mer. Les corneilles, quand à elles, ne sont pas des oiseaux maritimes, et ont appris cette technique en moins d'un siècle, probablement par simple observation des autres oiseaux de mer. Qui plus est, elles l'appliquent avec encore plus d'efficacité, puisqu'elles ont appris à voler juste assez haut pour que les coquillages se brisent, sans avoir à monter trop haut pour dépenser inutilement leur énergie. Elles savent même ajuster la hauteur de laquelle elles laissent tomber leur proie en fonction du type de coquillage et de la résistance de sa coquille.

La prochaine fois que vous verrez une corneille, peut-être ne la regarderez-vous plus tout à fait de la même façon...


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