2 janvier 2002

Pour tous les diaristes qui ont adopté le blog l'an passé et qui se cherchent une bonne résolution pour la nouvelle année qui commence, j'ai une suggestion à vous faire : Suivez l'exemple d'Isabelle (un gros merci à toi) et arrangez-vous pour que vos entrées d'une même journée apparaissent en ordre chronologique de bas en haut. Allez ! Un petit effort ! Faites un bon geste pour vos lecteurs et lectrices ;-)


Même si j'en lis beaucoup, je ne fais pas souvent référence aux billets des autres diaristes, centré sur moi-même que je suis. Mais deux de ces billets, que j'ai lu dernièrement, m'ont tellement marqué que je ne peux faire autrement qu'en parler ici. Ils datent tous les deux de quelques jours, et les réflexions qu'ils m'ont inspiré mûrissent dans ma tête depuis. Ce soir, ils sont prêts à cueillir.

Le premier a été écrit par l'Incrédule le 15 décembre 2001. Elle y explique longuement le genre de vie sentimentale/affective/amoureuse qu'elle désire. Longuement, parce qu'elle aussi est bien obligée d'admettre que notre langage courant n'a pas de mot simple pour ce type de relation peu orthodoxe, ce qui est souvent le cas malheureusement. Dans la plupart des langues de la terre, les mots sont définis selon le besoin de l'usage, et la marginalité en paie le prix, qui s'ajoute déjà au coût social et personnel élevé qu'entraîne souvent déjà cette même marginalité chez les individus qui la vivent (en sont victime ?), souvent bien malgré eux.

Cette diariste se permet d'ailleurs d'en inventer un, de mot. Et un très joli en plus.

Mais je m'égare.

Pourquoi ce billet m'a-t-il particulièrement marqué ? Parce qu'on aurait dit qu'elle lisait dans mes pensées, mieux que je ne peux le faire moi-même. Le genre de relation qu'elle y décrit est exactement ce que je souhaite vivre, ou plutôt ce que j'aurais souhaité vivre, lorsque j'étais plus jeune, au début de ma vie adulte, disons entre vingt et trente ans. Parce que, contrairement à elle, si je m'étais permis de vivre ce style de vie à l'époque, je sais qu'aujourd'hui j'en serais rendu au point de désirer finalement m'engager dans une relation stable, exclusive, à long terme, et de finir mes jours avec celle qui serait alors ma complice, ma compagne de vie. Je sais que je sens ce désir au fond de moi. J'en ai souvent parler ici, et je le sens à chaque fois que je suis en présence de mes amis et connaissances qui sont en couples stables et heureux depuis de nombreuses années (et oui, il y en a encore).

Mais, me demanderez-vous, pourquoi diable ne me suis-je pas permis de vivre ce fameux genre de relation quand je le désirais ?

Justement, la réponse se trouve peut-être dans le deuxième des billets dont je parlais plus haut.

Dans son texte du 30 décembre 2001, l'Idéaliste dit ceci:

"Je me demande si le blocage que je fais (et pas mal d'hommes comme moi, je suppose) vis à vis de mes désirs masculins ne vient pas d'un trop grand respect de la femme.

J'essplique: on a tellement entendu ces reproches faits aux machos, ces idées comme quoi les mecs «ne pensent qu'à "ça"» qu'on en est probablement devenus inhibés de ce côté là."

Dans ses mots à lui, il explique exactement ce que je ressens. Je me rappelle très bien, lorsque j'étais dans mon adolescence et que je ressentais du désir pour une fille, le conflit en moi. À cet âge, et je me permet de l'admettre aujourd'hui, mon attirance pour la gent féminine tenait davantage de l'attirance sexuelle. Je me suis "déniaiser" assez tard, cela était tout nouveau pour moi, et au fond je n'avais que l'envie de tout voir, de tout toucher, de tout essayer, de goûter à tous les fruits défendus qui passaient à ma portée.

Mais voilà, ces désirs, je ne me les avouais pas à moi-même, je ne me les "permettais" pas, parce que pour moi, à l'époque, un "bon gars" ne pouvait pas avoir de tels désirs. Un "bon gars" se devait de s'intéresser à une fille pour plus que seulement le sexe, le désir de séduire. Et il était hors de question que je sois autre chose qu'un "bon gars", parce qu'un "mauvais gars" fait du mal aux filles, et ça, je ne pouvais l'accepter. Ma profonde et viscérale aversion à l'idée de faire du mal aux autres, particulièrement aux femmes, pour lesquelles j'ai le plus grand respect, ne date pas d'hier. Certains diront que c'est tout à mon honneur, et effectivement je suis plutôt fier de cet aspect de ma personnalité. Mais j'ai vu tellement de mes amies féminines de l'époque venir pleurer dans mes bras à la suite d'une nuit sans lendemain qu'un quelconque homme avait réussi à leur arracher à grand coup de belles paroles et de belles promesses, qu'il était hors de question que je sois moi-même un de ces "mauvais gars". Mais bien sûr, au fond de moi, je ressentais les mêmes désirs que ces "mauvais gars", je me refusais simplement à m'en remettre à la tricherie et au mensonge pour arriver à mes fins. Et cela aussi est tout à mon honneur.

Mais voilà; à l'époque, pour moi, étant donné le contexte social et l'éducation que j'avais reçu, il n'y avait pas d'alternative. Ça ne se faisait pas, surtout pas de la part d'un homme, de dire qu'on ne voulait pas d'engagement, mais simplement une relation au jour le jour, sans attaches et sans promesses de lendemain.

Alors je ne me permettais de tenter de séduire que des femmes inaccessibles, des femmes avec lesquelles mon inconscient savait que je ne pouvais réussir, et ce afin d'être certain d'éviter toute possibilité d'exclusivité ou d'engagement. Et si une femme réussissais à me séduire, quelques semaines plus tard, j'en venais très vite à percevoir cette relation comme contraignante et encombrante, et je quittais.

En résumé, je ne me permettais ni des relations sans lendemain, ni des relations sérieuses, et tout ça parce que je n'osais pas m'ouvrir les yeux sur moi-même, regarder en face mes désirs, mes pulsions.

Et ça a duré vingt ans.

Vingt ans jetés à la poubelle, à tourner en rond. Mes plus belles années.

Quel gâchis.

Et aujourd'hui, alors que les meurs ont changé et que ce genre de relation dont parle l'Incrédule s'avoue sans pudeur (ou presque) et se vit couramment, je ne me le permet toujours pas. La dernière année avec Lolita en est une preuve flagrante. Je ne me le permet pas, pour des raisons tout aussi stupides qu'auparavant: la peur d'être jugé défavorablement, la peur de passer pour un de ces "bonhommes" en pleine crise de la quarantaine, allergique à l'engagement, que toutes les femmes détestent. Du moins, c'est ce que je crois, c'est ainsi que mon inconscient est programmé. Et plus je vieillis, plus ça empire. Quand j'aurai cinquante ans, je ne serai plus jugé simplement comme un homme en crise de la quarantaine, mais plutôt comme un "vieux vicieux".

Pas surprenant que j'aie une peur morbide du passage du temps. Pour moi, il ne règle rien, il ne fait qu'aggraver les choses.

Alors il n'y a pas bien bien des solutions qui s'offrent à moi. Je dois briser d'une manière ou d'une autre ce statu-quo qui dure depuis la moitié de ma vie.

Ou bien je me permet une fois pour toute d'être ce que je suis, de vivre le genre de relations que j'ai envie de vivre depuis vingt ans, de sortir ça de mon système une fois pour toute pour enfin pouvoir passer à autre chose, ...

Ou bien je comprend le vrai sens du mot "renoncement" et je fais mon deuil une fois pour toute des désirs que je réprime depuis vingt ans, pour justement pouvoir passer entièrement, sans ambiguïté et de tout mon être, à l'étape suivante, celle de rechercher l'engagement dans une relation stable et à long terme.

Quel que soit le chemin que je choisisse, je dois me décider une bonne fois pour toute.

Et pas dans dix ans.


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