21 janvier 2002

Pas envie d'écrire, mais trop de choses à dire ce soir. Alors je vais me "botter le cul".

D'abord, avez-vous remarqué que dans très exactement deux mois, ce sera le printemps ? J'en salive déjà...

Tout le monde me trouvait très enjoué et de bonne humeur aujourd'hui. Et le pire, c'est que c'était vrai. Et je n'ai aucune idée pourquoi. Même un malheur constant peut être entrecoupé à l'occasion de quelques instants de bien-être. Je ne me pose plus de question maintenant, j'en profite.

J'ai reçu hier soir un appel qui m'a flatté à rebrousse poil. C'était Lolita, qui avait quelques problèmes avec son ordinateur et qui me demandait conseil. Il était difficile de diagnostiquer son problème au téléphone, mais à force de l'interroger, j'ai fini par apprendre que son amant avait fait quelque chose dessus et que maintenant elle ne pouvait plus accéder à son service Internet. Le coupable avait essayé de réparer lui-même le problème jusqu'à ce que, en désespoir de cause, Lolita décide de m'appeler.

Inutile de préciser que j'étais en colère. Très en colère même.

Peut-être une partie de mon agressivité envers son amant venait-elle du fait qu'il est entré dans sa vie et y a pris une place que je désirais moi-même depuis un certain temps. Mais la plus grosse part de mon agressivité envers lui venait définitivement du fait que j'en ai marre de voir n'importe quel petit trou de cul s'improviser informaticien et venir foutre le bordel dans une installation absolument sans faille. Je l'ai dit souvent ici, l'informatique est le seul domaine de mon existence dans lequel j'ai une confiance absolue en moi. L'expérience m'a démontré depuis longtemps que mes compétences et mon talent dans ce domaine sont très au dessus de la moyenne, et ce sans oublier la précision et la minutie que je met dans mon travail. Bref, je retire une grande fierté de mes qualités d'informaticien, et...

...JE NE TOLÈRE PAS QUE LE PREMIER PTIT CUL VENU VIENNE FOUTRE LA MERDE DANS MON TRAVAIL IMPECCABLE !!!

Alors inutile de préciser que j'ai très clairement passé le message à Lolita, lorsque je suis arrêté chez elle après le travail pour réparer les dégâts de l'autre. Je lui ai également fait comprendre que si elle voulait que je continue à lui donner du support avec son ordi à l'avenir, il n'y avait que moi qui avait le droit d'en modifier la configuration, sinon je me lavais les mains de ce qui pouvait arriver par la suite. Elle était d'ailleurs visiblement très embarrassée de la situation et m'a promis que cela ne se reproduirait plus, tout en me remerciant à profusion pour mon temps.

Mais parallèlement à tout ça, il y avait une autre histoire. Lolita, qui revenait de l'hôpital pour des examens de routine, m'a dit y avoir rencontré un des membres de notre petit groupe. Il était hospitalisé depuis quelques jours déjà. Dans l'aile psychiatrique. Raison officielle: overdose d'anti-dépresseurs mélangés à de l'alcool.

Bref, cet homme est en dépression depuis plusieurs mois, il était suivi par un psychiatre, et nous n'en savions rien. En tout cas, je n'en savais rien.

Bon, je peux bien dire de qui il s'agit, puisqu'il est anonyme de toute façon. Il s'agit de JG.

Le récit de cet évènement a lancé une grande conversation entre Lolita et moi. Une conversation durant laquelle je me suis laissé aller à exprimer une partie de ce que je ressens face aux autres en général, et à la "gang" en particulier. Je lui ai exprimé comment je me situais face au gens qui m'entoure, que je me sens comme si je comptais un peu pour beaucoup de monde, mais beaucoup pour personne. Cette affirmation a eu l'air de la surprendre énormément, et je lui ai justement fait comprendre que c'était exactement ça qui était si dur à vivre pour moi, de réaliser que justement, tout le monde semble toujours très surpris quand j'exprime quelque chose que je ressens et avec lequel je vis chaque minute de chaque heure de chaque jour, parce que justement, personne ne m'accorde suffisamment d'importance pour chercher vraiment à savoir comment je me sens, ce que je vis au quotidien.

Pour illustrer mes dires, je lui ai fait part d'un exemple concret que vous trouverez probablement tout à fait banal en soi, mais qui revêt une importance toute particulière dans le contexte actuel. Je lui ai dit que, le jour où j'ai décidé d'aller voir le film "Le seigneur des anneaux", un film que j'anticipais depuis longtemps et que j'avais très hâte de voir (et ça, tout le monde le savais parce que nous en avons souvent parlé ensemble), et bien ce jour là, je me suis aperçu que tout le monde dans le groupe était déjà allé le voir, avec une personne ou une autre, et que personne ne m'en avait parlé. Tout le monde a semblé très surpris quand je leur ai annoncé ça. Tout le monde avait présumé que j'étais déjà allé le voir avec quelqu'un d'autre, et donc personne n'avait pris la peine de me contacter lorsqu'ils y étaient allé eux-même.

Et bien voilà.

Ceci n'est qu'un exemple. Mais c'est ainsi partout, tout le temps. Tout le monde "présume" toujours quelque chose. On ne me parle pas de telle ou telle soirée, car on "présume" que je suis déjà occupé ce soir là. On ne m'invite pas à telle ou telle activité en fin de semaine, on "présume" que j'ai déjà quelque chose. On ne me met pas au courant de telle ou telle chose qui est arrivée à telle ou telle personne, on "présume" que "quelqu'un" m'a déjà informé.

Je ne compte plus les exemples du genre, incluant ce souper où je n'ai finalement pas pu me rendre parce que et Lolita et Copine "présumaient" que c'était l'autre qui m'avait appelé pour m'inviter.

Bref, cela confirme ce que je disais plus haut. Je compte un peu pour beaucoup de monde, mais beaucoup pour personne.

Lorsque Lolita me parlait de la façon dont elle percevait la dépression en général, et celle de JG en particulier, je ne pouvais m'empêcher de constater, en l'écoutant, à quel point elle passe complètement à côté de la chose, et ce malgré le fait qu'elle soit très érudite et très renseignée dans ce domaine. Tout ces dires, tout ce chapelet de belles théories sur le bien-être intérieur, la recherche spirituelle, et tout ça. J'ai réalisé à quel point il était totalement impossible à quelqu'un comme Lolita, qui est constamment entourée d'amitié, d'amour et d'attention de la part de tous, de vraiment, réellement, et sincèrement comprendre l'expérience du malheur profond, viscéral et constant. Comme tout le monde, elle a connu son lot d'épreuves, de difficultés, de désespoirs, de ruptures et d'échecs. Mais absolument rien de tout cela ne se compare, de près ou de loin, à l'expérience angoissante, atroce, épouvantable que représente la dépression. Moi-même je n'aurais jamais pu en cent ans ne serait-ce que commencer à en avoir une vague idée si je n'avais pas personnellement vécu la chose. Deux fois en plus.

Sur la route, en revenant chez moi, je me sentais étrangement bien. De m'être permis de lui exprimer toutes ces choses de façon calme mais franche, m'a libéré d'un grand poids.

Donc, ce soir, je me sens un peu plus léger.


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