25 juillet 2002

Journée magnifique aujourd'hui.

Bien sûr, je me suis fait chier dans le trafic pour m'y rendre et pour revenir. Saviez-vous que Loto-Québec a participé au financement des aménagements dans le parc des Hautes Gorges de la rivière Malbaie ? Vous savez pourquoi ? Parce que les nouveaux visiteurs au parc risquent aussi de faire un petit arrêt au casino de Charlevoix... Vous n'en avez pas marre de vivre dans un monde aussi totalement mercantile ?

Quoi qu'il en soit, j'ai un bon truc à proposer au gouvernement pour attirer encore davantage le touriste dans la région de Charlevoix: terminez donc une bonne fois pour toute les travaux sur la route 138, bordel de merde ! Ça fait plus de trois ans que ça dure ! Vous croyez que le touriste a le goût de revenir dans la région quand il doit toujours se taper au minimum une demi-heure de pare-choc à pare-choc, sinon plus, entre Québec et Sainte-Anne de Beaupré à l'aller et au retour ? Bordel, à quel point cela peut-il être si compliqué d'élargir une route sur vingt misérables kilomètres ? Vous avez construit la route de la Baie James en moins de deux ans, et elle fait six cent kilomètres à travers la forêt boréale, en enjambant d'immenses rivières et en zigzagant entre les eskers de la dernière glaciation, et elle peut supporter des camions de cinq cent tonnes ! Et en deçà du budget prévu en plus !

Mais ni les problèmes de trafic, ni la solitude (vous vous en doutiez sans doute) ne m'ont empêché de profiter de cette journée au maximum. J'ai fait une de mes randonnées fétiches aujourd'hui: le Mont du Lac des Cygnes, dans Charlevoix. Peu importe le nombre de fois que je vais dans la région, je ne m'habitue tout simplement pas à la beauté et à la magnificence de ce coin de pays, que ce soit de ses paysages ruraux ou naturels. Autant la montagne Brûlée dont le sommet dénudé trône fièrement au milieu du massif des Laurentides quand on passe dans le village de Saint-Tite des Caps, que la ville de Baie-Saint-Paul avec, au large du fleuve, l'île aux Coudres, quand on descend vers la vallée. Et que dire des parois spectaculaires du secteur du pied des monts lorsqu'on approche du parc des Grand Jardins ?

Entre mon arrivée dans le stationnement et mon retour à ma voiture en fin de journée, tout a été absolument parfait. Comme nous étions en milieu de semaine, il y avait relativement peu de monde. De plus, la demoiselle à l'accueil était très jolie et très souriante. Les conditions météo étaient parfaites: ciel d'un bleu immaculé d'un horizon à l'autre, température idéale autant en bas que sur les sommets, petite brise rafraîchissante qui nous changeait des vents à écorner les boeufs qui soufflent habituellement en haut de ce massif montagneux. Et par dessus le marché, pas une seule mouche piqueuse ! J'avais peine à y croire.

J'ai été surpris de la facilité avec laquelle j'ai fait l'ascension. Je n'aurais pourtant pas cru que je serais très en forme, n'ayant fait pratiquement aucune activité physique de l'été, à part mes saucettes quotidiennes dans mon lac. Il faut croire que la natation doit être un meilleur exercice que je ne l'aurais cru. Quoi qu'il en soit, j'étais au lac Fulmar en trois quarts d'heure. J'étais très tenté de m'y baigner, mais j'hésitais car je n'étais pas seul et, comme vous vous en doutez, je n'avais pas apporter de maillot. Quelques minutes après moi, deux jeunes touristes françaises sont arrivées au lac. Elles étaient jeunes, jolies, et semblaient très sociables. Ça aurait été si simple d'engager la conversation avec elles. Et pourtant, encore une fois, je me suis abstenu. Elles ont décidé de se baigner et ont enlevé leurs vêtements, sous lesquels elles avaient eu la bonne idée de porter leur maillot. À un certain moment il n'y avait plus qu'elles et moi, il faisait chaud et j'avais vraiment envie de faire saucette. Pourquoi ne leur ai-je tout simplement pas demandé si cela les dérangeait que je me baigne nu ? Je ne crois pas qu'elles en auraient été offensées, les européens étant généralement beaucoup moins dérangés par la nudité que nous autres nord-américains. Et puis comme je l'ai déjà dit, avec les années, j'ai appris à "sentir" les gens, et je savais qu'elles auraient été très ouvertes d'esprit.

Mais bon. J'ai préféré partir et les laisser seules. J'avais peur qu'elles me trouvent bizarre, qu'elles aient peur de moi, où qu'elles pensent que j'étais une sorte de voyeur si je restais là à les regarder se baigner. Peur. Toujours peur. Peur de ce que les autres vont penser ou dire de moi, peur de passer pour ce que je ne suis pas.

Alors je suis parti.

Quinze minutes plus tard, j'étais au sommet du Mont du Lac des Cygnes. J'ai toujours été émerveillé par la vue qu'on a du sommet, par le fait qu'on englobe d'un seul regard toute la région de Charlevoix au complet, par le fait que si on sait quoi regarder, on peut voir très bien le contour de l'immense cratère de la météorite dont la chute a formé le relief de cette région il y a des centaines de millions d'années. J'ai eu par contre un petit pincement au coeur quand j'ai vu que les coupes forestières avaient encore progressé depuis la dernière fois que je suis venu, en me rappelant que la première fois que j'ai contemplé ce paysage, les forêts à la base du massif étaient encore vierges, en constatant que rien n'arrête l'appétit des compagnies forestières et que les ministres et députés qui sont censés protéger la ressource couchent dans le même lit que les industriels.

Tout le monde semble toujours serein et détendu au sommet. Sans doute est-ce l'effet combiné de la fatigue de la montée et de la beauté du paysage. J'ai pris une pause d'une demi-heure environ pour grignoter et m'imprégner de l'ambiance des lieux, puis je me suis remis en marche. Tout le trajet entre les hauts plateaux et le lac Pioui fut une véritable partie de plaisir. Je ne me rappelle pas avoir fait cette randonnée de façon aussi détendue. Je marchais d'un pas léger, prenant le temps d'observer chaque arbuste rabougri, chaque plante exotique, chaque rocher, chaque insecte. Je ne m'habitue jamais à la splendeur de ces paysages dénudés, de ces grands espaces qui nous entourent littéralement de beauté, peu importe où se pose notre regard. Le tapis de végétation qui couvre le sol, remarquablement vigoureux malgré la rigueur des conditions climatiques, est un mélange de bleuets, d'airelles, de graines noires, de thé du Labrador, de petites branches rampantes de saule arctique, et de kalmia dont les fleurs roses abondantes étaient visitées par une multitude de petites abeilles. Ça et là, des épinettes rachitiques, plus petites que moi et pourtant beaucoup plus vieilles, ne portant des branches que d'un seul côté de leur mince tronc opposé aux vents dominants, se dressaient vers le ciel en signe de défit aux éléments, juste à côté des cadavres de leur congénères, tombés victimes de leur arrogance.

Après une descente abrupte, je suis arrivé au lac Pioui, où se trouvait déjà un groupe de randonneurs que j'avais déjà vu précédemment sur les plateaux. Ils sont partis quelques minutes après mon arrivée. J'étais seul, j'avais chaud et l'eau du lac était si pure, si fraîche, si invitante. Je savais qu'un jeune couple me suivait de près dans les sentiers, mais vu que je marche habituellement d'un bon pas, je me suis dit que j'avais le temps d'une saucette avant leur arrivée. Mais j'étais quand même hésitant.

Finalement, l'appel de l'eau était trop fort. Je me suis dévêtu et me suis enfoncé dans l'onde, en m'assoyant sur le fond rocheux. La température du lac était vraiment idéale et je m'y suis délecté pendant plusieurs minutes. Malgré les nombreuses fois que j'ai parcouru ce sentier, aujourd'hui était la première fois que je me baignais dans l'une ou l'autre des étendus d'eau qu'on y retrouve.

Une fois sorti de l'eau, plutôt que de m'essuyer tout de suite, j'ai préféré me faire sécher au vent et au soleil. C'est en me tenant debout sur un rocher que j'ai aperçu du coin de l'oeil, dans le sentier, la silhouette d'un des deux randonneurs qui me suivaient dans le sentier. Il rebroussait chemin pour se mettre hors de ma vue derrière les arbres. De toute évidence, lui et sa copine m'avaient vus nu en arrivant du sentier et, ne sachant trop que faire, s'étaient retirés un peu en restant silencieux. Faisant mine de rien, pour ne pas les mettre plus mal à l'aise qu'ils l'étaient sans doute déjà, je suis retourné à côté des marches de l'abris où j'avais laissé mes vêtements, j'ai fini de me sécher avec ma serviette et je me suis rhabillé. C'est lorsqu'il ne me restait plus qu'à remettre mes bottes qu'ils sont sortis de derrière l'abris, comme si de rien était, en me saluant avec un sourire et en allant s'asseoir sur les roches au bord du lac. Je trouve dommage que quelque chose de si naturel que la nudité dans un contexte si paradisiaque mette encore mal à l'aise la vaste majorité des gens, mais c'est quelque chose contre lequel je ne peux rien. Tout ce que je peux faire, c'est d'éviter autant que possible de l'imposer aux gens, et, lorsque ça arrive malgré tout, de donner l'exemple de mon propre bien-être.

Et d'espérer qu'avec le temps, les meurs continueront de changer dans le bon sens, comme elles le font déjà, lentement.

Le reste de la randonnée fut sans incident. Mes genoux ont commencé à me faire souffrir dans la descente, surtout le gauche (allez comprendre), et j'ai réalisé à quel point la musculature de mes jambes a besoin d'être réentraînée. Avant mon accident, lorsque j'allais travailler en vélo plusieurs fois par semaine, mes muscles étaient si fermes et si développés que mes genoux étaient parfaitement supportés et ne me causaient aucun problème, même durant mes longues randonnées avec charge comme celle que j'ai fait dans les Monts Groulx.

Par contre, j'ai été excessivement satisfait de mes nouvelles chaussures de randonnée. J'ai eu encore une fois la preuve que j'ai fait un excellent achat. Elles supportent parfaitement mes pieds, mes chevilles sans en entraver le mouvement, et même après douze kilomètres, je n'avais pas le moindre point chaud, le moindre début d'ampoule.

De retour à l'accueil, la jolie demoiselle était toujours là, fidèle au poste. Alors que je lui achetais une carte du parc (la mienne n'est plus à jour depuis longtemps), un petit garçon de huit ou neuf ans s'approche de moi et me dit:

- Elle est bizarre, ta casquette...

- C'est une "bug-cap", que je lui répond. Dans la petite pochette en avant, il y a un filet que je peux déplier pour recouvrir ma tête et me protéger des moustiques.

Et j'ai même pris la peine de lui montrer comment ça marchait. Il est reparti, satisfait, le sourire au lèvres.

Mais qu'est-ce qui m'arrive avec les enfants depuis quelque temps ?


[jour précédent] [retour] [jour suivant]