24 juin 2002

Je sais ce que je vais faire aujourd'hui. Je vais faire ma première escapade de l'année à la plage d'Oka. Première vrai fin de semaine de beau temps après un printemps de merde, jour férié pour tout le monde, fête nationale des québécois, bref, ça devrait être bondé.

Chantier de construction sur le bord de l'autoroute. Personne ne travaille, bien sûr, mais quelqu'un a accroché un drapeau québécois sur le câble de l'une des grues.

Une caravane de motos. Tiens, celui qui ferme la marche transporte un gros toutou en peluche comme passager. Marrant.

Les fleurs sauvages colorent les champs de leurs belles teintes de bleu, jaune et orange.

Trois cent kilomètres sans radio ni musique, c'est long.

(Ben non, ma voiture est pas encore réparée. Le garage où m'a référé mon agent d'assurance a pris un mois à lui transmettre l'estimé des réparations.)

Splat. Un gros insecte vient s'écraser sur mon pare-brise, y laissant une ragoûtante tache verte, jaune, et... rouge ?

Comment ça, rouge ? Les insectes n'ont pas d'hémoglobine, tout le monde sait ça. Comment peut-il donc laisser une tache rouge sur mon pare-brise ?

Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Une file de voiture qui doit bien faire deux cent mètres au moins ! Moi qui disait que ça allait être bondé. Peut-être aurais-je dû partir un peu plus tôt...

Ouf... Il y a encore de la place dans le stationnement... dans la zone de débordement.

Alors que je marche le long du stationnement vers la plage, un mec en bedaine s'avance vers moi, tout sourire.

- Eille ! Salut man ! Ça va tu bien man ? Bonne Saint-Jean man ! dit-il en me tendant la main.

- Bonne Saint-Jean, rétorque-je, perplexe...

- Eille man, tu fumes tu du pot toué man ?

- Non, lui répond-je.

Pas sûr s'il voulait m'en acheter ou m'en vendre, mais je penche pour la deuxième hypothèse. À en juger par son regard vitreux, il avait déjà tout le pot dont il avait besoin.

Bon, me voilà sur la plage. C'est vrai qu'il y a beaucoup de monde. Cordés comme des sardines. C'est ce que j'aime moins de la plage d'Oka. C'est tellement... urbain ! Heureusement, la section nudiste est toujours plus tranquille.

Mais, mais, MAIS !!!

HAAAAAAAAAAA !!!! QU'EST-CE QUE C'EST QUE CETTE MERDE ?!?!?!

Mais qu'est-il arrivé à la plage ?! Il ne reste plus qu'une mince bande de sable de quelques mètres à peine, elle qui faisait facilement plusieurs dizaines de mètres de large !

Et là-bas ! À partir de la pointe qui délimite le début de la section nudiste, il n'y a même plus de plage, l'eau lèche directement les racines des arbres ! Mais qu'est-il donc arrivé, bon sang !

Je parcours le sentier de long en large pendant près d'une heure, et partout, le même carnage, la même désolation. À plusieurs endroit, le sentier lui-même est complètement inondé, et des immenses mares intérieures, dont la végétation arrive à peine à émerger, ont envahi le sous-bois. À un endroit, il y a même un camion-pompe qui draine l'eau des mares et la renvoit vers le lac.

Sur une longueur de presque trois cent mètres, à l'est de la zone surveillée, la plage a complètement disparu, submergée par les eaux gonflées du lac des Deux Montagnes, dont le niveau a dû s'élever de plus d'un mètre ! C'est dément ! Partout, le long de ce qui ressemble maintenant davantage à la berge d'une rivière en forêt, on peut voir des arbres plus que centenaires abattus, incapables de résister aux vents des orages de la veille, parce que le sol dans lequel ils prenaient racine depuis des décennies a été littéralement emporté par la crue des eaux. À partir de la section nudiste, ce qui était autrefois une plage de près de trente mètres de large et de plus d'un kilomètre de long n'est plus qu'une mince bande de sable large de quelques mètres et longue de cinquante mètres à peine, sur laquelle s'entassent tant bien que mal quelques centaines de personnes en manque de chaleur et de soleil. C'est vraiment désolant, je ne reconnais plus rien.

Il y a si peu de plage à certains endroits que les propriétaires de bateau amarrent leur embarcations en les attachants à des arbres ! C'est pas des farces ! Ceux-ci préfèrent d'ailleurs s'installer sur les ponts de leur embarcation, plutôt que de venir à terre. Les autres se partagent comme ils le peuvent les quelques zones ensoleillées. Je suis contraint d'étendre ma serviette près du tronc d'un grand chêne, à l'ombre de son feuillage.

Et moi qui m'inquiétait de prendre trop de soleil aujourd'hui...

J'avais même apporté ma crème solaire. Pas de danger qu'elle serve.

À ce point-ci, j'en suis presque à regretter d'être venu. Mais bon, je viens de me taper trois heures de route et de payer cinq dollars de stationnement. Alors je reste.

Afin d'essayer d'oublier le vent qui est un peu frisquet lorsqu'on est assis à l'ombre, je me met à observer la faune qui m'entoure. Très hétéroclite. Je ne reconnais pas beaucoup d'habitués. Il y a des couples, des groupes d'amis, des petites familles, des gens de tous âges et de toutes grandeurs, grosseurs et couleurs. En ce moment, les proportions sont d'environ deux tiers peau et un tiers maillot. Faut dire que le grand nombre de visiteur au parc, combiné à l'état lamentable de la plage, a provoqué un débordement de gens de la plage surveillée vers la section nudiste.

Il y a cette jeune fille. Dix-huit ans, gros maximum. Elle est accompagnée de son chum et de quelques amis. Elle ne porte qu'un thong blanc, qui contraste merveilleusement avec sa belle peau bronzée. Ses longs cheveux blonds coiffés en multiples petites tresses (je ne me rappelle plus comment ça s'appelle) coulent le long de son dos jusqu'à ses fesses magnifiques. Ses seins sont parfaits; petits, fermes, de même teint que le reste de sa peau, indiquant qu'elle n'en est pas à sa première séance de monokini.

Tout le monde la regarde. Tout le monde la désire secrètement.

Cet homme qui la tient par la main, qui lui murmure dans l'oreille, réalise-t-il la chance qu'il a ? Elle lui offre un sourire. Cette nuit, elle lui offrira ce corps parfait.

Plusieurs familles, avec un ou deux enfants. Chose rare, mais qui me réjouit: les enfants sont tous nus aussi. En face de moi, une fillette, sept ou huit ans, couverte de sable de la tête au pieds, confectionne un château et se perd dans ses rêves. Aucune pudeur, aucune impudeur non plus.

Un couple juste à côté de moi. Leur fille dors profondément. Elle commence à peine à développer son corps de femme. Les enfants, même dans les milieux naturistes, développent souvent une sorte de pudeur naturelle à cette période de leur vie. Mais pas elle. Lorsqu'elle se réveille, elle va et vient, indifférente au regard des autres. Peu de chance qu'elle développe des problèmes d'image corporelle négative en vieillissant.

Et ce petit garçon (quatre, cinq ans ?) qui court partout en rigolant, suivi de près par son père, tout sourire, qui ne cesse de lui répéter de ne pas marcher sur les serviettes des gens.

Heureusement, la terre tourne autour de son axe, et mon petit coin ombragé commence maintenant à être inondé de soleil. Plus l'après-midi passe, plus les choses s'améliorent.

La proportion de nudistes augmente aussi. Et pas parce que les maillots s'en vont. Non, plutôt parce qu'ils se convertissent, les uns après les autres. Des centaines de personnes biens dans leur corps dégagent une énergie qui est contagieuse. Lentement mais sûrement, les culottes tombent, les tops s'envolent. Les contrastes de peau trahissent les novices. Mais tout le monde s'en fout, tout le monde s'accepte.

Je ne voudrais pas que vous pensiez que j'essais de vous convaincre que les milieux naturistes sont des mondes idéaux. Il y a des nudistes chiants aussi. Mais disons qu'une plage dépourvues de son côté "parade de mode" est déjà beaucoup plus agréable, l'atmosphère est beaucoup plus détendue. Tout le monde se parle, tout le monde fait connaissance.

Je suis en plein soleil maintenant. Il fait chaud, je suis bien, et je n'ai pas envie de partir. Il le faudra cependant, car je dois encore me taper trois heures de route et je travaille demain.

Je me lève, je ramasse mes choses, retardant le plus possible le moment fatidique où je devrai remettre mes vêtements. Pourquoi ne puis-je pas rester ainsi, marcher nu jusqu'à ma voiture, et prendre la route dans ma tenue d'Adam ?

En repassant le long de la plage "officielle", je ne peux qu'admirer toutes ces femmes, tous ces types de beauté si différents, tous ces corps plus variés, plus magnifiques les uns que les autres.

Ben oui, c'était bien de l'hémoglobine dans mon pare-brise. La tache est maintenant sèche et brunie, comme du sang coagulé.

Mais comment est-ce possible ? Aurais-je frappé une toute nouvelle espèce de colibri lilliputien inconnue jusque là ?

J'ai compris ! J'ai frappé un gros taon, une "mouche à cheval", qui venait tout juste de se gorger du sang d'une pauvre créature tourmentée par une horde de petits vampires dans son genre.

Je ne verserai pas de larme pour toi, sale bête. Je hais les insectes vampires.

Voilà. J'ai passé une belle journée finalement. J'espère seulement que dans les prochaines semaines le lac des Deux Montagnes va reprendre son niveau normal, et que la plage d'Oka va retrouver sa gloire d'antan. Car j'ai l'intention d'y retourner plusieurs fois cet été. Et pas seul.

Oh, en passant: Eille man ! Bonne Saint-Jean man !


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