1 mai 2002

L'autre soir, lors d'une conversation téléphonique avec Copine, nous parlions de nos tempéraments et de nos traits de personnalité respectifs et elle m'a lancé à la blague que je présentais beaucoup de points communs avec les autistiques.

Puis je me suis arrêté à bien y penser et je me suis dit que ce n'était pas si saugrenu comme idée. En fait, si je souffrais effectivement d'une forme très légère d'autisme, cela expliquerait bien des choses... presque tout en fait.

À l'âge de deux ans et demi, je ne parlais toujours pas. Mes parents et mon médecin de famille étaient très inquiets. On m'a fait passer toute une batterie de tests à l'époque, incluant des tests de surdité, qui se sont tous révélés négatifs. Puis, un peu plus tard, j'ai dit mon premier mot. À peine deux semaines plus tard, selon ma mère, non seulement je faisais déjà des phrases complètes mais mes habiletés linguistiques étaient soudainement devenues d'un niveau bien supérieurs à celles des autres enfants de mon âge.

Depuis ma plus tendre enfance, je suis doué d'une mémoire photographique assez phénoménale. Lors d'un souper avec mes parents, j'ai mentionné un souvenir d'enfance: Un camion de livraison venait de se garer dans l'entrée de la maison familiale. On avait sonné à la porte et ma mère était allée répondre. Un homme en salopette bleu marine était entré et venait livrer un gros matelas et une base de lit. À travers la fenêtre du salon, je pouvais lire le nom de la compagnie sur le côté du camion: Simpson Sears (les plus vieux d'entre vous se rappelleront de cette ancienne appellation de l'actuelle compagnie Sears). Le mot "Simpson" était écrit en diagonale, en grosses lettres blanches de format manuscrit, et se superposait au mot "Sears", écrit lui en lettres carrées. L'image est encore très claire dans ma tête, je n'ai qu'à fermer les yeux pour voir nettement ces mots comme si ils étaient devant moi.

J'ai aussi mentionné le souvenir de la boîte à musique que je possédais étant enfant. Elle simulait une télévision. Elle était turquoise, surmontée par deux fausses antennes qui étaient en fait deux demi-boules en bois peintes en jaune, au bout de deux longs ressorts. Sur le devant, une vitre en plastique transparent laissait voir un rouleau qui tournait, laissant défiler à tour de rôle des images d'animaux de ferme. Dans le haut, le dessin d'une portée de musique sur laquelle étaient écrites (en anglais) les paroles de la chanson dont la musique jouait lorsqu'on remontait la boîte à musique à l'aide d'un gros bouton rouge situé juste sous l'"écran". J'ai encore le souvenir des mots "cow" et "over the moon". Je vois encore clairement l'image d'une vache qui sautait au dessus d'un croisant de lune souriant.

Pour terminer, j'ai mentionné le souvenir de mon ancien lit, une bassinette à barreaux, elle aussi de couleur turquoise, dont je me rappelle très bien. Je me souviens même de la première fois où j'avais appris à escalader les dits barreaux pour sortir de mon lit.

Lorsque j'ai eu fini de parler de tous ces souvenirs, ma mère me regardait, silencieuse, l'air hébété. Croyant qu'elle ne se rappelait de rien de cela, je lui ai juré que ces souvenirs étaient bien réels, que je n'inventais rien. C'est alors qu'elle m'a dit qu'en effet, elle se rappelait très bien de tous ces détails, mais que cela lui paraissait impossible que je m'en souvienne aussi puisque tout cela est survenu alors que j'avais un an et demi à peine. Avant que je ne sache lire. Un an avant même que je ne sache parler !

Bien sûr, je ne pouvais lire ni l'écriture sur le côté du camion, ni les paroles  de la chanson de ma boîte à musique. Mais je vois encore les mots, comme si c'était hier, et leur souvenir est si parfait que je peux les lire aujourd'hui dans ma tête.

Aussi, jusqu'à l'âge de cinq ans environ, j'étais un enfant très peu affectueux, très difficile d'approche. Je ne tolérais pas qu'on me colle, qu'on me cajole, qu'on m'embrasse. D'ailleurs il était très difficile de m'habiller car je ne supportais pas les vêtements, et encore moins les maillots de bain (je n'ai pas beaucoup changé d'ailleurs sur ces points). J'avais souvent tendance à me retrouver dans mon petit monde, à jouer dans ma tête, à m'isoler, à me créer des mondes fantastiques. Vous me direz que c'est tout à fait normal pour un enfant de cet âge. Mais, au début de mes années scolaires, cette tendance était assez prononcée pour que cela inquiète mon médecin de famille et pour qu'il conseille à mes parents de consulter un spécialiste du comportement. Il craignait que je ne souffre de mythomanie, car je passais mon temps à "mentir", au point que c'en était devenu un réel problème. En fait, je m'inventais des histoires abracadabrantes et j'en venais à y croire dur comme fer, à ne plus faire la distinction entre le réel et l'imaginaire.

Bref, tout ce qui précède pourrait s'expliquer si j'avais souffert d'une forme très bénigne d'autisme, une pathologie encore inconnue à l'époque.

Se pourrait-il que l'explication soit aussi simple ?

Même si cela ne change absolument rien dans les faits.

Ou peut-être suis-je encore tout simplement victime de mon imagination, peut-être ai-je simplement besoin de m'accrocher à une illusion qui expliquerait pourquoi je me suis toujours senti, à toutes les époques de ma vie, un peu bizarre, socialement mésadapté, anormal.


Vous ai-je déjà raconté cette histoire ? J'espère que je ne radote pas.


J'ai pris une décision aujourd'hui. Une décision banale en soi, mais qui risque d'avoir un impact majeur sur la façon dont je jouirai de mon été cette année.

J'ai commencé par regarder les raisons pour lesquelles je procrastinais tant pour des choses comme mon sauna, par exemple. J'ai réalisé que j'ai un tas de courses à faire ce printemps, ainsi qu'un tas de tâches à accomplir. Mais, voyons les choses en face: je ne veux tout simplement pas les faire durant la semaine, car durant le jour c'est impossible (because je travaille), et le soir, soit que je ne peux pas, soit que je n'en ai tout simplement pas envie car je suis fatigué de ma journée. Reste les fins de semaines, mais cet été, je risque de n'avoir que mes samedis pour pouvoir faire des activités avec mon ami d'enfance, et de façon plus générale, je veux profiter de mes fins de semaines pour faire toutes les activités de plein air dont j'ai envie.

Ce qui me laisse avec zéro jour de libre dans une semaine pour faire tout ce que j'ai à faire. Problème apparemment insoluble.

Je dis "apparemment", parce que j'ai trouvé une solution toute simple. Elle m'est venue cette semaine, en consultant ma banque de congés. D'abord, j'ai six semaines de vacances cette année. De plus, j'avais mal évalué ma banque de temps supplémentaire. Je n'ai pas soixante-treize heures, mais bien quatre-vingt-dix-huit heures de temps supplémentaire accumulé.

Conclusion ? J'ai décidé de réduire ma semaine de travail cet été et de ne faire que quatre jours par semaine. Ce congé supplémentaire me permettra de faire toutes les courses dont j'ai besoin sur une base régulière, ainsi que de ne pas gaspiller mes précieuses fins de semaine à faire des tâches moins plaisantes, mais néanmoins nécessaires.

J'en ai parlé à mon patron, et il a trouvé l'idée très intéressante. Même qu'il en a été ravi. Cela l'a soulagé de la phobie qu'il avait depuis un certain temps de me voir disparaître neuf semaines consécutives cet été. La réduction de ma semaine de travail me permettra de consommer mes heures supplémentaires accumulées, et je pourrai toujours prendre mes semaines de vacance pour faire quelques petits voyages cet été.

Maintenant que je n'ai plus de raison valable pour procrastiner, je me demande bien comment les choses vont avancer dans ma vie...


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