11 mars 2002

Ma discipline n'a pas duré très longtemps.

J'ai passé ma journée d'hier chez moi, à endurer un autre de ces maux de têtes causés par mes yeux. Il n'était pas si insupportable, et j'aurais très bien pu sortir quand même et m'occuper des nombreuses courses qui me restent encore à faire avant de venir à bout de ma liste, mais j'avais l'excuse idéale pour ne rien faire. D'autant plus que la journée de cul que nous avions ne m'encourageait pas à mettre le nez dehors. Jamais, en dix ans, je n'avais vu de si grosses vagues sur le lac. Et puis aujourd'hui j'ai constaté que de nombreux arbres avaient succombé aux vents violents d'hier. L'un deux penche dangereusement au dessus de la route en haut de chez moi. Seules les branches de ses congénères l'ont empêché de s'abattre sur la chaussée.

Et puis cette journée de paresse m'a permis de ruminer à souhait la haine et le ressentiment que je ressentais à cause de ce qui m'est arrivé mercredi. Il faut maintenant que je sublime tout ça, que je tourne la page et que je passe à autre chose.

N'empêche que c'est ce genre de situation qui nous remet cruellement en face de la réalité, un retour d'autant plus dur à prendre pour une personne comme moi qui vit beaucoup dans son imaginaire et qui aime à se croire invulnérable, ou doté de pouvoirs surnaturels (autre que celui de bousiller des lampadaires de rue, s'entend).

Bien sûr, je me plais à imaginer ce que j'aurais fait si j'avais pris ces enfants de chiennes sur le fait. Mais en réalité, j'aurais plus probablement fini au mieux avec une fracture de la mâchoire et, au pire, avec un couteau planté quelque part dans les tripes.

La réalité est que j'ai été vaincu. Que ces dégénérés sans morale, sans étique, avec un quotient intellectuel probablement inférieur à leur pointure de chaussure m'ont quand même agressé et dépossédé de mes biens, aux vues et aux sus de tous, et que rien de ce que je peux dire ou faire ne changera quoi que ce soit à cet état de fait.

Bon. Tournons la page, tout en retenant cette leçon d'humilité.

Je me suis quand même racheté aujourd'hui pour ma paresse d'hier. Je suis allé magasiner tout l'après-midi avec Copine (il faisait trop froid à mon goût et pas assez ensoleillé pour faire une randonnée) et j'ai coché quatre belles petites cases sur ma liste ! Une paire de chaussure de randonnée, une paire de sandales de randonnée, des chaussettes en polypropylène et une belle serviette de plage, qui remplacera l'horreur trouée dont je me contentais depuis trop longtemps.

Je me sens mieux avec Copine depuis quelque temps. Je veux dire par là que je ne sens plus que je la rejette, comme avant. Elle s'en est rendue compte d'ailleurs et semble ravie. Je suis très content.

Mais il y a toujours quelque chose au fond de moi que je ne comprend pas. Comme si les relations que les autres vivent étaient toujours meilleures que celles que je vivrai jamais, comme si l'herbe était réellement toujours plus verte chez le voisin, comme si j'avais vécu tellement longtemps dans mon imaginaire que j'avais trop idéalisé la vie elle-même, et que la réalité ne sera jamais aussi belle, aussi fantastique que les images que je m'en suis fait dans ma tête pendant presque trente ans.

Dur retour à la réalité, ça aussi.

En fait, je ne peux pas vraiment parler de "retour", puisque c'est probablement la première fois que je m'y trouve.

Trente ans. J'ai trente ans de lavage de cerveau, que je me suis infligé moi-même, à renverser. Ça ne sera pas facile.


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