4 mars 2002

Aujourd'hui, mes suppositions se sont muées en certitude. Une certitude dont j'étais d'ailleurs déjà certain (pardonnez le pléonasme).

Comme à chaque jour, je suis monté au labo en fin de journée pour remplir les bidons de l'humidificateur. Consoeur et l'amant présumé étaient ensemble, ce qui n'a rien d'inhabituel. Sauf que cette fois, ils s'embrassaient.

Ils étaient au fond du local, et je n'ai pas dit un mot. Mais ils savent que je les ai vus. J'ai rempli mes bidons et je suis sorti.

Je ne me sentais pas mal de les avoir pris en "flagrant délit", si je peux m'exprimer ainsi. Ils connaissent parfaitement mes habitudes. Je suis monté à mon heure habituelle et j'ai fait amplement de bruit en ouvrant et en refermant la porte. Ils sont assez grand pour savoir quoi faire et quoi ne pas faire pour garder leur liaison secrète, si c'est ce qu'ils désirent. Ils sont sur leur lieu de travail quand même.

Bien sûr, cela ne m'a causé aucune surprise. Où plutôt oui, la surprise de constater qu'ils n'aient pas pris davantage de précautions pour me cacher leur relation, surtout à moi. S'il y a une personne dont Consoeur se méfie parmi tous ses collègues, c'est bien votre humble serviteur.

Peut-être n'ont-ils tout simplement plus envie de se cacher. Après tout, l'amant présumé ayant maintenant rompu avec sa femme, quelle raison leur reste-t-il de garder le voile sur leur relation ?

Vous avais-je déjà dit que c'était la deuxième fois que l'amant présumé me coupait l'herbe sous le pied ? Il y a environ six ans de cela, il avait eu une aventure avec une de mes collègues pour laquelle j'avais développé une grande attirance. Mais elle était mariée, alors je me tenais tranquille. L'amant présumé, lui, n'avait pas fait preuve d'autant de scrupule que moi. Leur relation n'avait pas duré, car elle avait finalement choisi de rester avec son mari. Mais malgré cela je ne peux me résoudre à lui en vouloir. D'ailleurs à l'époque il ne se doutait même pas de mon attirance pour elle.

Il y a quelques années, lorsque Consoeur et moi étions si proche l'un de l'autre, c'était lui qui faisait pitié. Je voyais dans ses yeux la tristesse qu'il tentait vainement de cacher chaque fois qu'il nous voyait ensemble, chaque fois qu'il nous entendait rire et nous voyait échanger ces longs regards langoureux. Ils se connaissent depuis longtemps, et j'ai toujours soupçonné qu'il l'aimait depuis tout ce temps. Je me sentais presque coupable d'être près d'elle, même si je n'aurais pas poussé la stupidité jusqu'à lui céder volontairement ma place.

J'ignore si leur relation est "consommée" depuis peu, mais je sais une chose: ils s'aiment depuis des années. Il fallait être un aveugle les yeux bandés et dans l'obscurité totale pour ne pas s'en rendre compte.

Et maintenant, cette femme qu'il désirait depuis si longtemps est finalement conquise. Il peut enfin la serrer dans ses bras, sentir la chaleur de son corps contre le sien, goûter la saveur de ses lèvres, choses dont il n'avait pu que rêver pendant toutes ces années.

Ils font un beau couple. Vraiment. Je ne peux me résoudre à lui en vouloir. Je l'envie.

Et moi, je ne connaîtrai jamais l'extase qu'il vit en ce moment.

S'habitue-t-on un jour au bruit que font les espoirs qui s'effondrent ?

Je ne pense pas.


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