15 mars 2002

Il en est une autre.

Je n'en ai pas parlé avant parce que, je dois bien l'admettre, elle n'occupait pas suffisamment mes pensées pour que je m'y attarde lorsque je m'installais devant ce clavier.

Elle est jeune, milieu vingtaine tout au plus, et cela me dérange un peu.

Elle est jolie. Extrêmement jolie même. Autre que cela, je ne sais rien d'elle.

Nous ne travaillons pas ensemble. Nous ne faisons que nous croiser dans les couloirs. Il y a quelque temps, je me suis risqué à lui offrir un sourire. Elle me l'a rendu. C'est devenu un petit rituel quand nous nous croisons.

Cette semaine, pour la première fois, elle m'a dit un petit "allo" timide en me rencontrant.

Tout cela ressemble étrangement à ce qui s'est passé il y a plus de trois ans avec une certaine collègue de travail...

Avec un peu de chance, dans quelques années, nous aurons notre première conversation.


Prenez deux livres. Identiques en tout point. Taille, poids, couleur, couverture, nombre de pages, type de papier. Appelons-les "volume A" et "volume B".

Dans le volume A, écrivez une histoire. N'importe quelle histoire. Réelle ou fictive, drôle ou tragique. Touchante, émouvante, amusante, angoissante. Un roman, une biographie, un journal intime, aucune importance. Écrivez une histoire.

Dans le volume B, distribuez de façon aléatoire au fil des pages le même nombre de lettres, de chiffres et de ponctuations que dans le volume A. Le même nombre de "a", le même nombre de "p", le même nombre de points d'interrogations, d'exclamations. Mais distribués aléatoirement.

Quelle est la différence entre ces deux volumes ?

Donnez-les tous les deux à un analphabète, et demandez-lui de vous dire lequel a la plus de valeur, lequel est le plus précieux. Il ne saura vous répondre. À ses yeux, les deux volumes sont équivalents. Ils sont de même taille, de même poids. Ils possèdent la même quantité de papier et d'encre, les mêmes symboles dans les mêmes proportions. ils ont les mêmes qualités esthétiques.

Mais pour nous, qui savons lire, le choix est évident.

Le volume A est un livre. Le volume B n'est qu'un tas de papier et de lettres.

Sans qu'aucune matière, aucune masse, aucune molécule supplémentaire ne lui ait été ajouté, le volume A contient quelque chose qui manque au volume B. Le volume A contient une histoire.

Et la seule chose qui différencie les deux volumes, c'est l'ordre des caractères. C'est la seule différence. Mais c'est toute la différence.

Le volume A est vivant. Son histoire est son âme. Et cette histoire peut survivre à sa destruction. Il suffit qu'elle ait été recopiée, lue, apprise. Une mémoire humaine, un cahier de note, une bande magnétique, une mémoire d'ordinateur. Cela n'a aucune importance. N'importe quel support peut faire l'affaire. Mais il faut un support. Car il n'y a pas de structure sans support. La structure et le support. L'histoire et le livre. Une dualité indissociable.

Le corps et l'esprit. La matière et l'énergie. L'ordre et le chaos. Le bien et le mal.

Tout cela est si simple. Si désespérément simple.

L'univers n'est-il pas merveilleux ?


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