16 mars 2002

Mal au dos. Mal au cou. Poches sous les yeux. Mal au coude qui ne veut pas s'en aller. Ça fait trois nuits de suite que je dors le coude sur une bouillotte d'eau chaude. Ma peau n'est pas belle, mes mollets sont chétifs et mous, et je suis affublé d'une disgracieuse bedaine.

C'est l'inaction qui me tue à petit feu. Je n'ai pas refait de vélo depuis mon accident, et je n'ai presque pas fait d'exercice l'été passé, entre deux hivers d'inertie quasi complète.

Mon corps n'est pas fait pour rester immobile si longtemps. Je ne suis pas fait pour cette vie sédentaire planté devant un ordinateur. Je pourrais faire comme tout le monde et aller m'entraîner dans un centre sportif. Mais je suis tout simplement incapable de m'y astreindre. Pas que l'activité physique me rebute, au contraire. Mais comment me convaincre d'aller m'enfermer trois fois par semaine dans un gymnase puant la transpiration pour marcher vers nulle part sur un tapis roulant alors qu'il y a de par le monde tant de sentiers que je n'ai pas parcourus, tant de routes sur lesquels les roues de mon (défunt) vélo n'ont pas encore glisser, tant de lacs, de rivières et d'océans dans lesquels je n'ai pas encore nagé.

Pour moi, les centres d'entraînement sont une aberration absolument inconcevable. Comprenons-nous bien, je ne veux pas ici porter un jugement de valeur sur ceux et celles qui les fréquentent. Beaucoup d'entre nous, avec la vie que nous menons et le peu de temps libre dont nous pouvons jouir durant une semaine, ne peuvent pas vraiment faire autrement s'ils veulent entretenir un minimum de forme physique.

Mais c'est justement ça qui me déconcerte à ce point. Nous autres, occidentaux qui nous targuons d'être un exemple à suivre pour le reste de l'humanité, nous nous sommes construit au fil des siècles une civilisation si incroyablement aberrante, si fondamentalement pourrie que nous sommes en train de mourir à petit feu, en tant qu'individus et en tant qu'espèce. Nous sommes gros, laids, malades, névrosés. La courbe démographique de notre population est complètement aberrante. Nous ne faisons presque plus d'enfants, et le peu d'entre nous qui en font encore s'en occupent de moins en moins, préférant rejeter sur la société en général, enseignants, éducateurs, la responsabilité de les éduquer. Nous vivons de plus en plus vieux, mais notre qualité de vie se dégrade de plus en plus.

Je n'aime pas la civilisation dans laquelle nous vivons. Je n'aime pas les villes. Je n'aime pas la course au succès et à la performance. Je n'aime pas les gens qui mesurent la réussite dans leur vie en fonction de leur compte de banque, de la marque de leur voiture et du nombre d'heures qu'ils travaillent dans une semaine. Et pourtant, j'adore la vie aisée, la modernité et la technologie. Je ne crois pas que ces choses soient incompatibles avec la qualité de vie. Ce sont nos valeurs qui sont importantes. Savoir aimer nos amis, nos conjoints, nos proches, nos enfants. Et ces valeurs ont leur place dans toutes les cultures, toutes les civilisations, toutes les époques. C'est à nous de choisir, tout simplement.

Je suis né dans une époque où la majorité ont fait un choix que je refuse de faire. Ils ont choisi une vie et des valeurs que je déteste. Je n'arrive pas à m'adapter à cette société dans laquelle je vis. Je refuse de m'y adapter, parce qu'elle est mal. Elle est mal, tout simplement.

Le bonheur n'est pas facile pour quelqu'un comme moi. Je ne suis pas seul, il y en a d'autres qui partagent mes valeurs et mes passions. Mais ils sont rares. Je continue à essayer de les trouver et de m'en entourer. Je continue à croire qu'ils existent. Je continue à croire que le bonheur est possible pour moi et qu'un jour, les gens retrouveront collectivement leurs esprits, préférablement de mon vivant.

C'est drôle. À me lire, on dirait que j'essais de rejeter sur l'ensemble de la société le blâme pour le fait que je ne sois pas heureux.

Nous sommes tous responsables de notre bonheur. Je pourrais être heureux, béatement heureux si je le voulais. Mais à quel prix ? On nous laisse croire de nos jours que notre bonheur est le but ultime de notre existence. C'est ainsi que les psychologues, sociologues et autres "ologues" définissent le bien et le mal maintenant. Ce qui nous rend heureux est bien, le reste est mal. Les gens heureux sont sains d'esprit, les autres ont des problèmes. S'ils n'en avaient pas, ils seraient heureux, non ?

Prenez deux juifs en train de dépérir dans un camps de concentration nazi. L'un est malheureux, l'autre est heureux. Lequel des deux est le plus sain d'esprit, d'après vous ?

Les concepts du bien et du mal sont bien plus grand, vont bien au delà de notre petit bonheur personnel.

Ou alors c'est que je n'ai moi non plus rien compris au bonheur.

Bon sang, qu'est-ce que je déconne ce soir. Je me relis et je n'arrive pas à croire que j'écris des choses pareilles.

Vivement que ce putain d'hiver finisse.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]