26 octobre 2002

Je m'ennuie d'Alegria ce soir. Je ne sais pas pourquoi ce soir plus qu'un autre soir. Je ne sais pas pourquoi elle plus qu'une autre.

Nous n'avons plus de contacts depuis un bon bout de temps. Depuis un peu après qu'elle a cessé d'écrire son journal en fait. Difficile de dire lequel de nous deux a coupé les ponts avec l'autre.

Je suis comme ça. Dès que j'ai le plus petit doute que ma présence pourrait indisposer le moindrement quelqu'un, je coupe les ponts et j'attend que ce quelqu'un me fasse signe. La personne auprès de qui je me sens le plus bienvenu ces temps-ci est sans contredit la collègue avec qui je m'entend si bien. En fait, je ne me suis jamais senti aussi bienvenu auprès de qui que ce soit de toute ma vie. Et pourtant, si elle a le malheur de montrer à un certain moment le plus petit signe d'impatience à mon endroit (ce qui est tout à fait normal et légitime de la part de n'importe qui à l'occasion), et bien je ne lui parle plus pendant des semaines.

Je crois que c'est un peu ce qui s'est passé avec Alegria. Elle a vécu de gros changements dans sa vie. De gros changements pour le mieux. Nouvelle maison, nouvelle carrière, renouveau dans son couple. Elle est à la fois si jeune et si adulte, comme si elle se tenait au début d'une route qui s'étire jusqu'à l'horizon, une route aux possibilités infinies.

Moi et mon mal-être n'ont tout simplement pas leur place dans une existence aussi parfaite.

Je viens de regarder un film ce soir. C'est un film que je suis allé voir au cinéma avec mon frère. Cela fait vingt ans.

Comme je l'ai dit souvent, je n'ai plus de racine. J'ai coupé les ponts avec toutes les personnes avec qui j'ai grandi, famille ou ami. J'essais de me convaincre que c'était pour le mieux, que nous avions évolué dans des directions différentes, que nous étions devenus trop différents pour être quoi que ce soit d'autre que des boulets à nos pieds respectifs.

La vérité c'est que depuis vingt ans j'ai soif d'un nouveau genre de relation, une relation que je n'ai jamais connu. Et la frustration et le ressentiment causés par mes échecs successifs à connaître ce genre de relation m'ont rendu amère et vindicatif face aux autres et à la vie en général. Je cherche à me punir moi-même pour ma propre incompétence, et à punir les autres pour me refuser ce que je désire plus que tout au monde. J'en viens à rejeter systématiquement toute relation qui n'est pas, ou qui ne pourrait pas potentiellement devenir, le genre de relation que je veux.

Je me dis souvent que si j'étais un homme heureux et comblé, il me semble que j'aurais spontanément tendance à aller vers les gens, à accepter les invitations, à offrir mon amitié aux inconnus tout en renouant avec mes amis du passé et ma famille.

Peut-être que lorsqu'on est heureux ont a simplement envie de partager ce bonheur avec le monde entier, mais que quand on ne connaît qu'aigreur et mal de vivre, on a juste envie de se recroqueviller seul dans un trou quelque part et de s'endormir pour toujours.


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