3 septembre 2002

Je pourrais écrire des paragraphes entier sur ce que je reproche à mon ami d'enfance. Je pourrais nommer une à une toutes ses petites manies qui, à la longue, en venaient à me rendre complètement dingue. Je pourrais mentionner son obsession quasi-compulsive à conduire à une vitesse complètement démente malgré mes objections que j'ai essayé d'exprimer de la façon la plus diplomatique possible, et du profond sentiment d'insulte que j'ai ressenti quand il s'est finalement calmé après avoir reçu une contravention plutôt salée, ce qui signifiait qu'il accordait plus d'importance à un trou dans son portefeuille qu'aux doléances légitimes de son ami et compagnon de voyage. Je pourrais mentionner l'immense sentiment d'irritation que je ressentais lorsqu'il disait qu'en vacance, il est important de s'adapter au rythme des gens où l'on se trouve, pour presque tout de suite après s'impatienter et se mettre à pester contre le pompiste de la station service qui le faisait attendre un gros trente secondes avant de le servir.

Mon ami se dit conciliant, mais il ne connaît pas la signification du mot compromis. Il se prétend souple et flexible, mais il est aussi flexible que si on lui avait foutu un manche à balais dans le cul jusqu'aux oreilles. Il est inflexible sans ses habitudes, inflexible dans ses opinions, inflexible dans ses valeurs.

Mais tout cela, en soit, n'a que peu d'importance. Il est ce qu'il est, et je l'ai toujours accepté tel qu'il est, comme il m'a toujours accepté tel que je suis.

C'est juste que quand on ne se sent plus comme un compagnon de voyage, mais plutôt comme un caddie, une personne à qui on a demandé de nous accompagner simplement pour conduire à notre place quand on est fatigué, parler à notre place parce qu'on est nul en anglais et qu'on ne veut pas faire l'effort d'apprendre, et partager les frais pour réduire de moitié notre facture de vacances, quand on se rend compte que c'est toujours le même qui fait des compromis, et bien tous ces petits traits de caractère deviennent à la longue absolument intolérables.

Alors un soir, j'ai craqué.

Naturellement, cela a quelque peu empoisonné l'atmosphère dans les jours qui ont suivis.

Essayez de passer deux jours consécutifs à faire dix à douze heures de route, sans s'échanger le moindre mot, le moindre commentaire. Vous m'en direz des nouvelles.

Je n'ai pas compté le nombre de nuits consécutives peuplées d'affreux cauchemars dans lesquels je me défoulais sans doute de toutes mes frustrations de la journée. Je ne compte plus le nombre de fois où je n'en pouvais plus, où je cédais presque à la panique à l'idée que j'en avais encore pour au moins une semaine à vivre cet enfer, où j'ai bien failli descendre de voiture, ramasser tout mon bagage et dire à mon ami d'enfance de continuer seul, que je me débrouillerais pour rentrer chez moi par mes propres moyens, par le train, l'autobus, en auto-stop ou whatever.

Oui, c'était aussi pire que ça.

Alors inutile de vous dire que je n'ai jamais autant apprécié de retrouver ma prison dorée, autant aimé la solitude, autant savouré la fraîcheur de l'eau de mon lac.

À mon retour, il y avait deux messages sur mon répondeur. L'un de Copine, l'autre de Lola. Les deux meilleures amies que j'ai jamais eu. Ça faisait du bien.

Aujourd'hui, deux jours après mon retour, je commence à récupérer de cet épuisement émotionnel. Quand je pense à mon ami d'enfance, par contre, j'ai encore ce goût amer qui me monte à la bouche. Je crois que je devrai me laisser un peu plus de temps. Une chose est sûre cependant: jamais plus je ne voyagerai avec lui. Il arrive des occasions où l'on se doit de tirer des leçons des expériences de la vie. Ceci en est une.

Hier soir, chez Copine, alors qu'elle s'esclaffait de rire après une de mes plaisanteries, elle s'est soudainement arrêtée, m'a regardé avec un petit sourire narquois et m'a lancé, spontanément:

- Tu m'as manqué.

Voilà ce que je désire, ce que j'apprécie vraiment.

Je me demande si la collègue avec qui je m'entend si bien me dira (ou du moins pensera) la même chose lors de mon retour au travail la semaine prochaine.

Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, je ramène malgré tout quelques très bons souvenirs de ce voyage. Je vous en ferai part dans les prochains jours.

En passant: Ma voisine a profité de mon absence pour arrêter d'être enceinte ! Autrement dit, elle a dû accoucher dans les derniers jours. Je n'ai pas encore vu le nouveau bébé par contre.

Bonne nuit à vous. :-)


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