6 septembre 2002

Je crois que ce qui m'a marqué le plus de mon voyage, c'est le lac Supérieur. J'y ai découvert une région dont je soupçonnais à peine l'existence. Une région de montagnes et de vallées, de forêts, de lacs et de rivières magnifiques. Et toujours ce lac, cet immense lac, cette mer intérieure qui s'étendait d'une horizon à l'autre, et dont l'autre rive, tel un océan, restait toujours hors de portée du regard, même du haut des montagnes.

Je garde un souvenir impérissable du parc national Pukaskwa, où nous avons fait deux arrêts, à l'allée et au retour, et où je me promet de retourner un jour. Un court sentier reliait notre site de camping à la grève, où l'horizon infini du lac Supérieur nous attendait. Malgré des vents calmes, de gros rouleaux de vagues venaient battre la grande plage de sable fin qui s'étirait entre deux falaises de granite qui plongeaient presque à la verticale dans les eaux tumultueuses. Un peu à l'écart des autres visiteurs, nu, je jouais dans les remous et sautait dans les vagues, pendant que mon ami d'enfance arpentait les amoncellements de bois flottant rejetés très haut sur la plage, à la limite de la forêt, par une quelconque tempête, à la recherche de quelque trésor.

Le hasard a voulu que nous ayons choisi, pour nous arrêter dans ce parc, le jour précis où les indiens Ojibway de la tribu de Pic-River tenaient leur pow-wow annuel. Même si cette fête avait lieu beaucoup plus au nord que notre site de camping, derrière une colline, le gros système de sonorisation qu'ils utilisaient nous donnait l'impression qu'il se passait juste à côté de notre tente. Sachant que nous ne pourrions dormir tout de suite, même si la nuit était tombée depuis un certain temps, mon ami d'enfance et moi avons décidé d'entreprendre en pleine noirceur, lampes frontales aidant, un petit sentier d'interprétation de quelques kilomètres faisait le tour d'un lac de montagne et revenant au camping.

Parcourir de nuit un sentier est une expérience assez hors de l'ordinaire en soi. Mais cette randonnée ne s'est pas limité à cela. À chaque station d'interprétation, nous éteignions nos lampes afin de mieux nous imprégner de l'ambiance de la nuit. À un certain moment le sentier débouchait sur un large plateau de roc nu, surplombant la surface du lac. Même si le fond de l'air était un peu frais, on pouvait sentir la chaleur résiduelle de la roche qui avait été chauffée toute la journée par les rayons du soleil.

C'est alors que j'ai vécu une expérience que je pourrais qualifier de mystique, voire spirituelle. Couché sur la dos, le visage tourné vers un ciel sans nuage parsemé de millions d'étoiles scintillantes, lampes éteintes, éclairé seulement par la lumière de la voûte et celle d'une presque pleine lune qui commençait à peine à poindre à l'horizon, je pouvais sentir sous mes mains et dans mon cou la chaleur de la pierre, alors que dans mes oreilles résonnaient les chants traditionnels Ojibway dont les montagnes me renvoyaient l'écho, formant un coeur envoûtant.

Je me suis laissé emporter par la magie de ces chants, de ce tam-tam répétitif et envoûtant symbolisant les battements du coeur de notre mère la terre, et j'ai remonté le temps. Je me suis retrouvé cinq cent ans en arrière, avant l'arrivée des premiers européens. J'ai vu autour de moi cette nature pure et inviolée, ce ciel immaculé, ce lac aux eaux pures où se reflétaient la voûte céleste. Et je me suis dit que peut-être un jour, il y a longtemps, un jeune amérindien se tenait là où je me trouvais, couché sur cette même roche, sous ce même ciel, en écoutant les chants de sa tribu raisonner entre les montagnes, planifiant peut-être sa prochaine journée de chasse, ou laissant peut-être s'égarer ses pensées vers sa famille, ses enfants, ou l'élue de son coeur, ne pouvant même pas encore soupçonner l'existence de ces hommes qui allaient traverser le grand bleu pour venir si profondément et irrémédiablement transformer l'existence de son peuple à tout jamais...

C'était un moment magique, le plus beau souvenir que je retiens de ce voyage. Jamais je ne l'oublierai.


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