23 septembre 2002

La collègue avec qui je m'entend si bien semblait toute contente de me voir aujourd'hui. Lorsque je lui disais qu'il serait mieux que je parte pour la laisser travailler, elle s'empressait de rétorquer que ce qu'elle faisait pour le moment ne lui demandait pas beaucoup de concentration et qu'il lui en restait assez pour m'écouter. Ce n'est rien de particulièrement anormal vu la qualité de notre relation, me direz-vous. Sauf que ma principale angoisse est que, vu que nous ne nous voyons qu'au travail, j'ai toujours peur d'exagérer et de la déranger, sans compter la culpabilité d'échanger avec elle sur les heures de bureau.

Il y avait une perdrix morte à côté de l'édifice aujourd'hui. Sans doute s'était-elle frappée dans une fenêtre. En début d'après-midi, une corneille avait déjà commencé à s'en repaître. Je suivais son manège chaque fois que j'avais à passer en face des fenêtres qui donnaient sur l'extérieur. Puis, au loin, juste à l'orée du boisé, j'ai aperçu une petite silhouette rousse. Me doutant de ce dont il s'agissait, j'ai couru vers le local où travaille la collègue avec qui je m'entend si bien et je suis entré dans son bureau en trombe. Sans dire un mot, je lui ai simplement fait signe du doigt de me suivre. Sans se faire prier, elle s'est immédiatement levée et m'a suivi jusqu'à la fenêtre, où nous avons été témoins tous les deux de ce à quoi je m'attendais.

Un petit renard roux venait de quitter le bois. Il traversait la route et se dirigeait tout droit vers la carcasse de perdrix. Soudain, en le voyant arriver, la corneille s'est envolée dans un arbre voisin et s'est mise à crier à gorge déployée. Elle était si furieuse qu'on pouvait l'entendre même à travers les fenêtres fermés !

Ignorant complètement ses protestations, le petit canidé s'est approché de la carcasse tout en demeurant très prudent et en jetant toujours des coups d'oeils autour de lui pour s'assurer qu'aucun de ces étranges bipèdes n'était dans les parages. Après avoir longuement reniflé la perdrix, il sembla satisfait de sa trouvaille. Il la pris dans sa gueule et partis en trottant vers le boisée, suivi de près par la corneille qui, folle de rage, volait d'un arbre à l'autre en lançant ses cris de protestation, voire d'indignation.

Et, juste à côté de moi, je regardais la collègue avec qui je m'entend si bien, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, la lumière brillant dans ses yeux, qui s'extasiait devant ce spectacle et qui courrait comme une gamine de fenêtre en fenêtre pour suivre le petit renard jusqu'à ce qu'il disparaisse finalement dans le bois, emportant son trophée avec lui. Alors elle se tourna vers moi et, arborant toujours ce large sourire, me remercia profusément d'être allé la chercher pour partager ce beau moment avec elle.

Moi aussi, j'étais bien content.


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