1 février 2003

Et voilà. On s'y attendait depuis longtemps. Ça devait arriver de nouveau.

Sept personnes ont perdu la vie aujourd'hui. Des vies dont la valeur, pour une raison ou pour une autre, nous semblaient plus importante que le millier d'autres vies qui se sont éteintes dans les mêmes instants, partout sur terre, dans toutes sortes de circonstances.

Je me rappelle de la destruction de Challenger en 1986, à l'époque où le décollage d'une navette faisait encore la manchette. J'étais dans ma chambre, devant mon ordinateur de l'époque qui était un Commodore 128 (...). J'habitais encore chez mes parents. Je crois que c'est ma mère qui m'a crié de venir voir, car à la télé on diffusait en direct le décollage de Challenger. J'ai assisté "live" à sa destruction. Passées la stupéfaction et l'incrédulité des premiers instants, je me rappelle m'être dit intérieurement "Comment peuvent-ils asseoir sept personnes sur un réservoir rempli de plusieurs centaines de milliers de litres d'hydrogène liquide, et nous faire croire qu'il n'y a aucun problème, qu'ils ont pensé à tout et que ces astronautes sont parfaitement en sécurité ?".

Et aujourd'hui, presque seize ans plus tard, jour pour jour, c'est arrivé à nouveau.

Je ne voudrais pas paraître présomptueux, donner l'impression que je me pense plus brillant que tous ces experts et ces génies qui travaillent à la NASA, mais j'ai la très nette impression qu'ils sont complètement dans les patates. Et je ne crois pas que ce soit entièrement de leur faute. L'espace est un milieu dangereux, excessivement dangereux. C'est le milieu le plus hostile qui existe. Et un vaisseau spatial dont on doit retarder le lancement pour des raisons insignifiantes (il fait trop froid ou trop chaud, un ordinateur a un bug, il y a une petite fissure dans une tuile, il y a un petit conduit d'un centimètre qui fuit, il y a trop de nuages, trop de vent, ou pire encore, un canard vole au dessus de la rampe de lancement...) est tout simplement trop fragile pour voyager dans l'espace.

Pour voyager de façon relativement sécuritaire au delà de l'atmosphère terrestre, un engin doit être virtuellement indestructible. Il doit résister à tout sauf peut-être une bombe nucléaire. Il doit pouvoir résister à l'impact d'objets qui arrivent à sa rencontre à des centaines de milliers de km/h. Il doit pouvoir tomber littéralement de l'espace et s'engouffrer dans l'atmosphère à des vitesses hallucinantes, s'écraser de plein fouet sur le sol, et s'en sortir avec rien de plus qu'un peu de tôle froissée et quelques ongles cassés pour ses passagers.

Je demande l'impossible, dites-vous ? Et bien justement non. Nous accomplissons aujourd'hui, quotidiennement, des choses qualifiées d'impossibles il n'y a pas si longtemps que ça par des gens qui sont probablement toujours en vie aujourd'hui.

Le problème dans tout ça, ce n'est pas les limites de la technologie, ni du génie et de l'imagination des gens qui la font évoluer au quotidien. Le problème, c'est l'argent. La NASA est scandaleusement sous financée, pour des raisons purement politiques. Parce que, contrairement à l'époque de Kennedy et de la guerre froide, la recherche spatiale est aujourd'hui excessivement mal perçue par la population en général. Parce que les gens ne peuvent pas accepter qu'on construise une navette spatiale de deux milliards de dollars alors que tant de gens meurent de faim, de soif ou de maladie à travers le monde. J'ai souvent entendu ce genre d'argument absurde par le passé, et je connais très bien ce regard de mépris que certains nous lancent quand on déclare qu'on est un fervent supporteur de la recherche aérospatiale. Ces gens qui me servent ce genre d'argument sont souvent les mêmes qui gaspillent l'eau courante en lavant leur entrée plusieurs fois par été, se plaignent de la qualité de la nourriture lorsqu'ils sont en vacance à l'étranger, ou me grillent une cigarette en pleine face, sans penser que chaque année, à travers le monde, il se dépense suffisamment d'argent en cigarettes pour construire cinq navettes spatiales, ou nourrir, loger, et éduquer tous les enfants des pays en voie de développement durant cette année.

Non, le problème n'est pas qu'il se dépense trop d'argent dans la recherche spatiale. Bill Gates possède à lui seul une fortune suffisante pour se faire construire quarante navettes. Et que fait-il de cet argent ?

Peu importe les sommes qu'on investit en recherche scientifique, il en reste toujours assez pour régler les problèmes du monde. Nous produisons suffisamment de nourriture de par le monde pour nourrir une fois et demi la population actuelle de la terre, et pourtant il y en a encore qui meurent de faim. Chaque année, la malaria tue à travers la planète plus de gens que toutes les autres maladies réunies, alors que nous possédons actuellement le moyen de l'éradiquer de la surface du globe en l'espace d'une génération.

Non, le problème ne vient pas de la disponibilité des richesses et des ressources. Il vient des enfants de chiennes qui contrôlent ces ressources, et maintiennent intentionnellement la population humaine dans l'ignorance, la misère et le désespoir, tout simplement parce que ça sert leurs intérêts.

Nous avons besoin de la recherche spatiale. Parce que l'espace est notre seule planche de salut. Parce que tant que notre espèce n'aura pas gagné en sagesse et en lucidité, nous aurons toujours besoin de plus en plus de ressources et de territoire pour survivre, et que tant que nous n'en aurons pas trouver de nouvelles sources, nous continuerons à nous entre-tuer pour posséder celles de nos voisins. Peut-être que quand nous aurons atteint un niveau de technologie assez avancé pour rendre habitable une boule de roche froide et stérile flottant dans l'espace intersidéral, l'effort collectif et la collaboration requis pour accomplir une telle prouesse nous aura finalement conféré suffisamment de sagesse pour appliquer cette technologie à la sauvegarde de notre propre planète.

Et grâce à l'altruisme et à la folie d'hommes et de femmes comme ceux et celles qui sont morts aujourd'hui, qui sont prêts à risquer leur propre vie pour sauver celle de l'humanité toute entière, ce rêve quasi impossible deviendra peut-être réalité un jour.

Je souhaite simplement avoir la chance d'être témoin de cette nouvelle ère de mon vivant. C'est ce que je nous souhaite à tous.


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