3 mai 2003

Il y a une mine à ciel ouvert quelque part au Montana. C'est une petite entreprise avec un peu de machinerie et quelques employés. Chaque jour ils ramassent des tonnes et des tonnes de matériaux qu'ils traitent de façon préliminaire. Ce qui reste, ce sont des piles de gravier. Les visiteurs, moyennant un petit montant, peuvent acheter des chaudières de ce gravier et passer des heures et des heures à fouiller dedans.

Pour trouver quoi ?

Des saphirs.

Et ils en trouvent. À l'occasion. Et de belles pierres en plus. Les propriétaires eux-mêmes possèdent quelques beaux saphirs de toutes sortes de formes et de teintes qu'ils ont fait tailler en de magnifiques bijoux qui valent plusieurs milliers de dollars.

Il y a un homme, quelque part aux États-Unis (mais loin du Montana) qui se fait livrer par cette mine une chaudière de ce gravier à chaque mois, et ce depuis neuf ans. C'est son passe-temps. Il occupe tous ces temps libres à fouiller dans ce gravier, à la recherche de la perle rare, qu'il trouve d'ailleurs à l'occasion. J'ignore s'il "rentre dans son argent", comme on dit, mais en tout cas ça l'occupe et il semble heureux.

- Où est-ce que tu veux en venir avec ça Laqk ?

Et bien tout ça pour dire que je vois un peu l'Internet de la même façon. Depuis le tout début de son existence, je parcours la toile en long, en large et en travers, à la recherche de je ne sais quoi. C'est une quête qui, dans mon cas, a commencé bien avant l'arrivée du grand réseau mondial, ce dernier n'étant finalement qu'un outil de plus qui m'a été offert pour nourrir cette quête incessante de je ne sais quoi, cette recherche continuelle de la perle rare, de la pierre précieuse, du saphir de cette existence.

Voyons les choses en face. Bien que j'adore la vie, la planète, la nature en général, je déteste sa plus récente création: l'humanité. L'humanité est un cancer qui ronge et détruit progressivement la planète qui lui a donné naissance. C'est une constatation à laquelle je suis arrivé très tôt dans ma vie. C'est une opinion, et vous pouvez être d'accord ou non avec moi, mais c'est quelque chose dont je suis convaincu. Pas que ça fasse mon affaire, loin de là. Mais je ne peux pas détourner volontairement mon regard de la vérité. Ce n'est tout simplement pas dans ma nature de faire comme beaucoup de gens et de choisir l'ignorance.

Ne vous méprenez pas. L'humanité a un potentiel immense, incroyable, un potentiel que je sens bien dans les quelques saphirs que la vie a eu la gentillesse de mettre sur mon chemin jusqu'à ce jour. Mais je ne suis tout simplement pas convaincu que nous survivrons assez longtemps en tant qu'espèce pour atteindre ce plein potentiel.

Quand j'ai commencé à explorer la toile, ce que je cherchais au fond, c'était une preuve que j'avais tort. Que le fait de finalement entrer en contact avec toute la planète par l'intermédiaire de cet outil merveilleux qu'est l'Internet allait finalement me permettre de faire tomber la barrière de mes préjugées en me montrant qu'au fond, partout dans le monde, l'humanité n'est qu'une immense entité perdue et désorganisée qui ne cherche qu'à toucher les autres parties d'elle-même, égarées ça et là de par le monde, pour finalement reconstruire cette merveilleuse communauté humaine assoiffée de tolérance, d'harmonie et de paix.

Loin de m'amener là, cette quête n'a fait que me renforcer dans mes convictions initiales. Vous n'avez qu'à regarder autour de vous pour vous en convaincre. Prenez les forums de discussion par exemple. Il est tout simplement impossible de créer un forum et d'essayer d'y entretenir une communauté harmonieuse et productive dans le respect des opinions et des divergences de chacun. Toujours, invariablement, et systématiquement, vous verrez apparaître en très peu de temps une petite clique de merdeux, une poignée de trous du cul dont la seule et unique raison de vivre est de foutre la merde et de semer la zizanie, tout simplement parce qu'ils haïssent l'harmonie et la bonne entente, qu'ils recherchent la confrontation, qu'ils carburent à la discorde. Ça leur plait, ça les fait jouir, ça leur donne une illusion de pouvoir et de contrôle, un contrôle qu'ils n'ont pas dans leur misérable existence pathétique.

Toute ma vie, j'ai été confronté à ce genre de vermine depuis ma plus tendre enfance, à l'école, dans mes loisirs, à mon travail, sur la route, n'importe où quoi. Je pensais bien naïvement que sur l'Internet, ce serait différent, différent de la manière dont je percevais l'humanité.

Mais voyons les chose en face. Il n'y a pas de cyber monde, de réalité virtuelle. L'Internet est le produit de l'humanité. L'Internet est l'humanité. Ni pire, ni mieux.

Peu importe l'angle sous lequel vous regardez un tas de merde, ça reste toujours un tas de merde.

Ou un tas de gravier.

Bref, je suis blasé de l'Internet. Comme je suis blasé de l'humanité en général.

Mais bien sûr, il y a les saphirs. Les pierres précieuses, les petites perles. Elles sont rares, mais à date elles ont toujours valu mes efforts. L'une d'entre elles, dont je croyais ne plus jamais entendre parler, m'a timidement redonné signe de vie dernièrement.

J'en suis à une période où j'ai le goût d'arrêter de fouiller dans la merde. J'ai quelques saphirs dans ma vie. Certains y sont depuis longtemps, et j'ai fait l'erreur de les prendre pour acquis, de croire qu'ils n'avaient plus rien à m'apprendre, que je n'avais plus rien à découvrir en eux. D'autres ont fait leur apparition plus récemment, et j'ai le goût de passer plus de temps avec eux, du précieux temps à partager, à découvrir, à connaître.

Le lac a finalement calé aujourd'hui, avec près de deux semaines de retard par rapport aux années précédentes. Le printemps viendra, éventuellement. Déjà, chaque matin, je me fais réveiller au son des merles, des bruants et des carouges. Les canards pataugent allègrement, et même si les grenouilles n'ont pas encore fait entendre le moindre petit croassement, je sais que ce n'est qu'une question de jours. La nature s'éveille, cette nature si merveilleuse qui ne me déçoit jamais. Et je veux passer le reste de ma vie à en jouir et à la faire découvrir à travers mes yeux à ceux et celles qui me sont précieux (et oui, il y en a), et ce sans plus jamais me casser la tête avec cette masse grouillante de bipèdes préhistoriques qui n'ont aucune spiritualité et qui se contentent béatement de leur misérable existence. Qu'ils soient condamnés à disparaître ou à devenir les maîtres de l'univers, seul l'avenir en décidera.

Je sais que ça fait un peu décousu comme billet. Mais je n'ai pas le goût de le fignoler davantage. Et j'ignore comment il sera reçu. Et franchement, je m'en fous.

J'ai envie de sortir de ce tunnel sombre et étroit qu'est mon existence.


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