30 octobre 2003

On dirait que depuis quelques semaines, les rares fois où je prend la plume, je ne fais que "bitcher" contre l'humanité en général, et donc par ricochet contre mes lecteurs/trices et mes collègues diaristes. Forcément, cela doit blesser. Je suis même étonné de voir encore tant d'inscrits dans ma liste de notification de mise à jour de la CEV. Ou bien vous êtes masochistes, ou bien vous êtes plus tenaces et courageux que je ne le serai jamais.

D'ailleurs, je ne me fais pas d'idées. Plusieurs inscrits m'ont probablement tout simplement glisser dans leur liste de courrier indésirable, sans même prendre la peine de retirer leur adresse de courriel de ma liste de notification. Je devrais d'ailleurs faire un peu de ménage dans cette liste, car plusieurs adresses qui y figurent ne sont même plus valides.

D'ailleurs, mon "bitchage" n'est pas le seul affront que je fais à mes lecteurs. Il y a belle lurette que je ne lis même plus mon courrier, celui-ci étant rendu presque totalement inutilisable à cause de la montagne de pourriel qui s'y déverse quotidiennement. Et je ne répond même plus aux quelques rares messages qui réussissent très occasionnellement à se frayer un chemin vers ma boite de réception.

Pourtant, je n'aime pas blesser les gens. Je n'ai jamais aimé ça. Et pourtant je le fais, et pas toujours par accident. Chaque fois que je publie un billet choquant, ou que j'ignore un courriel, je ne sais que trop bien que quelqu'un, quelque part, sera blessé.

Alors pourquoi le fais-je ? Suis-je tellement convaincu que je vais éventuellement blesser accidentellement, peu importe ce que je fasse, que je préfère le faire intentionnellement, pour me donner une illusion de contrôle sur ma propre incompétence à interagir avec le reste de l'humanité ? Ai-je tellement souffert par la faute des autres que je me venge inconsciemment contre d'autres qui n'ont rien à voir dans tout ça, et dont la seule faute est de s'être intéressé à mes écrits ? Je m'étais pourtant juré que je ne tomberais jamais dans le piège de faire souffrir les innocents pour les crimes des coupables. Il semblerait qu'il s'agisse là d'une tendance humaine toute naturelle qui revient trop facilement au galop dès qu'on baisse un tant soit peu sa garde.

Je sais que j'ai déjà écrit à maintes reprises que le fait de blesser ou non ceux qui me lisent ne devrait jamais être considéré comme un critère, considérant que toute personne est toujours absolument libre de me lire ou non. C'était une sorte de contrat que j'avais passé avec mes futurs lecteurs avant même de commencer cette démarche diaristique. C'était la seule façon pour moi de conserver à ce journal son caractère exutoire, d'y garder une totale liberté d'écriture, afin qu'il conserve la même valeur thérapeutique qu'un journal privé. De toute façon, j'avais accepté depuis le départ que blesser est inévitable. Même avec les meilleures intentions du monde, il y aura toujours une phrase mal interprétée, un mot qui n'a pas la même signification pour tout le monde, une personne qui se sentira visée même si elle ne l'est pas réellement, tout ça sans compter ma propre maladresse littéraire, qui n'est pas à négliger. N'empêche que je suis affligé depuis ma plus tendre enfance par cette tare génétique qu'on appelle l'empathie. Je n'aime pas blesser. Je n'aimerai jamais ça. Même si la haine et la révolte face à une civilisation sur le bord de l'effondrement brûle souvent dans mon coeur, je ne peux m'empêcher de ressentir de la compassion, quelque fois de la pitié, pour ceux qui sont toujours victime, même parfois par leur propre faute, d'une fatalité et d'une injustice trop souvent autant cruelle qu'aléatoire.

Il est paradoxal de constater que c'est dans les périodes où je me sens le plus mal que je suis le plus attentionné et généreux envers mon lectorat. Alors que dans les périodes où je me sens bien, comme ces temps-ci, je ne fais que pester contre tout et laisser libre cour à toute ma révolte.

Car je sais, à me lire, on ne dirait pas que je vais bien. Et pourtant c'est le cas. J'ai fini par digérer mon vol de voiture, mes problèmes de santé sont disparus, mon sauna avance et je vois finalement la lumière au bout du tunnel, j'ai un plaisir fou à bavarder quotidiennement avec la collègue avec qui je m'entend toujours si merveilleusement bien, sans compter mes relations avec mes autres collègues qui sont au beau fixe. Je l'ai déjà dit, on dirait que mes yeux s'ouvrent, que tout devient clair, que je me réveille d'un long cauchemar. Soudain, tout me semble si simple, les choix que je dois faire pour être heureux et obtenir la vie que je désire me semblent maintenant si évidents.

Mais avec cette nouvelle lucidité, avec ces yeux de nouveau ouverts sur le monde et la réalité, viennent inévitablement les constatations à cause desquelles j'ai probablement choisi il y a bien longtemps de ne plus voir. Et mon sentiment d'impuissance face à ces déplaisantes réalités recommencent à entraîner leur lot de frustrations. Et c'est ici que je choisi de déverser ce peu de fiel qui reste encore dans ma vie.

Étrange. Et déplaisant.

À la lumière de ce qui précède, plus le fait que mes mises à jours sont de moins en moins fréquentes et de plus en plus inintéressantes, c'est à se demander pourquoi je continue ce journal.

Quoi qu'il en soit, je continuerai d'écrire tant que l'envie y sera encore. Le fait de mettre ce journal en ligne n'est vraiment pas une grosse corvée, donc le jour où je cesserai de le publier sera probablement le jour où je cesserai de l'écrire.


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