25 août 2004

Note: Transcription intégrale de mon texte écrit sur papier.

Les petits rongeurs ont été beaucoup plus tranquilles cette nuit. Ils ont même attendu que je dorme avant de commencer leur tapage. Bien qu'en fait, ils ne m'aient vraiment réveillé qu'une seule fois. Mais je ne leur en veux pas. J'ai dû sortir dehors de toute façon pour aller à la salle de bain (avais-je mentionné que c'était une toilette sèche extérieure ?). Il faisait froid et j'étais nu, alors je ne me suis pas attardé. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de rester dehors quelques minutes pour admirer cette incroyable pléiade d'étoiles qui inondait le ciel. Même là où j'habite, la ville trop proche en obscurcit plusieurs. Trop.

Et puis une fois de retour au lit, j'ai entendu par la fenêtre entrouverte la longue complainte d'un huard. Et oui. Il y en avait un sur ce lac aussi. Tout lac qui se respecte a son huard.

Et puis je dois avouer qu'il n'y avait pas que le froid qui m'a incité à ne pas m'attarder dehors en pleine nuit. Quelque chose qui m'est arrivé hier, juste après être allé m'installer sur le bord du lac, y était aussi sans doute pour quelque chose.

Si la nature avait voulu m'offrir une poussée d'adrénaline pour me changer les idées de ma déprime, elle n'aurait pas pu faire mieux. Aucune brise ne soufflait, le lac était d'huile, et j'espérais d'une minute à l'autre voir apparaître un orignal qui viendrait se nourrir d'herbes aquatiques.

Soudain, de la gauche dans le bois, me parvient le bruit de quelque chose de gros et lourd qui piétinait les branchages, le tout accompagné de ce qui me semblait être le son d'un panache qui se frotte contre les arbustes, comme le font souvent les mâles orignaux pour se débarrasser des dernières traces de velours qui finit de tomber à cette période de l'année. J'étais tout content à l'idée de voir surgir un majestueux mâle d'un moment à l'autre et, très silencieusement, je me suis éloigné vers l'orée du bois de l'autre côté du terrain pour ne pas le prendre par surprise lorsqu'il surgirait d'entre les branches pour se diriger vers le lac.

Mais après quelques minutes, l'animal ne semblait pas près à quitter le bois. Au contraire, d'après le son, il semblait plutôt s'éloigner lentement du lac et se diriger vers le chalet. Toujours sans bruit, je décidai de remonter vers le chalet et de me poster tout contre la véranda, en face de la toilette sèche, car le son me portait à croire qu'il allait émerger juste à côté de celle-ci.

C'est alors que je commençai à avoir des doutes...

L'animal était très près maintenant. Les buissons denses le cachait toujours à ma vue mais les sons qui me parvenaient étaient très clairs. Et ce que j'avais pris au début pour le bruit d'un panache frotté contre des branches m'apparaissait maintenant clairement comme étant un autre son que je connaissais: le bruit de dents qui claquent. Et je ne connais qu'un seul animal de cette taille dans la forêt québécoise qui claque des dents de la sorte.

Je sais que la bête ignorait ma présence, aucun vent ne soufflant mon odeur dans sa direction, et ayant pris grand soin de ne pas faire de bruit. Je décidai donc de m'avancer lentement, voulant en avoir le coeur net, pour essayer de voir entre les branches. Et c'est alors que j'entendis ce petit cri plaintif, cet espèce de gémissement avec un trémolo si caractéristique. Un cri que je reconnus immédiatement.

Un ours !

Et en plus, quelque chose n'allait pas. Un ours qui se sait seul ne crie pas et ne claque pas des dents comme ça. Ce sont des formes de communication, et avec qui ou quoi chercherait-il à communiquer ? Étant toujours persuadé qu'il n'avait pas senti ma présence, il ne restait qu'une seule explication: Il n'était pas seul. C'était une ourse ! Probablement avec un ou plusieurs petits.

Je dois vous avouer que mon coeur battait dans ma poitrine, et pas seulement à cause de l'excitation de voir un ours de si près dans la nature. La situation était potentiellement dangereuse. J'étais là, complètement seul au milieu de nulle part, à quelques mètres à peine d'une ourse et de ses petits qui ignoraient ma présence et qui allait d'un seconde à l'autre sortir à découvert et tomber face à face avec moi ! Ma curiosité naturelle me disait d'attendre encore un peu, question d'avoir la confirmation visuelle de ce que je supposais, mais ma prudence eu le dessus. J'étais juste à côté de ma voiture, dont j'ouvrai et refermai bruyamment la portière, afin de signaler très clairement ma présence. Les gémissements et les claquements de dents cessèrent immédiatement. Mais après quelques secondes de silence j'entendis encore des bruits de pas lourds piétinant les branchages. Les sons n'avançaient ni ne reculaient, m'indiquant que l'animal restait sur place, hésitant. J'ai alors jugé que la bête avait peut-être besoin d'un peu plus de persuasion. Rouvrant à nouveau ma portière de voiture, je donnai un bon coup d'avertisseur. Cela eut l'effet escompté. J'entendis les pas reculer lentement, plus silencieusement que précédemment, pour finalement s'éloigner dans le lointain. S'il s'agissait d'une ourse et de ses petits, je savais qu'elle ne prendrait aucun risque et qu'elle ne reviendrait jamais, ni dans la soirée ni le lendemain.

Il n'y a que cet avant-midi que j'ai finalement eu le courage d'aller explorer le coin ou l'animal se trouvait hier. Le sol était marécageux à cet endroit et la végétation était particulièrement dense. J'ai cherché des touffes de poils sur les branches, des traces de pas identifiables, et même des marques d'écorce arrachée sur lesquelles seraient resté accrochés quelques lambeaux de velours, au cas où il se serait réellement s'agit d'un orignal. Mais je n'ai rien trouvé. Faut croire que mes talents de pisteurs laissent à désirer.


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