9 décembre 2004

Et bien oui. J'ai laissé passer tout le mois de novembre sans écrire. Ce n'est pas grave, il le méritait de toute façon. Le mois de novembre est un mois de merde, même si c'est le mois de mon anniversaire.

Que se passe-t-il de beau ces temps-ci dans ma vie ? Et bien pas grand chose, vous vous en doutiez probablement. J'essais de me motiver à bouger davantage cet hiver, à sortir plus. J'ai beau détester l'hiver, il faut que j'arrête de faire ma tête de cochon et que je comprenne que ma santé est en jeux. Je dois être plus actif, pour mon propre bien. Voilà déjà plusieurs fois que je fais quelques sorties de fin de semaine avec mon ami d'enfance et sa collègue de travail. En fin de semaine dernière, il y avait assez de neige dans les montagnes derrière chez moi pour sortir nos raquettes. Je vais essayer de rester actif sur une base relativement régulière cet hiver, sans pour autant me faire chier.

Parlant de se faire chier, j'avais émis, à mes amis mentionnés plus haut, la suggestion de se louer un chalet ou un refuge pour défoncer l'année. Un petit groupe, trois ou quatre personnes, rien de plus. Quelque chose d'intime et de calme. L'idée leur plu, et mon ami d'enfance, ayant plus de disponibilité que moi, se proposa pour faire les démarches. Je savais que les chances étaient minces, en s'y prenant à la dernière minute comme ça (tous les chalets et refuges des parcs, réserves fauniques et stations touristiques sont réservés pour ces dates pratiquement un an à l'avance), mais ça valait tout de même la peine d'essayer.

Voilà que les choses ont changé, et que maintenant ils veulent réserver, entre Noël et le Jour de l'An, trois jours de randonnée en raquette sur un segment de la traversée de Charlevoix, avec deux couchés en refuge d'une capacité de quatorze personnes. Ceci veut dire, bien sûr, qu'il y aura plein d'autre monde à part nous chaque nuit dans ces refuges. Vous me direz sans doute que c'est parfait, ça ferait plein de nouveau monde à rencontrer chaque soir, des gens qui trippent comme nous, peut-être des femmes intéressantes, et bla bla bla. J'ai déjà tout entendu ça des milliers de fois. Je leur ai dit que je n'étais pas certain d'y aller dans ces conditions, et que je leur donnerais ma réponse cette semaine.

Et bien je vais rappeler mon ami d'enfance et lui dire que ça ne m'intéresse pas. Naturellement, il va essayer de me convaincre de changer d'idée, de me démontrer tous les avantages de la formule, de me souligner tous les points positifs, et ce sans réaliser, même s'il me connaît littéralement depuis des dizaines d'années, que tout ce que lui considère comme des points positifs sont en fait pour moi des points négatifs. Mais quand donc comprendront-ils que je ne suis pas comme les autres ? Je sais exactement comment ça va se terminer si je me laisse convaincre. Je vais y aller, me faire chier tout le long de l'expérience, regretter de m'être laissé convaincre, et ensuite m'en vouloir pendant des jours et des jours de m'être fait avoir encore une fois.

Je sais que tous les gens autour de moi pensent bien faire. Je sais qu'au fond d'eux, ils sont persuadés que je suis un pauvre type renfermé sur lui-même qui essais de se convaincre qu'il est bien ainsi, et que dans leur tête j'ai besoin de leur aide pour enfin sortir de ma coquille et découvrir ma vrai nature qui, selon eux, ne peut être autre chose que ce que tout être humain normal doit être. Je leur en demande probablement trop. Je ne crois pas que personne autour de moi, à part peut-être la collègue avec qui je m'entend si bien, ne réussira jamais à comprendre que j'ai déjà trouvé ma vrai nature, je l'ai trouvé après deux dépressions et des dizaines d'années à essayer de me convaincre qu'au fond, c'est eux qui avaient raison et que je ferais peut-être mieux de rentrer dans le moule de la normalité.

Je ne suis pas normal. Je ne l'ai jamais été, je ne le serai jamais. Et ça ne me fait plus peur. Je suis ce que je suis, peu importe où cela me place dans l'échelle de la normalité. Et ne pas être normal ne veux pas dire que je ne suis pas tout à fait équilibré. En fait, ce qui m'a fait le plus de mal toute ma vie, ce sont toutes ces années à essayer de me convaincre que je serais plus heureux si je rentrais dans le moule, si j'adhérais aux normes et aux valeurs de la société dans laquelle j'évolue. Moins seul, oui, mais pas plus heureux. J'ai déjà essayé, ça n'a pas marché.

D'ailleurs, maintenant que je vois d'un oeil plus détaché cette fameuse société dans laquelle je suis forcé d'apprendre à fonctionner, cette société malade et en perdition, aux valeurs malsaines et autodestructrices, aux idéaux matérialistes et égocentriques basés sur le mercantilisme, la course à la "productivité" et à la "réussite" sociale dénaturant les plus élémentaires valeurs humaines, je me considère plutôt chanceux d'être né avec des gênes suffisamment en dehors de la norme pour me permettre d'y échapper avant qu'il ne soit trop tard.

Un peu tard cependant dans ma vie pour avoir toutes ces révélations. Un peu tard finalement pour découvrir quelle direction je veux prendre, après avoir tourné en rond pendant plus de quarante ans. Avoir su toutes ces choses plus tôt, j'aurais sans doute déjà connu plusieurs personnes pour m'accompagner sur cette route moins fréquentée.

Le temps des fêtes approche. Ce fameux temps des fêtes, cet exemple parfait de la déroute de la civilisation et de la dénaturation des vrais valeurs. Et pourtant, durant cette période, comme à chaque année, je serai plus seul et moins heureux que tous ces gens dit "normaux" qui, contrairement à moi, décoreront leur maison, monteront leur arbre de Noël, se feront chier à la dernière minute dans la cohue des centres commerciaux pour trouver le cadeaux parfait pour tout le monde, en angoissant à l'idée d'avoir oublié quelqu'un ou d'en décevoir un autre, mangeront comme des cochons pour ensuite se battre pendant des semaines pour perdre les kilos et trop, et malgré tout, auront quand même le bonheur de partager toutes ces aberrations avec famille et amis.

La lucidité d'enfin comprendre et embrasser sa vrai nature ne conduit pas automatiquement au bonheur, mais elle enlève un gros poids sur les épaules. Je me sens comme si j'avais des ailes, mais le ciel dans lequel je vole est vide et sans saveur.


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