22 août 2005

J'ai beaucoup réfléchi aujourd'hui. Sur l'amour.

J'ai repensé à ma conversation avec la collègue avec qui je m'entend si bien. Elle m'expliquait qu'elle fait rarement, sinon jamais, les premiers pas avec un homme, parce que, dit-elle, les hommes disent toujours oui de toute façon, et que donc leur acceptation ne veut rien dire.

Cela m'a fait pensé à ma propre relation avec l'amour, et l'amitié en général.

Je me sens toujours seul, comme si je n'avais pas d'amis, comme si personne ne m'aimait, et pourtant, quelqu'un avec un regard extérieur ne pourrait pas faire autrement que constater que ce n'est pas le cas. En fait, si je regarde objectivement mon comportement ces dernières années, j'ai moi-même contribué grandement à cet isolement. Je suppose que pour vous, qui me lisez depuis longtemps d'un regard détaché, cela paraît évident. Peut-être devrais-je me relire plus souvent depuis le tout début...

Je suis de toute évidence quelqu'un qui a besoin de sentir qu'il appartient à un groupe, à un noyau, à une famille en quelque sorte. Ce vide, cette absence, ce manque qui m'accompagne depuis tant d'années, c'est cela. Ma vie n'a de sens que si quelqu'un en est témoin. Comme le son de l'arbre qui tombe dans la forêt, je ne sens que j'existe que si quelqu'un m'entend.

Je ne sais pas pourquoi je suis ainsi. J'aurais sans doute besoin d'une psychothérapie pour ne serait-ce que commencer à en soupçonner les causes. Mais là n'est pas la question. Je soupçonne que je ne suis pas le seul à être comme ça, même que nous devons être très nombreux. Mais pour la majorité des gens ce n'est pas un problème, parce qu'ils ont toujours réussi à se créer ce groupe, cette cellule sociale dont ils ont besoin.

Mais pas moi.

Et c'est cela qui m'intrigue.

J'aurais pu faire comme les autres. Mon ami d'enfance n'a plus de famille. Son père est mort, et il a coupé tout contact avec sa mère et sa soeur. Noël, le Jour de l'An, la fête des mères et de pères, son propre anniversaire. Tous ces jours, il les passe seul. Et je ne compte plus les fois où il m'a dit qu'il m'enviait.

Moi, j'en ai une famille. J'ai un père, une mère, un frère et une soeur. Je les vois régulièrement, je passe le temps des fêtes avec eux. Et malgré tout, je n'accorde que peu de valeur à ces relations. Ça paraît froid, cruel et ingrat de parler comme ça, mais c'est ce que je ressens, je n'y peux rien.

Moi aussi, j'aurais pu fonder une famille. Avoir une conjointe, avoir mes propres enfants. Bien sûr, il m'aurait fallu une conjointe d'abord. Mais nonobstant cela, ça ne me tente même pas d'avoir une famille. Vous allez dire que je suis un gars typique, mais ce n'est pas cela du tout. En fait, j'ai la conviction profonde qu'encore une fois, l'amour que mes enfants me voueraient n'aurait que peu de valeur à mes yeux.

Copine me voue une amitié et une admiration sans borne. Pourtant, encore là, la valeur que j'accorde à cette amitié est beaucoup moindre.

Toujours le même pattern finalement. Des amours qui me sont (ou me seraient) offerts, et moi qui les rejetterais ou ne leur accorderais que peu de valeur. Il doit donc y avoir un point commun entre tous ces amours. Et aujourd'hui, je crois l'avoir trouvé.

Tous ces amours me sont acquis. Je m'explique: Mes parents m'aiment. Ils m'aiment beaucoup même. Mais pourquoi m'aiment-ils ? Parce que je suis leur fils, bien sûr. Les parents aiment habituellement leur fils, cela n'a rien d'inhabituel. Je serais différent de ce que je suis, je serais plus grand, plus petit, plus gros, moins intelligent, je serais handicapé ou j'aurais moins réussi dans la vie, ils m'aimeraient quand même.

Si j'avais des enfants, ils m'aimeraient probablement aussi. Pourquoi ? Parce que je serais leur père, bien sûr. Un père n'a pas besoin de faire grand chose pour être aimé de ses enfants. S'il n'est pas un alcoolique ou un toxicomane, s'il n'est pas violent, s'il ne les abuse pas sexuellement, s'il leur consacre un minimum de temps, il est fort probable que ses enfants l'aimeront, même s'il est plein de faiblesses et de défauts.

Et Copine dans tout ça ? Et bien quand j'ai connu Copine, c'était une femme très insécure avec une très mauvaise estime de soi. Ce genre de femme a tendance à accorder inconditionnellement son affection à toute personne qui lui accorde un peu de temps et lui fait un peu de place dans sa vie. Encore là, je n'ai eu besoin que de ne pas être un monstre pour gagner son amitié.

On m'a souvent conseillé d'avoir un chien ou un chat. C'est certain, un chien m'aimerait. Mais un chien aime n'importe qui. Je n'ai pas besoin d'être qui que ce soit de spécial pour gagner l'amour d'un chien.

Commencez-vous à voir un point commun entre toutes ces relations ? Moi, oui. Ces relations n'infèrent absolument rien de particulier sur ma valeur personnelle. Elles ne disent rien sur moi. Pour être plus précis, elles ne me disent rien sur ma valeur en tant qu'être humain. Elles ne me font pas me sentir spécial, unique. Je serais n'importe qui d'autre, et j'aurais quand même ces relations.

N'importe qui, le plus ordinaire, moyen, inintéressant et banal des êtres humains aurait aussi ces relations. Ces personnes, hypothétiques ou réelles, aiment/aimeraient le fils, le père, l'homme qui est là pour leur accorder de l'attention, mais elles ne m'aiment/m'aimeraient pas pour ce que je suis moi.

Et voilà ce qui me manque, ce que je désire au plus profond de moi. Je veux quelqu'un qui m'aiment moi. Moi, la personne que je suis, ma personnalité, mes valeurs, mes désirs, mes passions.

Bref: Je veux avoir la preuve que la personne que je suis est digne d'être aimée.

Dit comme ça, ça paraît tout simple, non ?

Est-ce que j'en demande trop ? Suis-je utopiste ? Ce que je demande existent-ils seulement, ou toute l'humanité n'est-elle qu'une immense hypocrisie planétaire ? Peut-être ai-je passé toute ma vie à rêver de quelque chose qui n'existe pas, à idéaliser un type de relation dont tout le monde rêve mais que personne n'est prêt à offrir. Peut-être n'y a-t-il personne sur cette terre qui aime quelqu'un d'autre pour une raison autre que pour ce que cette personne leur apporte. Peut-être ai-je passé toute ma vie à cracher dans toutes ces mains tendues, parce qu'aucune d'elles n'était désintéressée, ou que je les percevais toutes ainsi.

Des fois, j'ai l'impression que, malgré mes quarante trois ans, je n'ai jamais réussi tout à fait la transition entre le monde idéalisé que voit l'enfant et la froide réalité du monde adulte.


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