12 avril 2005

Dans quelques jours cela fera cinq ans que j'aurai commencé ce journal. À l'époque, alors que j'écrivais la première ligne, la première grenouille du printemps faisait entendre son chant. Difficile d'imaginer que cette année les grenouilles commenceront à chanter dans six jours, mais ce n'est pas impossible. De toute façon, ce n'est pas la date qui compte. Elles chanteront. Éventuellement.

La neige disparaît peu à peu. Presque à chaque jour j'entend le chant d'un nouvel oiseau le matin. Aujourd'hui, j'ai vu mon premier merle. Il y a deux semaines c'était les tourterelles tristes. Et aujourd'hui aussi, j'ai eu la chance de voir non pas une, mais deux buses à queue rousse.

Plus les semaines, les mois et les années passent, plus mon amour, mon respect et mon admiration pour la nature grandissent. Et parallèlement à cela, plus ma haine, mon mépris et mon dégoût pour l'humanité augmentent. Et paradoxalement, plus mes rapports avec les gens que je fréquente au quotidien sont sains.

Je fais la paix avec tant de choses maintenant. En moi. À l'extérieur de moi. Je cesse d'avoir honte, d'avoir peur de ce que je suis. Je cesse d'avoir peur de la solitude. Elle fait maintenant partie intégrante de mes projets d'avenir. C'est inévitable. Je le sais maintenant. Je suis vraiment un drôle d'oiseau, un mutant étrange parachuté sur cette planète où je me sens si bien, mais appartenant à une espèce dont j'ai si honte.

J'ai changé. Beaucoup changé. Cinq ans ont dû passer avant que je le réalise pleinement. Selon toute probabilité, je passerai le reste de ma vie seul. Les passions que je vivrai, je ne les partagerai probablement avec personne. Je suis tout simplement trop différent, et les gens comme moi trop rares. Cette seule pensée me terrifiait autrefois. Je ne pouvais pas l'accepter, je ne voulais pas l'accepter. Aujourd'hui, je me projette dans l'avenir sans angoisse. Bien sûr il est toujours possible que je trouve un jour chaussure à mon pied, mais je ne compte plus là-dessus. Ce n'est plus nécessaire, seulement préférable.

Aujourd'hui, quand je pense à l'avenir, j'esquisse un sourire. Bien sûr, j'ai encore des peurs, des hésitations, des désirs inassouvis. Je souffre encore de l'ennui, de l'isolement. Mais je me sens comme un printemps après un long hiver que je croyais ne jamais voir finir un jour. À partir de maintenant, je sais, je sens, que les choses ne vont aller qu'en s'améliorant. Comme un printemps ou les jours rallongent, les températures grimpent, la neige fond, la végétation renaît. Bien sûr, il se peut que demain soit plus froid et plus pluvieux qu'aujourd'hui, mais dans l'ensemble, les choses vont aller de mieux en mieux.

Une chose est sûre en tout cas: en cinq ans, je n'ai toujours pas appris à exprimer mes idées de façon plus organisé et cohérente. Mais je m'en fout maintenant. Ce journal n'a pas à être plus cohérent, moins désordonné, plus ceci, moins cela. Il n'a pas à être ce qu'un journal "devrait" être, il n'a même pas à être ce que je veux qu'il soit.

Il a juste à être ce qu'il est.

Comme moi.


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